Chamane et peuple autochtone d’Amazonie : comment Davos appelle avec insistance au panthéisme et à la spiritualité globale

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Le Forum économique mondial de Davos a fermé ses portes ce vendredi et à l’heure du bilan, on retiendra la présence insistante d’une chamane amazonienne et de son mari, tous deux de la tribu Yawanawà dont le petit millier de membres vit près du fleuve Amazone au centre du Brésil dans sept peuplades où ils s’efforcent de faire revivre leur culture ancestrale. Main dans la main avec l’artiste d’origine turque, Refik Anadol, qui voit en eux ses mentors, sa « famille », le chef Nixiwaka et la chamane Putanny Yawanawà ont influencé l’iconographie de l’événement et ont été invités à s’exprimer à diverses reprises. La première fois, c’était à travers une incantation chamanique accompagnée d’une « bénédiction » païenne, comme nous l’avons raconté ici. La seconde, jeudi après-midi, a vu le couple participer à la présentation par Refik Anadol de ses œuvres créées grâce à l’intelligence artificielle, et s’exprimer en brésilien pour présenter leurs croyances et leurs espoirs pour la planète. Triomphe du panthéisme présenté comme seul espoir pour un monde qui s’autodétruit&nbsp:: voilà quelle est la spiritualité qui a droit de cité au Forum économique mondial.

On comprend mieux tout cela à travers la personnalité et l’œuvre de Refik Anadol. C’est lui qui a orchestré le concert inaugural illustré d’images recueillies lors de ses « retraites » en famille auprès des Yawanawà et retravaillées par l’IA, avec le code de couleurs et de formes propres à l’art – fortement influencée par l’ayahuasca – de cette tribu. Anadol a animé une autre session sous le titre « Les leaders culturels en tant que catalystes du changement », où il a présenté ses techniques, non sans citer sans l’ombre d’une réserve l’avertissement de William Gibson, auteur de science-fiction et fondateur du cyberpunk, lors d’une interview à Rolling Stone en 2008 : « L’une des choses que nos petits-enfants trouveront les plus bizarres chez nous, c’est que nous faisons la distinction entre le numérique et la réalité. »

 

A Davos le panthéisme de l’Amazonie était à l’honneur

Jeudi après-midi, Anadol est revenu pour une troisième session, « La Danse des algorithmes » où cette fois, Nixiwaka et Putanny ont pris la parole de manière fort révélatrice. Séance peu fréquentée, si l’on en juge d’après les prises de vue mises en ligne par le World Economic Forum, mais ici c’est le symbole qui compte.

Le chef Nixiwaka a interpellé l’assistance en affirmant :

« Nous vivons des temps nouveaux. Le temps du pardon. Le temps de l’amour. Le temps de la spiritualité. Il est temps pour l’humanité de se tourner vers l’origine. Vers la Terre. Vers nos cœurs. D’apprendre à nous aimer et à nous respecter. De faire des alliances, d’unir nos forces. C’est le moment ! »

Le moment de mettre en place une spiritualité globale, panthéiste, centrée sur la matière et profondément hostile à l’homme occidental, à la civilisation :

« Nous sommes les enfants d’une même mère, d’un même père. Cependant, certains de ces enfants, lorsqu’ils ont grandi, ont quitté la maison. Ils ont créé leur propre autonomie et leur propre indépendance. C’est l’homme occidental. Nous sommes des enfants qui n’ont jamais quitté la maison, la maison de notre divin créateur. Nous sommes le seul peuple encore sur cette planète qui parle la langue des eaux, du sol, de l’air, des étoiles, de la lune, des animaux, des forêts et de toute la création sur cette planète. Nous maintenons notre communication avec le Divin. C’est pourquoi nous ne voulons pas seulement protéger la nature, car nous sommes la nature elle-même. Le jour où la nature, la forêt, les animaux et les eaux prendront fin, cela signifiera également la fin de l’existence humaine sur cette Terre. Nous nous sommes battus avec acharnement pour pouvoir continuer à vivre sur cette planète, souvent au péril de notre vie, mais cette responsabilité n’est pas seulement la nôtre en tant que peuples indigènes, elle est aussi celle des gouvernements mondiaux et des grandes entreprises mondiales. Ne nous laissez pas seuls face à cette responsabilité. Nous avons fait notre part. Nous pouvons apporter une contribution importante au nouveau concept de l’humanité pour l’équilibre de l’homme et de la nature. Je vous remercie de votre attention. »

Derrière la glorification des savoirs ancestraux – dont il serait malséant selon les codes contemporains de dire qu’ils sont ceux de peuples « sauvages », « non civilisés » – il faut comprendre que c’est la religion du Dieu transcendant, Un et Trine qui est ici rejetée, ce Dieu que les missionnaires catholiques ont prêché au péril de leur vie – en y laissant souvent leur vie – dans cette Amazonie hostile et violente.

 

L’appel à une spiritualité globale à travers le dialogue avec les esprits

Putanny Yawanawà est intervenue à son tour, sur un ton monocorde, le regard souvent fixe, pour dire (sans garantie de l’exactitude de la retranscription des noms des divinités de sa tribu, mais avec un essai de restitution de sa prolixité répétitive et lancinante) :

« Bonjour, je m’appelle Puttany, je suis très heureuse, je suis très reconnaissante d’avoir reçu ce moment, de pouvoir apporter la voix de notre forêt, la voix de tout notre peuple, le peuple indigène, la voix des femmes, des enfants, des anciens, des jeunes. Notre histoire raconte que le Créateur kushani, lorsqu’il a créé toute la création, a donné un esprit à chaque chose : à la terre, il a donné son esprit, afin que la terre puisse avoir la vie ; à l’eau, il a donné un esprit, numaiushi, afin que l’eau puisse avoir un chef responsable, et de la même manière, un esprit a été donné à tous les êtres de la création : les arbres, les plantes, les parfums, les fleurs, les sucreries et à l’ensemble de la création, un être responsable. A nous aussi, il a donné un esprit. Nous avons reçu quelque chose de plus : nous faisons partie de la création divine, nous venons du même père, nous venons de la même mère. Nous avons donc tous un ancêtre, nous avons tous un lien spirituel avec la nature.

« Cependant, beaucoup de gens ont perdu cela, leurs ancêtres, leur connexion avec nos frères, avec nos enfants, avec notre famille, avec notre père, avec notre mère, avec la nature qui est la forêt. Nous ne savons plus comment parler le langage de la Terre, de l’eau, du ciel, des animaux, les gens ne savent plus comment communiquer et quand cette communication est perdue, nos pensées deviennent confuses, nous avons perdu notre voix, nous avons perdu notre vision, nous avons perdu notre cœur, et quand tout cela est arrivé, nous avons commencé à agresser, nous avons commencé à tuer notre forêt, nos enfants, nos frères, et quant à nous-mêmes, nous avons commencé à enlever notre propre cœur, notre propre racine, parce qu’en faisant cela à la forêt, à la nature, nous le faisons aussi à nous-mêmes.

« C’est pourquoi, en ce moment, nous devons chercher à nous relier à la nature, à la forêt, à nos ancêtres et à la spiritualité. Rien n’est perdu, nous pouvons, oui nous pouvons, nous devons unir nos forces. Nous avons besoin de l’Alliance, nous avons besoin de conscience, nous avons besoin de rêver, nous avons besoin de nous accorder, de chercher notre propre inspiration, de respecter, nous avons besoin d’avoir conscience de notre égalité, que nous sommes une famille, que nous sommes des frères. Nous devons oublier la différence de couleur de notre peau, de notre langue, nous sommes tous les enfants d’un même père. La spiritualité qu’il a donnée à chacun de nous, son véhicule pour l’atteindre, mais il n’y a qu’une seule source à laquelle tous donnent un nom : Dieu, le Créateur, des noms différents, mais il n’est qu’un et nous sommes des enfants, la même création et les gens ont besoin de revenir à notre essence, de chercher d’abord notre propre paix pour que tous puissent trouver cette paix. Nous avons besoin de paix. Un homme sans paix n’a pas de vision, pas de compréhension, pas de bonheur. Nous devons nous guérir nous-mêmes, pour guérir notre planète, et il y a un chemin : la spiritualité, elle vous donne une voix, elle vous donne une connexion à tous les êtres… à toute la pluie, à toutes les étoiles, au ciel, au soleil, au feu et à tous les éléments. C’est la voix, la parole, donnée par le Créateur. C’est la libération, le leadership, la responsabilité. Lorsque nous nous reconnecterons, les guerres cesseront, mais nous ne pouvons y parvenir qu’avec votre aide à tous.

« Nous, les peuples indigènes qui vivons dans la forêt, nous demandons l’aide de tous les peuples, de toutes les autorités pour que nous puissions nous tenir la main et partager la même vision, pour que nos cœurs aillent dans la même direction : la paix, l’harmonie, le soin, l’amour, la joie, le rêve, et cela, nous pouvons le réaliser. Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’être unis, chacun d’entre nous faisant sa part. Je suis très reconnaissante au Créateur qui nous a donné l’opportunité de parler dans un si grand forum, avec tant d’autorités, de ministres, de présidents, et à toutes les personnes qui peuvent nous entendre, nous apportons la voix de la forêt, la voix de la nature, et nous comptons sur l’aide de chacun d’entre vous. »

 

Un entretien du chef Yawanawà résume le rejet de la civilisation

Ces mots se suffisent à eux-mêmes pour comprendre le paganisme qui a droit de cité à Davos, mais pour le confirmer tout à fait on peut se tourner vers un entretien avec Biraci Brasil Nixiwaka Yawanawà publié par le Club de Mediapart en décembre, où le mari de Puttany a déclaré :

« Nous sommes les seuls sur la planète à connaître le langage de la nature, des oiseaux, des arbres et des poissons. Chaque mouvement de l’étoile, du vent, du soleil, de la lune, des étoiles : nous connaissons cette famille. Nous connaissons les plantes médicinales, les plantes sacrées. Nous connaissons les noms de ces plantes. Nous communiquons avec leur monde spirituel. Nous pouvons traduire cela pour l’humanité. Mais comment pouvons-nous le faire si nous sommes exclus du système ? Si nous sommes méprisés au sein de la société humaine ? C’est une perte de connaissances scientifiques anciennes que l’humanité doit connaître. »

Et plus loin :

« L’Amazonie a encore beaucoup de secrets. Nous avons des plantes qui peuvent guérir et que la science n’a pas encore découvertes. Qui sait et qui a détecté ces connaissances ? Nous, les peuples indigènes, les peuples originels. A qui allons-nous parler ? Avec quelle sécurité ? Avec quelle reconnaissance ? L’Amazonie séquestre le carbone, nettoie la pollution. C’est vraiment le cœur du monde et nous, peuples indigènes, pouvons beaucoup aider l’humanité. Mais nous sommes exclus, isolés, abandonnés. Nous ne sommes pas invités dignement à un débat, à une discussion sur le Nouvel Ordre Mondial. Les gens ne se rendent pas compte que ces plantes sacrées peuvent remplir nos cœurs de sagesse, nous montrer la voie vers une nouvelle économie, une nouvelle science, une nouvelle technologie, dans le respect de l’environnement.

« Tout comme les chrétiens ont la Sainte Bible et les musulmans le Coran, nous, peuples indigènes, avons la forêt. Je sais comment la lire, arbre par arbre, et à quoi elle sert. Nous n’avons pas besoin de l’emmener au laboratoire. Nous n’avons pas besoin de perdre du temps, de dépenser des millions de dollars en recherche, parce que mon peuple le fait depuis des milliers d’années. Mais comment allons-nous parler si nous ne sommes pas acceptés dans la société, si nous ne sommes pas invités, si nous ne sommes pas respectés en tant que gardiens de ce savoir ancestral ? »

Et aussi :

« Je sais seulement une chose : le système que l’homme occidental a développé est en train de se décomposer. Par sa nature même, par son destin même, il est à sa fin. Si nous insistons, nous déclarerons la fin de l’humanité. Je ne suis pas un voyant, je ne suis pas un chaman, je ne suis pas un maître. Je suis un être humain Yawanawa, un leader, un enfant des plantes, un enfant de la nature. Je le sens dans mon cœur, nous devons revoir nos concepts. C’est le temps de la spiritualité. Chaque insecte, chaque animal qui disparaît de la Terre entraîne davantage de maladies. Les esprits des animaux sont détruits et cherchent un corps. Où vont-ils se loger ? Dans le corps humain. Par conséquent, de nouvelles maladies apparaîtront. Il faut mettre fin à l’agression environnementale. L’homme occidental a oublié le Créateur divin et lui a tourné le dos par son avidité, son ambition et sa vanité. Arrêtez, car si vous ne le faites pas, nous verrons notre fin. »

Que beaucoup d’hommes occidentaux aient tourné le dos au Créateur, au véritable Créateur, c’est hélas l’exacte vérité. Mais ce n’est pas l’essentiel du message de Nixiwaka Yawanawà : il prêche un paganisme où se mêlent superstition et superbe, idolâtrie et même une forme de chantage. D’ailleurs sa conclusion mérite d’être citée :

« La rivière est notre corps. L’eau est notre corps. Nous sommes l’eau. Nous sommes la terre. Nous sommes la forêt. La somme de toute la nature devient un être humain. Il y a de grands guides ici, les anacondas, les esprits… La plupart d’entre eux sont dans l’eau. Les grands êtres spirituels se trouvent dans les puits des rivières. L’eau n’étanche pas seulement notre soif, mais aussi nos âmes, nos esprits. Combien d’histoires ai-je de ma civilisation sur les rives de ce fleuve, si ancien dans la création du monde. »

 

Au Forum économique mondial à Davos, on vante l’ayahuasca

Mais pour revenir à Davos… Quand Putanny a achevé son discours, les assistants ont pu poser des questions qui tournaient autour de « ce que l’on peut faire pour aider les Yawanawà ». Réponse du chef :

« En ce moment même, nous organisons la conférence sur l’ayahuasca, une médecine sacrée des peuples originels de l’Amazonie, et nous réunissons tous les chefs spirituels indigènes des Amériques et d’autres continents pour créer une référence que nous pourrons partager avec le monde et apporter la guérison et une bénédiction pour la paix dans le monde. Ces initiatives sont très importantes et vous pouvez y collaborer, elles sont concrètes. »

L’ayahuasca, c’est cette plante hallucinogène qui sert à la fois de médicament et de drogue à de nombreux autochtones de l’Amazonie, recherchée par les Occidentaux pour ses effets psychédéliques. Les apprentis chamanes (comme Puttany en son temps) des Yawanawà, qui vivent isolés de leur tribu pendant un an, en ingèrent alors quotidiennement, et elle fait partie de leurs rituels. Elle fait actuellement l’objet d’une exposition au musée du Quai Branly à Paris : Visions chamaniques, arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne. Arts qui ressemblent fort à certaines productions de Refik Anadol…

On lit dans le dossier de presse de l’exposition cette description des « outils de la cure chamanique » :

« La cure chamanique comporte une profonde dimension synesthésique (l’association de plusieurs sens). L’ingestion de l’ayahuasca suscite en effet des perceptions visuelles, acoustiques, olfactives et tactiles qui s’entrecroisent et s’influencent mutuellement. Sous l’effet de l’ayahuasca, les kené sont susceptibles d’être vus, mais également touchés, sentis ou entendus.

« Après l’ingestion du breuvage, le chamane perçoit les corps des participants comme recouverts de kené. Ces motifs donnent à voir « l’air » (wíso) des personnes, lequel se manifeste également sous une forme olfactive. Une personne en bonne santé apparaîtra comme auréolée d’airs parfumés et enveloppée de motifs lumineux colorés, alors qu’une personne en mauvaise santé sera perçue comme entourée de “mauvais airs sombres” (jakónma wíso níwebo) et recouverte de dessins déformés. Le processus de guérison chamanique est conçu comme un nettoyage des « airs sombres », réalisé notamment à l’aide de plantes odorantes, de fumée de tabac ou de parfums, projetés avec le souffle sur les corps des participants (soplada). Les chants jouent également un rôle essentiel : rythmés par la percussion de la chakapa et la maraca, ils permettent de convoquer les esprits végétaux et de rétablir l’harmonie des dessins qui recouvrent le corps du patient. »

Voyez la « bénédiction » de Puttany Yawanawà sur Ajay Banga de la Banque mondiale, Kristalina Georgieva du FMI, il y a de cela : les frottements rythmés des mains, le chant monotone, le souffle aux quatre vents puis sur les intervenants de la table ronde… Ce n’est pas une cérémonie à part entière, mais l’ossature de la chose est bien là, et a tout de l’invocation des esprits.

Et ça, ce n’est pas pour rire.

 

Jeanne Smits