Le don d’organes, par la vertu d’un amendement déposé par les socialistes Jean-Louis Touraine et Michelle Delaunay et légèrement réécrit, est en voie de devenir automatique : plus précisément, toute personne sera présumée avoir consenti au prélèvement de ses organes en France, sauf à s’inscrire sur un registre national du refus, si le projet de loi sur la Santé doit entrer en vigueur avec cette disposition.
La violence de cette nouvelle présomption de don est extrême. Le don, par nature, est un acte gratuit, volontaire, délibéré. En « présumant » le don, c’est-à-dire en supposant que toute personne majeure décédée « aurait voulu » faire don de ses organes, l’amendement socialiste en fait plutôt une sorte d’impôt, un droit de prélèvement au bénéfice de la collectivité.
Ce qui change ? Jusqu’à présent, le consentement du défunt était certes présumé, et l’inscription sur le registre des refus déjà possible. Tel est le régime aujourd’hui en vigueur : en pratique ce sont les proches qui apportent l’éclairage déterminant, et ce sont eux qui sont interrogés pour savoir quels sont les souhaits du donneur potentiel. Même si rien ne permet de connaître objectivement son hostilité au prélèvement, leur opposition suffit.
Le don d’organes pourra se faire même en cas de refus des proches
Même la « carte de donneur » n’est pas un élément suffisant pour passer outre à un refus de la famille ou des proches. Comme le signale le site dondorganes.org, cette carte est rarement retrouvée et elle n’a, de toute manière, « pas de valeur légale ». « Bien que la loi présume du consentement du défunt, en l’absence de signes clairs d’opposition au prélèvement d’organes, les médecins ne vont jamais à l’encontre de la décision prise par ses proches. Il faut rappeler que le décès est généralement brutal et les circonstances sont souvent dramatiques et éprouvantes pour les familles », rappelle le site qui est géré par l’Agence de la biomédecine.
Sous le nouveau régime, prévu pour entrer en vigueur à partir de 2018, tout prélèvement pourra être pratiqué sans l’avis des familles dès lors que le défunt n’a pas fait connaître son opposition. La famille sera dès lors simplement « informée » de la procédure de prélèvement, et non plus « consultée ».
Si le registre des refus est un moyen sûr et même le « principal » moyen de faire connaître son opposition, il ne sera cependant pas le seul, eu égard aux critiques suscitées par l’amendement Touraine-Delaunay : c’est Marisol Touraine, ministre de la Santé, qui a fait voter une modification du texte afin que la porte soit laissée ouverte à d’autres possibilités de manifestation du refus. Lesquels ? Cela ne figure pas dans le texte : ces modalités sont renvoyées à un décret du Conseil d’Etat qui devra être publié d’ici au 1er janvier.
Don présumé : augmentation de l’offre pour répondre à la demande
La demande de greffons ne cesse d’augmenter : les partisans du consentement présumé mettent en avant l’importance du nombre de personnes en attente d’un organe. Elles sont « 19.000 » aujourd’hui, alors que le taux du refus de don avoisine les 40%.
Il s’agit donc clairement d’aller contre la volonté des familles dont le cher disparu pourrait utilement passer sous le scalpel de l’équipe de prélèvement. Comme toujours, la transgression – car c’en est une – est justifiée au motif qu’elle pourrait « sauver des centaines de vies ».
C’est sans doute dans cette optique qu’il faut comprendre le rejet de l’amendement d’Arnaud Richard (UDI) qui souhaitait voir l’accord ou le refus du patient inscrit sur sa carte Vitale. Trop simple ?
Au-delà des mots et des bons sentiments, c’est en effet une logique utilitariste et matérialiste qui est à l’œuvre. Considérer tout défunt comme un donneur présumé, et même comme un réservoir à organes, revient à « réifier » son corps, et aussi à méconnaître les sentiments, le chagrin, les convictions de ceux qui restent ; à faire de la vie « un matériau qui se gère », selon les propos de Pierre Simon, ancien grand maître de la Grande Loge de France.
Les praticiens contre le consentement présumé
C’est ce qui a entraîné l’opposition de nombreux professionnels de santé : une pétition signée par 270 d’entre eux s’y oppose avec véhémence : « Une telle attitude sera vécue par les familles comme une négation de la personnalité et de la mémoire du défunt (…). Nous sommes convaincus qu’une telle modification de la législation aboutira à terme à une chute de cette activité et va entraîner la perte de confiance de la part des familles ainsi qu’une défiance vis-à-vis du personnel soignant. »
Bernard Debré, élu UMP et médecin, l’a exprimé ainsi dans l’hémicycle : « Votre article est très brutal pour les familles. Il faut faire l’inverse. Dire de son vivant qu’on est d’accord. »
On notera cependant que personne n’est contre le principe du prélèvement d’organes, et que même les plus hostiles au consentement présumé ne trouvent rien à redire à cette pratique, qu’elle consiste à récupérer des organes ou de tissus à l’arrêt total des fonctions, ou à prélever des organes vitaux, cœur battant.
Le registre national du refus : pour mieux faire honte aux récalcitrants ?
Certains organes ne servent à rien en effet s’ils ne sont pas fraîchement oxygénés et irrigués : c’est le cas du cœur par exemple, prélevé battant ou à quelques minutes après son arrêt constaté – selon les pratiques les plus récentes.
Pour que tous ces organes vitaux deviennent disponibles il a fallu redéfinir la mort : c’est à cette fin qu’ont été dégagés les divers concepts de « mort cérébrale », « mort clinique », « mort encéphalique », susceptibles de variations importantes d’un pays à l’autre et dans le temps. Les critères en sont très divers mais il y a une constante : le « mort », ventilé (mais expirant par ses propres moyens) a la peau rose, le cœur qui bat, la circulation sanguine qui fonctionne. Qu’il soit vraiment « mort » est fortement sujet à discussion. Une chose est sûre : une fois l’organe prélevé, il l’est nécessairement…
De tout cela, il n’a pas été question pendant les débats. On n’a même pas souligné la pression morale qui s’exerce à travers l’idée du registre national du refus, qui joue pourtant sur la honte de ne pas accepter de donner ce que l’on peut pour sauver une vie…
Prélèvement d’organes vitaux automatique : refuser d’être mis à mort ?
La loi autorisera-t-elle de prélever, contre l’avis des proches et sans accord explicite du « mort », des organes vitaux ? C’est bien pour cela qu’elle a été faite !
Une idée de ce qu’entraînera une telle situation est donnée sur le site « Le plus » du Nouvelobs : c’est une ancienne infirmière qui parle et qui s’indigne – sans être personnellement opposée à ce type de prélèvements – montrant combien ces situations sont déjà difficiles à vivre pour les proches :
« Savez-vous seulement où ont lieu ces “pourparlers” ? Le plus souvent, ils se passent dans des salles froides de service de réanimation, où les bruits de machines qui font survivre les corps couvrent celui des humains qui passent par là. (…) Les familles sont sous le coup du choc, car le plus souvent, c’est un accident qui les a amenés là. L’être aimé, l’enfant, le frère, la sœur, la femme, le mari, gît là. Ils viennent de le voir dans la chambre, étendu, respirant calmement, limite apaisé et les soignants sont en train de leur expliquer que non seulement, cette personne est morte, perdue à jamais de leur yeux rougis et de leur mains tremblantes, mais qu’en plus, ce serait chouette, oui sympa, même beau, qu’ils les laissent prélever les organes “disponibles”. »
Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi socialiste, les proches, les familles, les enfants, les parents, ne pourront même plus dire « non ».
Anne Dolhein