Ce 4 mars, les décrets tant redoutés de Trump sont entrés en vigueur : 25 % de droits de douane sont imposés sur l’ensemble des produits canadiens et mexicains (hormis les hydrocarbures canadiens à 10 %), et 10 % supplémentaires s’appliquent à tous les produits chinois déjà taxés à 10 %. Le 2 avril, ce sera au tour des « droits de douane réciproques » d’entrer en jeu : ils prévoient que les produits provenant d’un pays seront taxés en entrant sur le sol américain au même niveau que le sont les produits américains entrant dans ces pays.
Dans sa première allocution de deuxième mandat devant les deux Chambres du Congrès, ce même 4 mars, le président américain n’a pas craint de dire qu’il en résulterait quelques difficultés pour le peuple. Mais il a redit avec force, dans ce discours comme jamais à son image, la nécessité de ces décisions, à moyen et long terme, pour le pays et pour ceux qui l’habitent. A rebours du libre-échangisme forcené dont les règles ou plutôt l’absence de règles nuisent in fine aux pays développés, Trump tente de rebattre les cartes et de rééquilibrer les forces en présence.
Toute la presse démocrate, qu’elle soit américaine ou internationale, en éructe et accuse un dictateur. Oui, Trump a bien commis un crime de lèse-majesté… mais pas contre la Constitution : contre ceux qui prétendent dominer le jeu économique mondialiste.
Trump décide pour l’Amérique
Les droits de douane pourraient provoquer « quelques perturbations » dans l’économie américaine, « mais nous les acceptons », a déclaré mardi le président américain Donald Trump : si le bien final l’emporte, comme dans un traitement lourd dans le cas d’une grave maladie, les effets secondaires doivent être subis. « Les droits de douane vont rendre les Etats-Unis de nouveau riches et grands. [Ils] ne servent pas seulement à protéger les emplois des Américains, mais également à défendre l’âme même de notre pays. »
Ce sont près de 1.400 milliards de dollars de produits chinois, canadiens et mexicains entrant aux Etats-Unis, soit plus de 40 % des importations, qui sont désormais sujets à droits de douane.
Et pour les analystes démocrates, c’est une folie. John Carney, sur le média en ligne Breitbart, note la réaction de Maurice Obstfeld, hier, dans le Financial Times qui ne voit dans cette parade qu’une tentative malavisée promise à un échec retentissant. Pour lui, tout est une question d’épargne : si les Américains étaient plus économes et si le gouvernement fédéral contrôlait ses dépenses, le déficit commercial se réduirait et les emplois manufacturiers reviendraient.
Mais est-ce seulement vrai ?
« Des politiques mercantilistes étrangères qui truquent le système mondial en leur faveur »
Le fait est que nous sommes dans un monde de libre-échangisme forcené. Et que donc notre économie ne relève plus seulement d’une politique strictement interne. Pour John Carney, c’est évident : le déficit commercial n’est pas le fait de l’Amérique. Il est le résultat de politiques économiques étrangères conçues pour produire plus qu’elles ne consomment, c’est-à-dire qu’elles diminuent au maximum la consommation sur leurs propres terres et inondent les autres.
Et la première à laquelle on pense est bien évidemment la Chine communiste qui ne peut pas se targuer de laisser libre cours à son marché : sa politique industrielle est dirigée, son système bancaire contrôlé, et l’Etat intervient dans la monnaie. C’est précisément son intérêt que d’imposer des taux d’épargne élevés en supprimant les salaires, en limitant la richesse des ménages et en orientant le crédit bon marché vers les entreprises d’Etat plutôt que vers les consommateurs. Car cet excédent d’épargne ne reste pas en Chine mais s’écoule vers l’extérieur, et vers les Etats-Unis en particulier, « car ce pays possède les marchés de capitaux les plus ouverts au monde ».
Si ce déséquilibre commercial était le seul fait des Américains, il aurait fluctué depuis cinquante ans. Or, les Etats-Unis enregistrent des déficits commerciaux persistants depuis les années 1970 et le trou se creuse année après année, atteignant 1.200 milliards de dollars en 2024.
Les droits de douane : une réponse nécessaire au libre-échangisme mondialiste
Ainsi les droits de douane ne se révèlent plus un outil économique, selon John Carney, mais « une mesure défensive » dans un marché mondial faussé, visant à contrer les distorsions économiques étrangères, au-delà du simple argument de la lutte contre le fentanyl, brandi au départ par Trump. Si ce prétexte n’était pas complètement faux, il était loin de tout expliquer : le combat qui se mène est d’un autre ordre.
C’est une réelle question de souveraineté économique, face à l’usine du monde qu’est devenue la Chine, car ces droits de douane augmentés vont obliger Pékin à reconsidérer sa stratégie. Quant aux Etats-Unis, ils adopteront parallèlement une politique industrielle conservatrice faite de réductions d’impôts et de déréglementation pour renouer avec son indépendance.
Le mythe du libre-échangisme mondial apportant gloire et richesse à toute la planète s’en retrouve tout-à-coup brusquement écorné. Ce qui s’est réellement passé, c’est bien l’appauvrissement des classes petites et moyennes dans les pays occidentaux et le démantèlement de tout leur tissu industriel, au profit de certains pays du Sud qui ont su jouer de manière agressive dans l’arène qu’on lui offrait (car tel est l’objectif).
De « la chienlit mondialiste “laissez-fairiste” » (Maurice Allais)
Comme le rappelait à juste titre Jeanne Smits, dans cet article de RiTV, c’est exactement ce qu’annonçait le grand économiste Maurice Allais qu’on n’a jamais pu accuser d’être protectionniste. Pour lui, le libre-échange est possible, mais en répondant à certains critères bien déterminés, comme une constance des taux de change et une homogénéité des salaires, une culture de politique économique commune, et une attention précautionneuse à l’autosuffisance alimentaire ou aux impératifs de défense. S’ils ne sont pas respectés, la majorité des hommes en pâtissent automatiquement à terme.
« Au nom d’un pseudo-libéralisme et par la multiplication des déréglementations, on installe peu à peu une espèce de chienlit mondialiste “laissez-fairiste” » qui en tire tout le profit, écrivait-il, en 2002, dans un ouvrage collectif. « Mais les intérêts de ces groupes ne sauraient s’identifier avec ceux de l’humanité tout entière. Une mondialisation précipitée et anarchique ne peut qu’engendrer partout chômage, injustices, désordres et instabilité, et elle ne peut que se révéler finalement désavantageuse pour tous les peuples dans leur ensemble. (…) En dernière analyse, dans le cadre d’une société libérale et humaniste, c’est l’homme qui constitue l’objectif final et qui doit constituer la préoccupation essentielle. C’est à cet objectif que tout doit être subordonné. Les perversions du socialisme ont entraîné l’effondrement des sociétés de l’Est. Mais les perversions “laissez-fairistes” d’un prétendu libéralisme nous mènent à l’effondrement des sociétés libérales. »
Trump tente d’en protéger l’Amérique – même si à l’intérieur du pays, les GAFA et autres gros poissons de l’élite financière jouent leur propre partition.