Le Congrès américain devrait finaliser en fin de mois un large accord sur les réductions d’impôts et le rapatriement des capitaux, ce qui risque d’entraîner l’un des basculements les plus profonds dans le système financier moderne. Le paquet législatif issu des deux chambres réduira l’impôt sur les bénéfices de 35 % à 20 % (il est de 33,33 % en France), doublera le seuil de l’impôt sur le revenu, favorisera le rapatriement de capitaux. Ce stimulus fiscal à 1.400 milliards de dollars sur dix ans pose une série de questions complexes. Ses premiers effets seront concentrés au moment même où l’économie américaine achève sa convalescence et qu’elle est guettée par la surchauffe, relève Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph. En ajoutant le rapatriement de capitaux offshore, la loi pourrait heurter de plein fouet le marché du crédit. Les effets de la réforme fiscale de Trump font l’objet de spéculations divergentes.
Réforme fiscale : Simon Derrick voit un rebond du dollar, Adam Posen redoute l’inflation
Simon Derrick, de BNY Mellon, estime que cette réforme Trump pourrait pousser la Réserve fédérale américaine à ralentir son assouplissement quantitatif, déclenchant un rebond du dollar. La proposition de rapatriement des capitaux offshore des entreprises américaines (2.600 milliards de dollars) à un taux de taxation exceptionnel de 14 % va inonder le marché de liquidités. Derrick relève que le différentiel de taux entre les bons du trésor américains et allemands à 10 ans – critère clé pour le taux euro-dollar – s’est accru de 205 points de base. Ce qui impliquerait une appréciation de 10 % de la devise américaine.
Pour Adam Posen, du Peterson Institute, le paquet législatif constitue « une vaste baisse d’impôts non financée ». Le stimulus net sur le PIB serait de 0,8 points en 2018 et de 0,9 en 2019, survenant en haut du cycle alors que l’économie fonce à toute vapeur avec une croissance annualisée de 3 % au 4e trimestre. « Nous sommes proches du plein emploi et il va y avoir un boom, avec beaucoup plus d’inflation qu’attendu », dit-il, ajoutant que « la Fed est dépassée ». Pour M. Posen, le risque est que le dollar soit poussé à s’évaluer à des niveaux paralysant les marchés, rappelant le mix « baisses d’impôts-argent rare » de Reagan, qui avait mené à un dollar surpuissant, faisant exploser les déficits commerciaux par l’envol des importations et la limitation des exportations. Soit l’opposé de ce que vise Donald Trump et qui pourrait le pousser à un virage protectionniste dans deux ans.
Pour Donald Trump, urgence à rapatrier les 257 milliards de dollars offshore de Google
Pour autant, l’intention de Trump est respectable. Les entreprises américaines détiennent des capitaux démesurés à l’étranger car les bénéficies n’y sont pas justiciables des impôts américains. Apple tient ainsi au frais 257 milliards de dollars, Google 126 milliards, Microsoft 84 milliards, Cisco (serveurs et réseaux) 68 milliards. La plupart de ces capitaux offshore sont libellés en dollars. Mais on ignore, pour les autres entreprises, quel montant de leurs capitaux offshore sont libellés en euros, livres sterling, yens ou yuans : 20 % de 2.600 milliards selon Goldman Sachs ou 54 % selon le Congrès ? De la réponse dépendra pour beaucoup l’évolution du taux de change du dollar.
Autre question : que feront les entreprises de ces capitaux rapatriés ? Selon les enquêtes, elles ne placeront pas l’investissement en tête, contrairement à ce qu’espère Donald Trump : 65 % réduiraient leur endettement, 46 % rachèteraient leurs actions, 42 % lanceraient des fusion-acquisition.
Rapatrier les 25.000 milliards de dollars offshore, un choc sur le crédit ?
Par ailleurs, le monde de la finance est très sensible aux évolutions du dollar. La Banque des règlements internationaux estime que les sommes offshore libellées en dollars ont grimpé à 10.700 milliards. 14.000 autres milliards sont cachés dans des dérivés et de contrats swap. Ces 25.000 milliards sont inédits dans l’histoire. La BRI met en garde contre une hausse des taux qui entraîneraient à la fois une hausse du cours du dollar et durcirait les conditions d’emprunt dans le monde. Cela dans un contexte où les taux d’endettement sont au plus haut et où la Fed ralentit son assouplissement quantitatif… De ce fait, le rapatriement des dollars pourrait, estime Ambrose Evans-Pritchard, entraîner un choc planétaire sur le crédit si les capitaux rapatriés sont déjà libellés en dollars, ces derniers étant à ce jour utilisés pour des financements d’entreprises à court terme. Pour Posen, si ces capitaux rentrent aux Etats-Unis, on asséchera les marchés de crédit offshore sans renforcer le marché du crédit aux Etats-Unis car la Fed devra accélérer sa remontée des taux.
Ambrose Evans-Pritchard : « Personne ne connaît en fait les effets de ces variables »
« Personne ne connaît en fait les effets de ces variables complexes », concède toutefois Evans-Pritchard. James Knightley, d’ING, relativise : si la taxation maximale des bénéfices des entreprises aux Etats-Unis est actuellement de 35 % et que sa réduction à 20 % paraît gigantesque, il faut aussi savoir que la plupart ne paient d’ores et déjà que 26 à 28 % après déductions. Un institut fixe même cette imposition réelle à 21 % ! Pour Steve Blitz de TS Lombard, le stimulus fiscal n’aura même pas d’effet majeur et l’effet sur le dollar n’est pas évident du fait que l’Europe et le Japon sont en train de se redresser. Des opérations complexes sur les marchés des dérivés incitent à penser que l’euro va même se renforcer. Quant à l’exemption fiscale relative sur les capitaux rapatriés (14 %), elle n’a rien à voir avec celle de 2005 qui était totale.
Ambrose Evans-Pritchard n’a finalement qu’une certitude : « La réforme n’est pas suffisante pour éviter de franchir la limite légale d’endettement en 2020. L’interminable saga de budgets au bord du gouffre va continuer à Washington. Les Etats-Unis sont chroniquement incapables de vivre en fonction de leurs moyens. »