Tout ça pour ça, soupire le bon sens populaire ! Les Européennes, deux tours de législatives, des semaines de guerre civile contre « l’extrême droite » supposée, des déclarations enragées à l’extrême gauche, des tractations non moins enragées à l’extrême centre pour en arriver à l’élection de Braun-Pivet au perchoir ! Un bis de 2022, avec encore moins de majorité, encore plus instable. Macron, vilipendé par ses amis et ses ennemis depuis le 9 juin en des termes les plus violents, tient sa victoire, une victoire qui le met, lui, dans une situation plus difficile qu’avant, mais qui dépasse sa personne. Une victoire qui installe dans les mentalités et dans les usages un centre consensuel abrité sous l’aile du politiquement correct, mettant un terme à la cinquième République et ce qui subsiste d’instrument de la souveraineté française. C’est la victoire du chaos et du gouvernement par le chaos. La victoire des magiciens de l’arc-en-ciel dont le chef de l’Etat n’est plus en fait que le préfet délégué.

La gauche nous prend-elle pour des imbéciles ou est-elle amnésique ?

Ça crie, ça couine, ça grince, à l’extrême gauche et à gauche ! Election volée ! Déni de démocratie ! Alliance contre-nature ! Victoire des combines ! Le peuple privé de parole ! Mélenchon encore plus rubicond de colère que d’habitude. Le PC chauffé à blanc. Olivier Faure lui-même privé pour une minute de son habituelle pâleur blême. Ah, les braves gens ! L’air a semblé un moment leur manquer mais eux ne manquent pas d’air. Nous prennent-ils pour des imbéciles ou le sont-ils vraiment eux-mêmes ? Oublient-ils qu’ils doivent eux-mêmes leurs sièges à un grossier arrangement (les désistements « antifascistes ») qui a précisément privé le peuple de son vote et relégué à la troisième place le gagnant en voix, i.e. le RN ? Ou espèrent-ils que nous l’ayons oublié, les Français ont la mémoire si courte ! Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que le Nouveau Front populaire veut bien qu’on s’assoie sur la démocratie, à condition que cela lui profite, comme le 7 juillet, mais pas quand Macron et sa Braun-Pivet en profitent, comme le 18. Le volet français de la politique est au fond assez simple à comprendre.

Le désastre français n’est pas dû à Macron, mais aux magiciens qui le dirigent

Et Macron est un grand tacticien. Il l’a prouvé en surprenant tout le monde en 2017, François Hollande en premier, et en se maintenant en selle depuis sept ans dans les pires crises. Récemment, ses ennemis jusqu’à Mathilde Pannot et ses amis jusqu’à Gilles Legendre pensaient qu’il avait perdu la main, qu’il jouait la France au poker, qu’il était déconnecté, etc. Et ils commençaient à relever ses échecs comme un épicier de jadis dressait sa liste d’achats avant de partir pour les halles. Comme s’il était responsable des difficultés de l’agriculture, de la désindustrialisation, de la désastreuse transition écologique et de ses conséquences économiques. C’est une erreur d’analyse à la fois fondamentale et enfantine. Le mécontentement populaire est fort, c’est un fait, il se porte sur Macron, c’est un autre fait, mais la politique qui le cause vient de beaucoup plus haut que Macron, il vient des magiciens de l’arc-en-ciel qui ont entrepris de changer le monde, d’appauvrir relativement le Nord pour reverser au Sud richesses et savoirs, et d’organiser tout autour de la planète un vivre ensemble inclusif sans frontières.

Super tacticien, Macron a planté toute la classe politique

La fonction de Macron, dans ce vaste plan, comme celui des autres dirigeants européens, est d’amener le peuple français à y consentir, vaille que vaille, malgré ses ruades et ses humeurs, sans vider les étriers. Or il se trouvait confronté à un phénomène terrible : l’érosion apparemment irréversible de la peur de l’extrême droite, étant donné la normalisation de plus en plus visible et réelle du Rassemblement National d’une part, et la croissance de l’exaspération populaire de l’autre. Le résultat des élections européennes l’a montré. Face à cela, la dissolution de l’Assemblée nationale était le seul coup jouable, et en même temps un coup gagnant. Profitant de la désunion et de la faiblesse des gauches, il leur a permis de se refaire (en même temps qu’il sauvait ses propres meubles) grâce aux désistements réciproques. Mais en même temps il avait pris soin de relever avec des trémolos d’indignation dans la voix les « dérapages », nombreux, de la France insoumise.

L’élection de Braun-Pivet sonne la fin de la Vème

Et voilà qu’après avoir battu l’extrême droite avec la gauche et la droite, il bat la gauche et la divise grâce à la droite. Le jeu qui consistait à étouffer la voix du peuple grâce à un épouvantail, l’extrême droite, inventé par Mitterrand et Chirac en 1984, ne fonctionnant plus très bien, il en donne une variante plus subtile, à deux épouvantails, un majeur, le RN, l’autre mineur, LFI. Et le résultat, au lieu de produire, conformément aux habitudes de la cinquième République, une alternance « droite » « gauche », est de produire une grande coalition des centres, façon allemande, ou façon quatrième République. Le régime fondé par le général de Gaulle pour le meilleur et pour le pire est mort. Vient le temps du chaos assumé, des consensus négociés dossier par dossier, des « majorités d’idées » chères à un président du conseil des années cinquante, Edgar Faure. D’un consensus évidemment fondé sur une parenté idéologique, sur l’inclusion, la créolisation, l’arc-en-ciel.

Victoire de l’arc-en-ciel, sauf si le peuple comprend les signes

Peut-être le sort de Macron à l’Elysée sera-t-il inconfortable : qu’importe, puisque son destin historique aura été rempli. Et celui de la France interrompu. Philippe de Villiers n’a pas toujours été aussi courageux que ses admiratrices le disent, mais il n’a pas tort de dire qu’aujourd’hui le pronostic vital de notre pays, et de notre civilisation, est engagé. Il subsiste cependant une chance de survie, c’est que le peuple continue à crier malgré les baillons, et qu’il se déprenne des illusions qu’on agite pour le détourner de sa voie. Des images peuvent y aider. Je pense à Manon Aubry, la cheftaine des Insoumis aux Européennes et ses philippiques contre l’Union européenne censément hyperlibérale, qui s’est jetée tout sourire dans les bras d’Ursula Von der Leyen pour féliciter celle-ci de sa réélection à la tête de la Commission de Bruxelles. Jusqu’à quand abuseront-ils de notre patience ? Jusqu’à ce que le professeur de collège et le paysan communiste de l’Allier comprennent ce que de telles images signifient.

Pauline Mille