Ils n’y croyaient pas. Malgré les sondages convergents. Les médias parisiens et les hommes qui tiennent le crachoir en France prédisaient à demi-mots ce qu’ils souhaitaient, la défaite de Donald Trump et l’élection de Kamala Harris. Ils croyaient à l’histoire qu’ils s’étaient racontée en août après le retrait de Biden : un vent de nouveauté démocrate faisait de Trump un vieillard aigri, excessif, brutal, fou, fasciste. Ils niaient ainsi la colère des Américains et la nullité d’Harris. La gauche est triste et désorientée de perdre le pouvoir. Mais la droite ne comprend pas mieux. Elle pense de façon partielle, partiale et partisane. Elle célèbre la « mort du wokisme ». Elle n’a pas compris la vraie nature de la révolution en cours. Les uns adulent Trump comme d’autres Poutine, certains les deux en même temps. Or, si l’on regarde aux USA qui a élu Trump, et à l’extérieur comment ont réagi Ursula Von der Leyen, Zelensky et le Kremlin, on se rend compte que l’arc-en-ciel n’est pas mort, et que ses voies sont plus détournées qu’une analyse superficielle ne le dit.
Le very bad trip de la gauche arc-en-ciel
La gauche française et ses médias font peine à voir, dans leur mauvaise descente d’un very bad trip d’auto-intoxication. Tirer un nom de cette bouillie serait lui faire bien de l’honneur et exonérer ses petits camarades de leur part de sottise. On mentionnera cependant le Canard Enchaîné, qui n’est plus qu’un dépotoir de la délation et du conformisme social, moral et politique, géré par de vieux détenteurs de rentes de situation. Il a le malheur de paraître le mercredi et devait donc ou bien ne rien dire, ou se placer au-dessus de la mêlée de l’élection américaine ou faire un pari : il a fait le mauvais, tant dans son édito que dans deux ou trois mauvais dessins. Tous les poncifs y sont passés : Trump s’accrochant, des recomptes interminables, ou bien le système des grands électeurs démentant le vote populaire. Pas de chance, la fessée magistrale reçue par les démocrates tant en voix qu’en sièges ou au Sénat balaye cette rhétorique de l’aveuglement. Les petits hommes qui ricanent ne l’ont pas mieux compris que les petits hommes qui font la morale : le peuple américain dans les urnes, comme les peuples anglais, français, allemand, dans les rues, en a assez de leurs mensonges et de leurs folies.
Une élection triomphale, un Trump ambigu
En 2016, Trump récoltait trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton, il dépasse aujourd’hui Kamala Harris de cinq millions. Le Sénat et la chambre des représentants sont désormais républicains. Il n’y a pas photo. En gros, tout le pays a voté Trump sauf la côte nord-est et la côte nord-ouest. Les grandes villes, les diplômés, les femmes, ont voté Harris, le reste Trump. Sans doute la démocrate a-t-elle séduit plus de 80 % des Noirs, mais Trump n’est plus seulement l’élu des mâles blancs, il a grignoté les Latinos, les Asiatiques, et les « autres ». En gros, l’arc-en-ciel a voté contre lui, par réflexe bobo, mais l’élection, d’après les sondages à la sortie des urnes, s’est faite sur autre chose : la vie économique. C’est dire que l’élection de Trump est fragile, il n’a pas droit à l’erreur. Jeanne Smits a bien décrit hier les espoirs que suscitent l’homme, un peu moins de migrants, un peu moins d’impôts, un peu plus de bon sens, mais aussi ses limites, et l’ambiguïté de ses soutiens, en particulier le plus brillant d’entre eux, Elon Musk. Cela nous rappelle que sa victoire n’est pas idéologique.
La nature géopolitique des félicitations diplomatiques
Et les félicitations que Trump a reçues pour son élection ne le sont pas plus. Les géants de la tech sont contents, comme ils l’étaient avant. A l’étranger, Poutine wait and see. Lui qu’on avait tant accusé de faire l’élection de Trump n’a pas prévu de le féliciter, il le « jugera sur ses actes », les USA restant un pays « inamical ». Le contraste est fort avec Volodymir Zelensky, dont les chaleureuses paroles espèrent un soutien plus puissant des Etats-Unis et la paix par « la force ». Bigre ! Comment Trump va-t-il s’y prendre, lui qui avait promis de ramener cette paix « en vingt-quatre heures » grâce à ses bonnes relations avec son « ami » Poutine ? On le verra bien. Après avoir souri des pronostics de mes confrères je me garderais bien de les imiter. Mais il faut citer une autre réaction, celle d’Ursula von der Leyen sur X : « Je félicite chaleureusement Donald J. Trump. L’UE et les Etats-Unis sont plus que de simples alliés. Nous sommes liés par un véritable partenariat entre nos peuples. »
Coup de génie de l’arc-en-ciel : la guerre substitut à la guerre !
C’est que le « milliardaire » Trump n’est pas seulement un voyou imprévisible sexiste et factieux, c’est aussi désormais le président élu de la première puissance mondiale. La présidente de la commission européenne et le chancelier socialiste Olaf Scholtz font patte de velours. L’Europe, Allemagne comprise, sait qu’elle est désormais hors du coup : c’était la fonction de la guerre d’Ukraine d’achever sa mise à l’écart. Etant donné la situation sur le terrain et la situation diplomatique fixée par les accords de Minsk, beaucoup se sont demandé à quoi servait cette guerre. Sans trouver de réponse satisfaisante. Jusqu’en 2022, nous savions que le mondialisme arc-en-ciel depuis son origine avance grâce à des « crises » systémiques caractérisées par un ennemi commun qui sont des substituts à la guerre. Par exemple la « lutte pour le climat et la préservation de la planète ». Ou la défense des femmes, de leurs « droits reproductifs », des minorités sexuelles et transgenres. Ou le covid. Ou la lutte contre le racisme et les discriminations.
L’élection de Trump survient quand l’Ukraine a fini sa mission
Le coup de génie de la guerre d’Ukraine est de faire rentrer dans ce mouvement nourri de substituts à la guerre la guerre elle-même, une guerre modérée, régulée, lieu d’expérimentations pour les puissances opposées – cependant meurtrière et destructrice. Comme le covid et la transition écologique, la guerre en Ukraine détruit de la valeur. Comme eux, elle promeut la gouvernance mondiale à travers ses embryons continentaux : elle a ranimé l’OTAN « en état de mort cérébrale » (Macron) et rafistolé l’Union européenne en butte au groupe de Visegrad. Elle a fait le job. Elle a coupé les ponts (et les oléoducs) entre l’Europe et la Russie, rejetée vers l’Est. En somme notre continent est durablement marginalisé, mais le mondialisme a préparé d’autres voies. Pour éviter la chute de la Russie, Poutine ne s’est pas exclusivement jeté dans les bras de Xi Jinping, il développe les BRICS comme jadis De Gaulle avait joué les pays non-alignés.
Depuis son élection revanche, Trump a changé de nature
Depuis son élection Trump ne doit penser qu’aux intérêts des Etats-Unis, plus à ses promesses de candidat, comme Louis XII accédant au trône le comprit : « Le roi de France ne venge pas les querelles du duc d’Orléans. » La revanche éclatante qu’il vient de prendre sur l’Establishment lui libère les mains en Ukraine. D’ailleurs, si l’industrie américaine d’armements a besoin de débouchés, elle les a déjà trouvés du côté de l’Asie. La Chine multiplie les provocations militaires non seulement à Taïwan, mais dans toute l’Asie du Sud-Est, vis-à-vis des Philippins, des Vietnamiens et jusqu’en Indonésie. Et cela sans parler des incursions dans les mers de l’extrême nord. Pour l’instant, Poutine, nécessité faisant loi, l’y accompagne. Mais il ne serait peut-être pas attristé qu’on limite un allié si pesant. Tout est encore en gestation, mais une chose est sûre : la guerre en Ukraine a rempli la fonction historique que lui avait impartie l’arc-en-ciel, tout le monde en est lassé, le temps va venir de passer à autre chose, même s’il faut encore écouler du matériel et trouver des compromis pratiques.