L’emploi est déjà menacé par l’IA, constatent les développeurs d’algorithmes

 

Anthropic, l’entreprise qui a créé le grand modèle de langage Claude, vient de publier un rapport selon lequel 77 % des entreprises qui ont adopté leur algorithme s’en servent pour l’automatisation des tâches plutôt que pour favoriser l’apprentissage chez leurs employés, ou encore permettre à ces derniers d’avoir des retours sur leur travail. En fait, et comme on s’y attendait, l’IA sert surtout à écarter l’homme du travail et à prendre sa place.

Les données obtenues par Anthropic – directement à partir des rapports automatisés d’utilisation de son algorithme – sont corroborées par un sommet « tech » que le Wall Street Journal a organisé la semaine dernière. La saturation des entreprises qui intègrent l’IA dans leurs dispositifs est en pleine augmentation. Certains intervenants, lors de la conférence qui s’est déroulée mardi dernier à New York, parlent aujourd’hui de « réimaginer les forces de travail en fonction des compétences et des capacités, plutôt que de faire un simple comptage des employés », selon le quotidien. En clair, cela veut dire qu’il est tout à fait possible de réduire le nombre de personnes au travail dès lors que l’IA prend leur place.

 

Emploi menacé : les processeurs graphiques à la place d’ingénieurs ?

Pour Apoorv Agrawal, partenaire d’une société d’investissement qui s’est exprimé lors de la réunion, la question qui se posera bientôt dans les entreprises sera de savoir si on veut allouer des fonds à l’embauche d’ingénieurs ou se contenter d’acheter davantage de processeurs graphiques pour l’IA.

On estime à 10.000 le nombre d’emplois déjà perdus au cours de 2025, depuis que l’IA a été intégrée effectivement par les entreprises. Certes le marché de l’emploi est sous tension, mais on s’accorde à dire que l’homme est déjà en train de se faire remplacer. Sam Altman, PDG d’OpenAI, a beau jeu de se vanter de ce que le service client humain est voué à l’extinction grâce aux robots IA : son entreprise ne peut qu’y gagner… au contraire des employés en chair et en os, et d’ailleurs des clients frustrés par l’absence de réponse humaine à leurs questions. D’autres secteurs sont menacés, tels que le développement de logiciels et les métiers de la finance.

Il est à noter que les postes les plus menacés – on a envie de dire « pour le moment » – sont aujourd’hui ceux de jeunes qui entrent sur le marché du travail. Ainsi le PDG d’Anthropic, Dario Amodei, a-t-il annoncé que la moitié des emplois de bureaux débutants pourraient avoir disparu d’ici à 5 ans, avec une augmentation du chômage de 10 à 20 %. Ce qui ne l’empêche nullement de vendre son modèle Claude aux employeurs…

Faut-il croire le média Futurism, selon lequel une telle situation pourrait avoir des effets pervers pour les entreprises alors que les modèles d’IA sont actuellement loin d’être parfaits, et qu’en tout état de cause elles regretteront de ne pas avoir embauché des jeunes pour renforcer leurs équipes sur le long terme ?

 

Les développeurs d’IA savent qu’ils rendent l’homme obsolète

De telles mises en garde semblent oublier que les modèles se perfectionnent et que les algorithmes risquent fort de devenir de plus en plus efficaces jusqu’à prétendre à l’autonomie. Avec un tel outil, la question est plutôt de savoir quand ils rendront l’homme obsolète, si celui-ci continue à les renforcer à une vitesse vertigineuse. Le contre-modèle de société vers lequel nous nous précipitons est pleinement et délibérément choisi. Un choix fait non par la majorité de l’humanité, mais par quelques sociétés qui acceptent l’idée de changer la face du monde et son fonctionnement où l’homme gagne sa subsistance par son propre travail et vit à travers ses relations avec autrui.

Le rapport rendu public par Anthropic que nous évoquions au début de cet article montre bien comment ces nouvelles technologies peuvent affecter l’économie. L’IA est souvent vantée comme un moyen d’aider les travailleurs humains à progresser et à avoir des conditions de travail plus agréables. Mais on voit bien que c’est la mécanisation qui prend déjà le dessus, alors que l’IA n’en est qu’au stade du balbutiement, alors qu’elle rend déjà Inutile la présence humaine pour de nombreuses tâches.

De nombreux utilisateurs du grand modèle de langage Claude lui accordent de plus en plus d’autonomie. On est ainsi passé en huit mois de 27 à 39 % des requêtes au LLM pour la réalisation de bout en bout des tâches déléguées à Claude.

 

Les bonimenteurs de l’IA amie de l’homme

Futurism tempère cependant ces annonces en disant que la Silicon Valley a tendance à surévaluer l’impact futur de l’IA. Il faut dire que le média, tout en soulignant les ratés ou les dangers de l’intelligence artificielle, est délibérément partisan de ses innovations et minimise volontiers ses aspects négatifs. La réalité est pourtant bien celle de la difficulté inattendue aujourd’hui de trouver des emplois dans des secteurs qui naguère multipliaient les embauches.

Pour en prendre la température, il suffit de visiter régulièrement le site du Forum économique mondial weforum.org. Cela fait des années que celui-ci s’appesantit sur la quatrième révolution industrielle, que son ancien président, Klaus Schwab, définit comme l’ensemble des nouvelles technologies qui fusionnent les mondes physique, numérique et biologique, par le biais de l’augmentation du cerveau humain et l’apparition de ressources, et l’apparition de robots intelligents. « Une révolution qui se met en place à une vitesse exponentielle », assure le fondateur du Forum.

Le site mettait en avant dès la sortie des confinements covid l’exemple de la Corée du Sud où les baristas robotisés, la médecine à distance et les voitures sans conducteur deviennent de plus en plus normaux (dans un pays où le taux de natalité est en dessous d’un enfant par femme, cela fait partie de l’équation). On y avançait vers la société du « non-contact » à travers l’automatisation, notait le site du Forum économique mondial, saluant en quelque sorte une grande avancée.

 

Quand l’IA menace l’emploi, le Forum de Davos imagine des « solutions » collectivistes

Pas plus tard que la semaine dernière, on y mettait en avant la montée des robots industriels plus intelligents et plus agiles, capables de répondre aux défis de la montée des coûts et de la pénurie de travailleurs. Bien sûr, il était aussi question de la création de nouveaux emplois plus qualifiés grâce à ces évolutions. Mais on y comprend surtout que ce qui jusqu’ici était impossible, à savoir l’utilisation de robots pour des tâches variées et non plus seulement pour réaliser des mouvement répétitifs et prédéfinis, commence à dessiner l’avenir grâce à la « Physical AI ». Les robots pourront « percevoir, apprendre et répondre à des changements de plus en plus complexes en réalisant un plus grand nombre de tâches », se réjouit le Forum.

Il y est aussi régulièrement fait mention du revenu universel ou du nouveau prolétariat sans travail que l’IA va faire naître, et qu’il va bien falloir aider à vivre. On y appelle cela le « précariat ». Les réponses proposées dans cette tribune du 20 août dernier par Maha Hossein Aziz, professeur de relations internationales à l’Université de New York, sont un cauchemar d’étatisation ou de collectivisation prévisible : accès universel aux services de santé mentale, mise en place de « filets de secours sociaux réimaginés », mise en place du revenu universel, de soldes civiques ou de garanties de l’emploi, ainsi que la formation continue à vie associée à « l’appartenance à vie ». Ce dernier sentiment un peu obscur semble devoir découler de l’engagement des désœuvrés dans les projets civiques, les activités créatives ou les réseaux de partage de connaissances, organisés par ceux-là même qui rendront peu à peu l’homme obsolète. Ce sera la dystopie ultime.

 

Jeanne Smits