Entente sur les prix : près de 200 millions d’euros d’amende pour dix fabricants de produits laitiers

Entente sur les prix : près de 200 millions d'euros d'amende pour dix fabricants de produits laitiers
On parle du « cartel du yaourt ». Trois ans et demi d’enquête ont été nécessaires à l’Autorité de la concurrence, pour condamner à la coquette somme de 192,7 millions d’euros, dix fabricants de produits laitiers frais sous marque distributeur (MDD), pour entente sur les prix entre 2006 et 2012. Sont visés, par cette amende, les plus importants groupes laitiers, à l’exception notable de Danone : Yoplait, Senagral, Lactalis (associée à Nestlé), Novandie, Maîtres Laitiers du Cotentin, Laïta, Alsace Lait, Laiterie de Saint Malo, Yeo Frais et Laiterie H. Triballat.
 
Il a été clairement établi « des contacts et des réunions physiques entre sociétés concurrentes visant, d’une part, à coordonner des hausses de prix appliquées aux clients distributeurs et, d’autre part, à se répartir les clients et les volumes de produits dans le cadre d’appels d’offres lancés par les distributeurs », grâce à des accords anti-concurrentiels. Sans oublier des argumentaires tout prêts sur l’augmentation des matières premières – lait, sucres, fruits – pour justifier ces hausses.
 

Impact de cette entente

 
Une opération rondement menée. Les entreprises sanctionnées se réunissaient dans des hôtels réservés à tour de rôle par les principaux chefs de file du marché et même parfois dans un appartement familial du directeur général de Novandie. Portables secrets, au nom des conjoints, notes prises à la main…
 
En 2011, par exemple, deux hausses successives ont été coordonnées. Décision avait été prise d’annoncer aux clients une hausse de 8 % avec pour objectif d’obtenir réellement une hausse de 6 % et une hausse moyenne cumulée sur 2010/2011 de l’ordre de 10 %… « Le libre exercice de la concurrence » n’a pas été respecté.
 
Tous les distributeurs français ont subi les conséquences de cette entente qui a conduit à une augmentation des tarifs de gros « estimée entre +2 et +7 % » par l’Autorité. L’impact sur le consommateur est plus difficilement mesurable, du fait de la fixation finale des prix par les GMS (grandes et moyennes surfaces), libres de réduire ou non leurs marges.
 

Zéro amende pour Yoplait

 
Tous devront mettre la main au porte-monnaie ! Enfin pas tous… Cette condamnation, rendue publique le 12 mars, n’a été permise que par la dénonciation du 2ème plus gros participant de cette fraude : Yoplait. C’est en accord avec son actionnaire majoritaire, l’américain General Mills, qu’il s’est rendu, le 12 août 2011, dans les locaux de l’Autorité de la concurrence, pour lui remettre le « carnet secret » de son salarié où étaient soigneusement consignées toutes ces manœuvres. Une procédure de délation qui lui permettait de bénéficier de facto d’un régime de clémence et ainsi d’échapper à toute amende…
 
Craignant la suite, Senagral, le premier incriminé dans cette affaire, a été vendre aussi la mèche, le 22 février 2012. Ce qui a fait passer sa sanction de 100 millions d’euros à 46 millions d’euros… Yoplait, a été, lui totalement exonéré.
 
Ce qui doit rester quelque peu sur le cœur des autres participants, notamment des plus petits. Le caractère quadripartite de l’entente a été pourtant clairement mis en lumière : seuls les représentants de Yoplait, Senagral, Novandie et Lactalis prolongeaient, dans un cadre privé, des échanges professionnels secrets. Encore une fois, ce sont les plus gros qui s’en tirent. On imagine sans peine, aujourd’hui, l’ambiance inter-concurrents.
 

Les fabricants de produits laitiers contre les GMS

 
La structure du marché explique – sans absoudre – ces tentatives d’entente, en marge du fonctionnement officiel. Les fabricants de produits laitiers se situent en effet au milieu de la chaîne, coincés entre le prix du lait, dont la production est strictement régie par des réglementations spécifique de l’Union, et les Grandes et Moyennes Surfaces qui font la pluie et le beau temps. Si les producteurs ont le droit de répercuter en aval de la filière les hausses de prix, aucun dispositif de cette nature n’existe en faveur des fabricants de produits laitiers qui doivent donc faire face aux fluctuations de leur principale matière première, sans être sûrs de pouvoir les répercuter dans le cadre de leurs négociations avec la grande distribution…
 
Et 92 % des ventes au détail de yaourts, fromages frais, crèmes fraîches, et dessert lactés sont réalisées en grandes surfaces alimentaires pour ce marché estimé à 5 milliards d’euros en 2013. Le pouvoir des GMS, une fois de plus, est énorme. Pour ces fabricants, c’est pourtant la sortie obligée.