Doucement, au vu des lourdeurs administratives qu’une telle entreprise peut représenter, l’Espagne avance son remboursement des amendes qui avaient été infligées à ses ressortissants tout au long du confinement lié à la crise covid. Rappelons que non seulement elle est le pays qui a le plus confiné ses habitants (confinement strict, sans pouvoir se promener, entre le 14 mars et le 21 juin) mais elle fait aussi partie de ceux qui les ont le plus verbalisés, cumulant 1.142.127 amendes, en l’espace de trois mois.
Dès 2020, une partie de ces sanctions avaient été annulées par certains tribunaux. Et le 14 juillet 2021, c’était la Haute Cour espagnole qui déclarait inconstitutionnelle l’imposition du confinement à domicile, donc a fortiori toutes les amendes tirées du non-respect de cette mesure. Aujourd’hui, le nombre d’amendes remboursées par l’Etat s’élève à plus de 90.000.
On parle de la première phase de l’effet juridique de l’arrêt de la Haute Cour. Assistera-t-on à une réévaluation de cet épisode dramatique pour les libertés individuelles ? Partout ou presque, en Europe, le débat a été refusé, le processus a été imposé, la liberté de circulation annulée. Alors même que ces confinements, non seulement n’ont servi à rien mais ont eu des impacts délétères sur toute la société surtout sur ceux qui n’avaient rien à craindre du covid, à savoir les enfants.
L’affaire est loin d’être évidente. Car la démarche espagnole est avant tout juridique : l’outil utilisé par le gouvernement pour imposer le confinement, à savoir l’état d’alerte, n’était pas le bon.
Inconstitutionnalité : pas d’amende ni de peine si vous n’avez pas commis de délit
L’Espagne connaît trois niveaux pour le régime de l’état d’urgence, qui sont, par ordre d’importance, l’état d’alerte, l’état d’exception et l’état de siège. Or le gouvernement a utilisé le cadre de l’état d’alerte pour imposer les restrictions sanitaires dont le confinement, alors que cette mesure extrême, à savoir une suspension du droit fondamental à la libre circulation aurait dû relever du cadre de l’état d’exception.
Pourquoi n’a -t-il pas été décrété ? Parce que le fait d’imposer un état d’exception nécessitait de passer par le Parlement, alors qu’un simple état d’alerte permettait d’être décrété tout de go et mis en œuvre directement par le gouvernement : l’Etat a outrepassé son droit pour imposer sa loi. C’est ce qu’a condamné la Haute Cour.
Grâce à cette décision judiciaire, toutes les personnes qui ont été condamnées pour infraction aux règles peuvent demander à récupérer l’argent versé : entre mars 2020 et mai 2021, ce sont plus de 1,3 million de personnes qui ont été verbalisées pour violation des restrictions sanitaires. Les peines de prison prononcées par les tribunaux pour désobéissance aux ordres et pour avoir ignoré ou affronté la police ordonnant aux personnes de rentrer chez elles peuvent aussi être annulées en cas d’appel (7.556 arrestations ont été effectuées par la Guardia Civil, la Police nationale et la Police locale au cours de cette période).
La désobéissance à la police : le prétexte pour sanctionner les contrevenants au confinement covid
Et le plus drôle, c’est que l’Espagne a majoritairement utilisé, pour ce faire, la loi de 2015 sur la sécurité citoyenne, autrement appelée la loi « bâillon », une loi controversée qui avait été critiquée dès son adoption pour entrave à la liberté d’expression.
Le Parti socialiste, dans sa course au pouvoir en 2018, s’était fait une gloire de la réformer, si ce n’est de l’abolir. Mais non seulement le gouvernement de Pedro Sánchez n’a fait ni l’un ni l’autre, il l’a utilisée à plein gaz sitôt le confinement imposé ! Contrôle des populations et rentrées financières (on parle de centaines de millions d’euros), que demander, en effet, de mieux ? D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur a précisé que même s’il y avait eu réforme, les sanctions pour désobéissance à la police auraient probablement été maintenues…
Sauf que désormais, tous « les actes administratifs fondés sur des dispositions désormais déclarées nulles et non avenues sont dénués de portée et doivent être considérés comme invalides “depuis leur origine”, selon la jurisprudence établie » par la Haute Cour, lit-on dans le média en ligne The Objective. Il s’agit peut-être, comme certains l’ont écrit, d’un des plus grands examens juridiques de l’histoire de l’Espagne. Mais qu’en ressortira-t-il de plus ?
En Espagne comme en France, on mêle les questions sanitaire et sécuritaire
En effet, nous sommes loin d’une condamnation du principe du confinement en tant que tel. Si la Haute Cour a a jugé qu’il était inconstitutionnel, ce ne fut pas parce qu’il constituait « une violation flagrante des droits des Espagnols, dépourvue de fondement scientifique », comme l’a noté The New American. Même si c’est toujours bon à prendre.
Pendant 98 jours, il fut interdit de sortir de chez soi, en Espagne, si ce n’est pour aller chercher de la nourriture ou des médicaments, ou encore aider une personne dépendante. L’atteinte fondamentale aux libertés qui en résulta n’est pourtant en rien pointée du doigt, ni remise en question. Cet état de sidération docile s’est retrouvé dans toute l’Europe, ou presque (la Suède a ainsi fait sans, et cela lui a très bien réussi, affichant la mortalité la plus basse en Europe, standardisée par âge, entre janvier 2020 et août 2022).
Si c’était le cas, nous pourrions imaginer voir se produire, en France, le même processus qu’en Espagne. L’Hexagone a été un champion en la matière, imposant, entre mars 2020 et mai 2021, quelque 1,8 million d’amendes en lien avec les restrictions sanitaires… Mais on est loin d’imaginer pareil retour en arrière.
Car à défaut d’être nécessaire ou même utile, l’expérience de soumission a bel et bien fonctionné. Pourquoi se priver d’un tel outil de contrôle des masses ? En 55 jours de confinement, en France, il y a eu 21 millions de contrôles pour 67 millions d’habitants, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur : du jamais vu et jamais fait ! Et c’est passé comme une lettre à la poste. Dans un livre intitulé L’Attestation, un historien et sociologue, Nicolas Mariot, s’est interrogé sur cette incroyable expérience d’obéissance de masse, face à de telles restrictions des libertés, sans précédent, note-t-il, en « régime libéral, depuis la mobilisation générale de 1914 ». Les esprits sont désormais préparés et conditionnés (on se souvient de l’entretien révélateur avec le britannique David Halpern, commenté par Jeanne Smits sur RiTV).
Oui, il serait stupide de penser que le pouvoir n’en usera plus. Et le gouvernement espagnol fera sûrement « mieux » la prochaine fois.