Quand l’Etat prétend « sauver » Alstom Belfort : les contradictions du socialisme

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Cocorico : Valls se targue de « sauver » le site de production d’Alstom à Belfort en commandant du matériel ferroviaire. Mais cette dissipation de l’argent public illustre les contradictions du socialisme français face à la concurrence d’une part, à la gestion des réseaux de l’autre.
 
C’est virtuellement acquis, Alstom Belfort ne fermera pas, ses 480 employés ne seront par relocalisés sur le site de Reichshoffen en Alsace. Après deux semaines de négociations avec les syndicats et l’entreprise, le gouvernement annonce le maintien du site. Pour le sauver, la SNCF, dont l’Etat est le principal actionnaire, commandera 16 TGV pour la ligne Paris-Milan (en service en 2021), plus trente trains intercités, sans attendre le résultat de nombreux appels d’offre déjà en cours, pour le RER, d’autres trains intercités, etc. Chacun se réjouit bruyamment. En période électorale, le « patriotisme économique » cher à Arnaud Montebourg a le vent en poupe, il satisfait l’orgueil national et le prurit social. Mais personne ne se soucie de l’état dans lequel se trouve Alstom, à Belfort et ailleurs, ni des contradictions dans lesquelles le socialisme de François Hollande s’enfonce.
 

Alstom va bien, mais Belfort et tous les sites français vont mal

 
Première question : pourquoi Alstom envisageait-il de fermer son site de Belfort ? Et seconde question, dans la foulée, cela allait-il si mal pour Alstom qu’il soit obligé de le faire ? Réponse, non, ça ne va pas mal, mais oui, il est quasiment obligé de se replier. Voici pourquoi. Les derniers résultats d’exploitation d’Alstom sont bons, et le carnet de commandes au trente juin 2016 se montait à 29,7 milliards, soit quatre années de chiffre d’affaire, ce qui est honorable. A l’étranger, malgré de petites affaires de pots de vin, les affaires vont bien. Alors ? Alors il se trouve que le matériel ferroviaire lourd, locomotives et wagons, se construit aujourd’hui dans le pays qui l’achète, par exemple, pour Alstom, aux Etats-Unis et en Allemagne. En conséquence, la production en France dépend des commandes en France. C’est là que ça se corse et que les contradictions du socialisme à la française éclatent.
 

« Sauver » Alstom Belfort ne veut rien dire

 
La république française, dans son ardeur européo-mondialiste, a souhaité l’ouverture de ses frontières à la concurrence, et la SNCF et Alstom l’ont acceptée avec elle. Cela signifie que le Canadien Bombardier et l’Espagnol CAF, notamment, sont entrés en concurrence avec Alstom, et « détournent » à leur profit une part de la commande publique dont le constructeur français avait naguère le monopole. D’autre part, à cause des innombrables erreurs de gestion tant de la SNCF que de l’Etat depuis trente-cinq ans, le développement des réseaux ne s’est pas fait à la vitesse initialement prévue, ce qui signifie qu’il y a à la fois moins besoin de matériel et moins d’argent pour l’acheter. Il y a donc une forte baisse de la commande publique, et une dérivation d’une part de celle-ci vers la concurrence. Un seul chiffre l’illustre : en 2009, la SNCF et les régions avaient signé avec Alstom un contrat-cadre, Regiolis, portant sur 1.000 rames. Mais il n’en a été finalement commandé que trois cents. D’où un assèchement du carnet de commandes des sites français, qui sont tous menacés à terme : Belfort est le plus fragile, mais Reichshoffen est en sous-charge, Valenciennes et Aytré dépendent du résultat des appels d’offre en cours. Un rien suffit pour mettre en péril un équilibre aussi fragile. C’est ce qui s’est passé pour Alstom Belfort : cet été le loueur de locomotives, Akiem, propriété conjointe de la SNCF et de la Deutsche Bank, a préféré les motrices fabriquées par le groupe allemand Vossloh à celles que fabrique le site de Belfort, et tout s’est décidé.
 

L’Etat et la SNCF pris dans les contradictions du socialisme

 
Les contradictions du socialisme apparaissent claires comme le jour dans l’affaire. Du point de vue de l’emploi en France, « sauver » Belfort ne gagne rien, puisque ce qui sera maintenu à Belfort sera pris sur les sites de Bombardier et de CAF. Du point de vue de l’économie, ce sera un gaspillage de l’argent public. Nul ne sait qui se servira en effet des seize nouveaux TGV à trente millions pièce, étant donné la rentabilité toujours en baisse de la SNCF et sa gestion catastrophique. Depuis sa dernière commande de 40 rames, en 2013, elle avoue le sous-emploi de son matériel et clame bien fort qu’elle n’a besoin de rien.
 
Mais le gouvernement a choisi la fuite en avant. Il espère de l’ouverture totale des réseaux à la concurrence en 2020 un hypothétique ballon d’oxygène : il louerait alors au mieux disant ses rames de TGV pour les rentabiliser. Un calcul idiot, car on ne voit pas comment la Deutsche Bahn, ou tout autre opérateur, lui ferait de meilleures conditions que la SNCF, dont il est l’actionnaire. Dans un cercle vicieux de contradictions insolubles, le socialisme français se mord la queue. En se fichant des usagers, des clients, des actionnaires, des contribuables, bref, du bien commun.
 

Pauline Mille