États-Unis : la Cour suprême outrepasse son autorité pour sauver l’Obamacare

États-Unis : la Cour suprême outrepasse son autorité pour sauver l'Obamacare
 
Jeudi, la Cour suprême américaine a auréolé une nouvelle fois l’Affordable Care Act, la loi sur l’assurance maladie plus connue sous le nom d’Obamacare, donnant un point d’arrêt aux oppositions parlementaires tenaces qui s’acharnent depuis cinq ans. Par six voix contre trois, elle a jugé « universelles », les dispositions fiscales fédérales de l’Obamacare qui limitaient dans la théorie les crédits d’impôts aux Etats qui avaient organisé leur propre système d’assurance maladie, contraignant la trentaine des autres récalcitrants à rentrer dans la boucle.
 
Le jugement a joué sur l’ambivalence d’un mot : « state ». Pour tous les conservateurs, il apparaît clairement que le président de la Cour Suprême, John Roberts a réécrit la loi pour sauver – une nouvelle fois – Obamacare, une des grandes priorités de l’administration Obama. Et force est de remarquer que, comme pour le Partenariat transpacifique, le coup de main salvateur est venu des Républicains, à savoir ici les deux juges « conservateurs » Anthony Kennedy et John Roberts.
 

Le cas « King v. Burwell »

 
Depuis sa création en 2010, l’Obamacare a accumulé les défis juridiques. Le cas « King v. Burwell » ne fut pas l’un des moindres. Quatre citoyens de Virginie avaient porté plainte au motif que l’assurance-maladie à laquelle il avaient été obligés de souscrire via le site Internet du gouvernement Obama – parce que leur État fédéré ne leur en fournissait pas – ne leur ouvrait pas de droits au crédit d’impôts, comme c’est le cas dans les États fédérés qui ont organisé leur propre système d’assurance maladie – un abattement fiscal qui représente en moyenne 272 dollars.
 
Une « injustice » du système à laquelle la Cour suprême a répondu par son jugement : quelles que soient les réglementations de son État fédéré, tout citoyen américain doit avoir droit à ces aides fiscales fédérales. Que ce soit dans les seize Etats fédérés qui ont établi leur système d’assurance-maladie ou dans les trente-quatre autres, principalement républicains, qui ont préféré laisser l’État fédéral organiser par Internet son propre système.
 

État ou… État ?! La Cour Suprême tranche

 
Que disait la loi ? « Established by the state ». C’est sur ce seul mot, « state », que cette décision a pu être rendue. Dans l’intention du Congrès, il signifiait l’État fédéré, c’est-à-dire chaque État de l’Union. La Cour a décidé, elle, de lui accorder un sens plus large… et de lui faire signifier également l’État fédéral, l’administration étasunienne. Il faut tenir compte du « contexte », s’est-elle défendue !
 
Il est certain que cette « interprétation contre-nature » comme beaucoup l’ont analysée, entre parfaitement dans les desseins du très socialisant Obamacare. Une couverture sociale pour tous et surtout pour les minorités, hispaniques et afro-américaines, pour lesquelles les plus aisés vont désormais payer. Un système de santé ? Non, une taxe, répondent les conservateurs. Au pays de l’individualisme outrancier, issu de l’héritage protestant, c’est déjà une révolution ; mais cette décision « King v. Burwell » fait l’effet d’un ultime coup de massue.
 
Pour le très conservateur juge Antonin Scalia, « la Cour réécrit la loi » et « défend l’indéfendable ». Il suffit, d’ailleurs, d’entendre les protestations de cette dernière, alléguant que sans ces crédits d’impôts, le nombre de personnes couvertes baisserait dangereusement et que sans un mandat individuel largement applicable, le marché de l’assurance individuelle serait déstabilisé. Et alors ? « Si ces projections étaient vraies, affirme le juge Scalia, elles montreraient seulement que le schéma législatif contient une faille ; elles ne montreraient pas que la loi signifie le contraire de ce qu’elle dit. »
 

Le passage en force de l’Obamacare

 
Pour lui, c’est évident, la majorité a décidé comment le régime législatif devait fonctionner et a remanié la loi en conséquence. En évitant soigneusement de la faire revoir par le Congrès. Car c’est ce qui aurait dû se passer : l’ambivalence du mot aurait dû nécessiter un éclaircissement par ceux-là même qui l’avaient écrit. La Cour a décidé à sa place, affichant un mépris complet de la représentation nationale. Selon le juge Scalia, c’est « un choix qui agrandit le pouvoir judiciaire et encourage la paresse du Congrès », voire pose la question de son utilité.
 
L’attitude du juge Roberts a été, de plus, largement paradoxale : il n’a pas nié que le texte fut fondamentalement ambigu. Mais il a fait valoir « une délégation implicite du Congrès à la Cour pour combler les lacunes réglementaires » ! « Les crédits d’impôt sont parmi les principales réformes de la loi, impliquant des milliards de dollars à dépenser chaque année qui affectent le prix de l’assurance de santé pour des millions de personnes. Que ces crédits sont disponibles sur les fonds fédéraux est donc une question dont l’importance économique et politique est capitale, et qui est au cœur de ce régime législatif ».
 
Et d’assurer à qui veut l’entendre que si le Congrès avait dû repréciser le sens du mot « state », il aurait fait de même – position assez confortable, car on ne saura évidemment jamais.
 

Les États-Unis renforcent le pouvoir…. judiciaire

 
« Nous avons choisi d’écrire un nouveau chapitre où, dans une nouvelle économie, les Américains sont libres de changer de travail, de créer une entreprise, d’explorer de nouvelles idées, d’élever une famille sans crainte », a déclaré Obama.
 
« The Affordable Care Act must be saved », c’est surtout ce qui ressort de ce passage en force. Le juge Scalia a justement parlé d’un SCOTUScare (Supreme Court of the United States). La question est désormais de savoir si ce sera le préfixe obligé de toutes les lois américaines à venir… Car la loi, dans ce cas notable, devient autant un projet mené de concert par l’Administration et la Cour qu’une création du seul Congrès. Cette « superlégislature » renforce l’État fédéral contre les États fédérés : et la république des juges apparaît de plus plus nettement, affichant sa partialité politique. D’aucuns évoquent « une nouvelle ère post-République ». Grandiloquent ? Pas si sûr…
 
Cette décision judiciaire fait, en tous les cas, pour beaucoup, de l’élection de 2016 un véritable référendum sur l’abrogation totale d’Obamacare : les treize candidats déclarés pour les primaires se sont tous engagés en ce sens.
 
Elle montre surtout, et c’est sa leçon principale, la réelle collusion qui peut désormais s’opérer entre Républicains et Démocrates – les voix des deux juges conservateurs ont fait pencher la balance. L’opposition se fragmente. Et le vivier des forces progressistes outre-atlantique s’agrandit.
 

Clémentine Jallais