Yang Jinjun, âgé de 57 ans, était recherché pour corruption. Les autorités américaines viennent tout juste de l’extrader vers la Chine. Un geste jamais vu jusque là – les États-Unis ont toujours brandi moult arguments humanistes et légaux pour ne pas y être contraint. Mais aujourd’hui même, le président chinois Xi Jinping devait fouler le sol américain pour une visite d’État. Le signal est fort et la Chine l’a clairement reconnu comme tel.
Sur la liste rouge des fugitifs les plus recherchés en Chine
C’était l’un des fugitifs chinois les plus recherchés depuis 2001, date à laquelle il s’était réfugié aux États-Unis – il figurait sur la liste rouge chinoise, « Sky Net », publiée en avril. Originaire de la ville de Wenzhou, dans le sud-est de la Chine, Yang était le directeur d’une société industrielle locale. Il était accusé d’avoir aidé sa sœur, ancienne vice-maire de Wenzhou et actuellement incarcérée aux États-Unis pour violation des lois sur l’immigration, à blanchir de l’argent.
Selon la Commission centrale de la discipline citée par le South China Morning Post, c’est bien la première fois que Washington rapatrie de force l’une de ces personnes en Chine.
D’abord, il n’existe pas de traité d’extradition entre les deux pays : les États-Unis n’ont donc aucune obligation en la matière. Ils ont toujours déclaré qu’ils ne dédaignaient pas de coopérer sur la question, à condition d’avoir les preuves de la criminalité effective des dossiers… ce qui était repousser les affaires aux calendes grecques de façon certaine, les Chinois jouant avec les preuves comme avec les cartes et les Américains ayant une autre idée du droit des inculpés.
Mieux, ces derniers poussaient le « vice » jusqu’à menacer la Chine quand cette dernière envoyait ses propres sbires faire le boulot outre-Pacifique… Le 16 août dernier, The New York Times révélait que l’administration Obama avait envoyé un avertissement à la Chine à propos de ces agents secrets travaillant sur le sol américain à faire revenir les expatriés chinois accusés de corruption/trahison, exigeant l’arrêt immédiat de ces activités illégales.
« Fox Hunt », une opération bien connue des États-Unis
L’entreprise est, de fait, connue du grand public. Baptisée « Fox Hunt », cette « chasse aux renards » s’inscrit dans le cadre de la vaste offensive anti-corruption menée par le président Xi Jinping. Le Bureau chargé de la poursuite à l’étranger des fugitifs et du recouvrement des biens mal acquis – sic – charge des agents du ministère de la Sécurité publique de traquer et de rapatrier de force les ressortissants chinois soupçonnés de vol et envolés vers des pays avec qui la Chine ne possède pas de traité d’extradition ( États-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie…)
Depuis 2014, ils ont forcé plus de 930 ressortissants chinois qui se croyaient en sécurité à l’étranger, à revenir sur le sol ancestral et à y être jugés jusqu’à ce qu’ils soient déclarés coupables, pendus, exécutés ou condamnés à des peines de prison à vie. Cela, « grâce » à 70 équipes d’enquêteurs, capables d’« arrêter partout dans le monde et en moins de 48 heures » – dixit avec emphase la police chinoise.
Et leurs méthodes ne sont pas des plus douces. Ces fugitifs, ils les appellent des « cerfs-volants » : un fil les raccroche toujours en Chine. Il suffit de le suivre et d’aller menacer directement les familles, enfants, grands-parents ou simples proches. L’affaire est vite dans le sac.
The New American rapporte l’exemple tout récent de Ling Wancheng. Né en Chine, Ling était propriétaire d’une entreprise prospère qui s’installa aux États-Unis dans les années 1990. Il se sentait en sécurité, sachant que son frère était un proche collaborateur du président chinois de l’époque, Hu Jintao. Mais avec l’ascension de Xi Jinping, son successeur, tout a changé : une nouvelle purge a été instituée pour sévir contre la « trahison économique », et le nom de Ling fut rapidement sur la liste. Le Wall Street Journal a suivi et relaté ses efforts pour éviter la capture, la « persuasion » à la chinoise et le rapatriement, mais toute trace de lui et de sa famille a été perdue depuis octobre dernier.
Yang Jinjun extradé… un sacrifice humain pour Xi Jinping ?
Tout ça, les États-Unis le savent très bien. Mais c’est sans état d’âme qu’ils ont livré Yang Jinjun, ou plutôt avec un sentiment tout politique. Alors qu’on les disait sur le point de chasser les agents chinois du territoire américain, il y a moins d’un mois, ce sont les cibles du gouvernement communiste qu’ils se mettent à extrader. Quel gage de coopération soumise…
Une chose est sûre : les États-Unis tiennent à placer sous les meilleurs auspices les nombreux sujets qu’ils comptent aborder avec la Chine. Cette dernière ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en s’empressant de saluer, selon les mots du porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, « un progrès notable de la coopération sino-américaine en matière d’application de la loi contre la corruption et (…) une base importante pour la coopération bilatérale ultérieure dans ce domaine ». Xi Jinping foule aujourd’hui même le sol américain – le geste était bel et bien prévu.