La loi sur l’aide à mourir n’est pas encore passée depuis l’adoption historique du projet en novembre dernier, porté par la députée travailliste Kim Leadbeater, mais un tout récent document remue les esprits outre-Manche : il s’agit de l’étude d’impact sur l’égalité du projet de loi sur les adultes en fin de vie (Terminally Ill Adults “End of Life” Bill), publié par le gouvernement. Autrement dit : ce que va coûter, mais surtout ce que va faire économiser au National Health Service, à l’Etat, la légalisation de l’aide médicale à mourir, c’est-à-dire du suicide assisté et de l’euthanasie des personnes « en phase terminale » qui les désirent.
Pas d’argument éthique et philosophique, mais une analyse froide et mécanique des chiffres qui a fait réagir un certain nombre de Britanniques, à commencer par « l’évêquesse » anglicane de Londres. Des millions de livres sterling contre le sacrifice de vies humaines ? Mais ce macabre matérialisme pragmatique choquera-t-il tant que cela les députés ? Nous sommes désormais à huit jours du prochain débat à la Chambre des communes.
L’intérêt économique de l’accélération du décès des condamnés
Pour aboutir à une estimation financière, il faut d’abord évaluer le nombre de participants potentiels à cette offre mortifère qui sera disponible dès octobre 2029 si la loi est adoptée. Selon le rapport, disponible ici, « on estime que le nombre total de demandeurs se situerait entre 273 et 1.311 la première année (2029-2030), et entre 1.737 et 7.598 la dixième année (2038-2039), et que deux demandeurs sur trois iraient au bout du processus et bénéficieraient d’une aide à mourir ».
Ce qui signifie qu’en dix ans, nous passerions de 787 décès à 4.559 décès, en fourchette haute. En une décennie, jusqu’à 12 personnes par jour mettraient fin à leur vie « grâce » à l’aide médicale à mourir.
Que cela coûterait-il ? La mise en place d’un commissaire à l’aide à la mort volontaire et de groupes d’experts, à savoir environ 13 millions de livres par an, sans compter les coûts de formation qui pourraient dépasser 11 millions de livres.
Et les économies réalisées ? Bien que le document note que la réduction des coûts des soins de fin de vie « n’est pas considérée comme un objectif de la politique » (le seul fait qu’il l’écrive est pourtant déjà troublant), il va sans dire que l’euthanasie comme le suicide assisté sont, de fait, de formidables outils de « sobriété ».
Selon le rapport, ils pourraient réduire les coûts des soins de santé en fin de vie d’environ 10 millions de livres au cours de la première année et de près de 60 millions de livres, la dixième année, sans compter plus de 18 millions de livres de pensions de retraite et 10 millions de livres d’allocations de soin et d’autonomie. Soit près de 90 millions de livres d’économies en 2038-2039.
Seule nécessité absolument cynique que brandit le rapport : que les procédures aillent vite, que les décès assistés surviennent au maximum deux mois après la demande. Car, les malheureux candidats ayant, sur le papier, moins de 6 mois à vivre, il faut que ça vaille le coup !
L’impact sonnant et trébuchant de l’euthanasie
Finalement, comme économie, c’est à la fois peu et beaucoup. Peu, lorsqu’on voit les sommes engouffrées dans certains budgets du NHS (il y a six ans, déjà, le coût total des soins spécialisés pour les personnes transgenres était estimé entre 20 et 30 millions de livres par an). Beaucoup, car les morts ne se plaignent pas… et, surtout, leur nombre peut augmenter.
Pour la féministe non partisane Fiona Mackenzie, citée par The Telegraph, si on se fonde sur les taux de recours en Australie-Occidentale, on arrive à plus de 9.000 décès assistés dès la troisième année seulement. De plus, selon le projet de loi, les médecins seraient autorisés à proposer l’aide médicale à mourir à leurs patients, ce qui renforcera la publicité et la crédibilité de l’offre. Au Canada, on en parle désormais dès la maison de retraite…
De toutes façons, le lobby de la culture de mort n’a jamais caché son effroyable générosité. Et il sait que la pente est mécaniquement glissante lorsqu’on met en exergue l’inutilité de la vie et la peine qu’on donne aux autres. Le Canada, depuis la légalisation de l’Aide Médicale à Mourir en 2016, voit le nombre de requérants augmenter de 17 à 31 % chaque année.
Autre point : les fameux six mois de reste à vivre, sésame nécessaire pour obtenir « le droit de mourir ». Comme l’a récemment souligné Jeanne Smits, les pronostics médicaux sont rarement fiables : « Les chiffres officiels montrent que 20 % des patients ayant été diagnostiqués en phase terminale avec “six mois à vivre” sont encore en vie trois ans plus tard » ! Ce qui multiplie les économies potentiellement réalisables.
Au Royaume-Uni, les plus vulnérables deviennent une charge pour les finances publiques
Evidemment, face à de telles possibilités, les soins palliatifs, coûteux dispositifs, passent dans l’ombre. Le rapport affirme souhaiter « que le choix de l’aide médicale à mourir s’inscrive dans une approche holistique des soins de fin de vie, plutôt que comme un substitut aux soins palliatifs ». Mais c’est pourtant bien ce qui risque d’arriver.
Le fait est que, finances du NHS obligent, jusqu’à un Britannique sur quatre qui devrait en bénéficier, n’en reçoit pas actuellement, comme le notait un récent rapport commandé par la Fondation britannique Marie Curie. On va donc défendre l’égalité de l’accès au suicide assisté plutôt que l’égalité d’accès aux soins palliatifs, c’est-à-dire à la prévention du suicide ! Quoi d’étonnant, à ce que l’amendement 53 au projet de loi ait été rejeté, qui exigeait que les patients aient accès au suicide assisté uniquement s’ils ont la possibilité d’être admis en soins palliatifs : c’était tout simplement impossible.
L’aide médicale à mourir va donc devenir une « option thérapeutique », comme une autre, dispensant de plus plus l’Etat d’investir dans ces soins palliatifs qui, pourtant, respectent seuls, véritablement, la dignité de la personne humaine. Alors, oui, l’aspect financier est bien un des objectifs avérés de cette politique de mort (et RiTV a aussi évoqué ici le marché potentiel des prélèvements d’organes « frais »). La franchise de ce rapport britannique parle au moins pour elle.
Et les groupes qui en pâtiront les premiers seront évidemment les plus vulnérables, comme l’a souligné l’« évêquesse » anglicane de Londres Sarah Mullally, à savoir ceux qui sont victimes d’inégalités en matière de santé, les personnes âgées, handicapées, celles qui sont vulnérables à la violence domestique. On le constate dans tous les pays ou Etats qui ont légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie.
Bienvenue dans la jungle.