Malgré l’avis négatif de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le document des évêques allemands sur l’intercommunion vient d’être publié – avec la bénédiction officieuse du pape François

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On y retourne ! Vous supposiez en avoir fini avec les envies d’avancées des évêques allemands ? C’était sans compter sur leur ténacité et… le coup de pouce du pape François. Mercredi, ils ont publié leur document pastoral très controversé qui permet aux conjoints protestants de catholiques, dans certains cas, de recevoir la Sainte Communion. La Congrégation pour la doctrine de la foi (CFD) a eu beau rendre à la fin mai un avis (grosso modo) négatif, il semble que les rencontres du cardinal Marx et du pape François entre le 11 et le 13 juin aient eu raison de la fronde. Dès le 21 juin, le pape François, en vol vers Rome, évoquait devant un journaliste un document « bien conçu » qui sera « base d’étude », « texte d’orientation »… Moins d’une semaine plus tard, le texte intégral était publié, en dépit de toutes les polémiques et controverses qui accompagnent le projet depuis le mois de février.
 
Peu importe qu’il ne soit plus signé. Il est là. Il est diffusé. Il va être appliqué. C’est la petite (grande ?) victoire du très progressiste cardinal Marx – et du cardinal Kasper. Et une fois de plus, François sème la confusion dans un double jeu litigieux et tellement dommageable pour l’Église qui ne sait plus à quel Code de droit canonique se vouer…
 

Une seule différence : l’absence de signature

 
Un tour de passe-passe, somme toute, comme l’a écrit Maike Hickson du site très bien informé Onepeterfive (1P5). Alors qu’on croyait ce document remisé, au moins temporairement, il a rejailli aussi sec comme s’il avait été monté sur ressort… Une seule différence avec la version initiale : l’absence de signature. Et c’est loin d’être un détail : cela semble correspondre aux souhaits du pape François énoncés très clairement lors de ce fameux vol de Genève à Rome le 21 juin, où il a déclaré que finalement, le seul problème de ce document « bien fait » et « bien conçu », c’était le fait qu’il relève d’une Conférence nationale, en l’occurrence celle des Évêques allemands…
 
Ce document pastoral n’a donc plus d’auteur – et donc pas de responsable.
 
Pourtant il est là, présenté comme un « guide d’orientation » pour l’usage individuel des évêques. Et l’entrevue qui eut lieu à Rome à la mi-juin entre le pape et le cardinal Marx, à l’occasion de la réunion du Conseil des Neuf cardinaux, semble y avoir été pour quelque chose. Le Conseil permanent des évêques allemands a écrit se sentir « obligé d’avancer courageusement », mais le cardinal Marx a plutôt persuadé le pape d’accepter un (petit) compromis. La lettre du 25 mai de la CDF qui demandait aux évêques de ne pas publier leur communiqué de presse, est ainsi devenue, selon une note écrite et publiée par le cardinal Marx et signée par le pape François, un « cadre d’interprétation » qui ne donne que des « recommandations »…
 

Le texte sera un « guide d’orientation » pour l’usage individuel des évêques allemands

 
Plusieurs réflexions à cet incroyable tour de passe-passe. Comme l’a dit le canoniste allemand et professeur Thomas Schüller dans le quotidien allemand Frankfurter Rundschau, le 22 juin, les mots papaux sont « ambigus et partiellement cryptiques ».
 
Prétextant qu’une telle publication, sous l’égide de la Conférence, n’aurait pas été conforme au Code de droit canonique, parce qu’elle en deviendrait « universelle » (selon ses mots dans l’avion), le pape François concentre la réflexion publique sur quelque chose qui non seulement est secondaire par rapport au fond du problème, mais se révèle être faux. Chaque décision publiée par une Conférence des Évêques ne devient pas immédiatement universelle : pour preuve, les directives pastorales spécifiques de vingt-et-une conférences épiscopales nationales sur la nature de ces « situations d’urgence » dans lesquelles l’eucharistie peut être donnée à des chrétiens non catholiques (jamais des conjoints protestants d’ailleurs, l’Église a toujours eu en tête des chrétiens orthodoxes et anciens du Proche-Orient…)
 
En revanche, il affirme que la pensée des évêques, elle, était conforme au Code de droit canonique, (puisqu’il en permet à mots couverts la publication) ce qui est pourtant également faux ! Le canon 844 (pourtant moins strict que dans sa version de 1917) a des termes bien précis qui ne souffrent pas cette interprétation extrêmement libérale voire outrancière des évêques allemands. Le cardinal Brandmüller l’a fermement rappelé dans une déclaration publiée par le site d’information catholique autrichien Kath.net, le 25 juin, un chrétien non catholique ne peut recevoir la sainte communion qu’en « danger de mort » ou dans une « situation de danger » similaire, causée par des « circonstances extérieures », et à la condition qu’il « demande librement la Sainte Eucharistie » et même « la foi catholique dans la Sainte Eucharistie ».
 

Sous prétexte de générosité œcuménique, on méprise la doctrine en cédant au pragmatisme et au relativisme

 
On est très très loin du document allemand qui prétend admettre des conjoints non catholiques de catholiques à la Sainte Communion, de manière plus ou moins régulière, dans leur calme quotidien, sous prétexte de quelque détresse psycho-spirituelle !
 
Selon le Code de droit canonique, « le lien principal entre l’appartenance à l’Église et la participation licite aux sacrements n’est pas éliminé » rappelait le professeur Schlosser, membre de la Commission théologique internationale, sur une radio autrichienne. Avant de pouvoir accéder à ce sacrement, l’unité surnaturelle doit d’abord être atteinte grâce aux vérités de Foi et l’unité visible avec le pape et les évêques. Le catholicisme n’est pas à la carte ! Seule la vérité toute entière nous rend libres, rappelait le cardinal Brandmüller
 
François ne touche peut-être pas au Code, mais en acceptant implicitement la publication de ce document, il s’inscrit en faux en invoquant la pastorale, ouvrant la voie à un désordre relativiste imminent. « On ne peut pas laisser l’enseignement extérieurement intact [c’est-à-dire ne pas changer ses mots] » et, en même temps, lui donner « un sens complètement différent ou même contradictoire » avertit l’ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le cardinal Müller, dans le numéro de juillet du journal allemand Herder Korrespondenz.
 

« Aller de l’avant » dans l’intercommunion selon le pape François

 
De l’autre côté, on sourit large. Le très progressiste cardinal Walter Kasper peut s’estimer heureux, lui qui, au cours de l’année Luther 2017, avait déclaré aux évêques allemands qu’il leur revenait à eux de faire des propositions…. Comme l’avait rapporté le journal allemand Die Süddeutsche en avril 2017, nous rappelle 1P5, il avait déclaré à des luthériens qu’il s’attendait à « des avancées concrètes » rapides. Le Saint Siège y a pourvu.
 
Mgr Gerhard Feige – l’un des principaux auteurs de ce document œcuménique – s’est d’ailleurs empressé de rappeler que les évêques allemands ont été directement inspirés par le pape François qui avait dit, en 2015, à une épouse protestante qui voulait communier, d’« aller de l’avant ». « Avec notre document, nous n’avons fait que prendre au mot le Pape » déclare-t-il aujourd’hui.
 
Difficile, maintenant, de croire que le Saint-Siège fera la lumière sur le sens réel et précis du canon 844. Du moment que ça se passe dans les diocèses, on peut visiblement (presque) tout faire.
 

Clémentine Jallais