
Ou comment une pro-vie met, malgré elle, le bazar entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. L’histoire est savoureuse. La chrétienne Livia Tossici-Bolt, médecin à la retraite, se retrouve depuis dimanche être une pierre d’achoppement dans les négociations commerciales entre les deux pays, parce qu’elle est poursuivie au pénal pour avoir brandi une pancarte invitant à la discussion dans la « zone tampon » d’une clinique d’avortement à Bournemouth, en Angleterre, en mars 2023.
Le rapport avec les Etats-Unis ? La nouvelle administration américaine, menée par le catholique J.D. Vance, a déjà dénoncé ce genre de procédé, fustigeant une liberté d’expression dramatiquement écornée. Et elle a décidé de s’en servir dans la négociation en cours des nouveaux droits de douane qui doivent affecter le Royaume-Uni comme « tous les pays » selon les mots de Trump.
Une surprise de taille pour le gouvernement de Sir Keir Starmer, avide de conclure un accord de libre-échange fructueux. Les pro-vie pourraient bien avoir un effet papillon inattendu…
Pas de « libre-échange sans liberté d’expression », le nouveau point de discorde
« Les relations entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni reposent sur un respect mutuel des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cependant, nous sommes préoccupés par la liberté d’expression au Royaume-Uni. Lors de son récent séjour (…), le conseiller principal du DRL, Sam Samson, a rencontré Livia Tossici-Bolt, poursuivie pénalement pour avoir proposé une conversation dans une “zone tampon” légalement interdite aux abords d’une clinique d’avortement. Nous suivons son cas. »
Tels furent, ce dimanche, les mots légèrement intimidants du Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail (DRL), bureau du Département d’Etat américain. Autant de pavés dans la mare bien tranquille des Britanniques.
Une source de Whitehall a cherché à minimiser l’affaire, déclarant au Telegraph : « Je ne pense pas que le renforcement de notre engagement économique, qui est bénéfique pour les deux pays, dépende de cette question particulière. » N’empêche qu’en pleine négociation pour les droits de douane qui devraient entrer en vigueur mercredi, Sir Keir voit son accord commercial avec les Etats-Unis se compliquer d’une manière imprévisible. Mais c’est un fait : aux Etats-Unis où 12 Etats interdisent désormais l’avortement dans presque toutes les circonstances, les façons de faire anglaises déplaisent.
Les Etats-Unis avaient prévenu Royaume-Uni
Il aurait pourtant pu s’y attendre, avec les antécédents en la matière.
Qu’on se rappelle le discours du vice-président américain J.D. Vance, le 14 février dernier à la conférence de Munich sur la sécurité : il avait ouvertement critiqué les poursuites engagées par les autorités britanniques à l’encontre d’un autre militant, Adam Smith-Connor, 51 ans, pour une manifestation similaire devant la même clinique de Bournemouth en 2022. Vance avait déclaré que les « libertés fondamentales des Britanniques religieux, en particulier » étaient menacées. M. Smith-Connor, nous l’avions évoqué, avait simplement prié seul, debout, le fils qu’il avait fait avorter il y a des années dans cette clinique…
De la même façon, aujourd’hui, Mme Tossici-Bolt est poursuivie pour avoir violé la zone « protégée », en y tenant sa pancarte portant l’inscription « Here to talk ».
Pour rappel, la fameuse ordonnance de protection des espaces publics (PSPO) instaure des zones tampons autour des centres d’avortement. Adoptée en 2023, elle a pour but d’interdire toute forme d’« influence » dans un rayon de 150 mètres autour des bâtiments, en bloquant toute expression d’approbation ou de désapprobation de l’avortement. Les directives du Crown Prosecution Service indiquent qu’en réalité, comme il n’existe pas de défense fondée sur des motifs religieux en vertu de la loi, l’organisation d’une veillée ou d’une prière, y compris silencieuse, pourrait être considérée comme une infraction.
J.D. Vance avait dit à Munich qu’il craignait que « la liberté d’expression en Grande-Bretagne et dans toute l’Europe ne soit en recul ». Et il l’a réaffirmé à Sir Keir, le mois dernier, lors de sa visite à Washington. La loi sur la sécurité qui régit la liberté d’expression en ligne serait également très mal perçue par l’administration présidentielle, qui y voit un risque considérable de censure.
La liberté de pensée sur l’avortement devient un enjeu international
Ce qu’il y a d’amusant, c’est que le juge de district britannique qui doit rendre, vendredi, son verdict dans l’affaire du Dr Tossici-Bolt, est le même qui, en octobre dernier, avait déclaré Adam Smith-Connor coupable d’avoir prié en silence dans une « zone tampon ». Le Royaume-Uni risque donc de s’enferrer. A moins qu’il (ou plutôt son juge) ne considère que cette condamnation aura trop de répercussions.
Il est en effet essentiel pour le Royaume-Uni d’aboutir à un accord avec Trump. Le Bureau pour la responsabilité budgétaire a prévenu qu’une guerre commerciale de grande ampleur, dans laquelle le Royaume-Uni répondrait en nature aux droits de douane de M. Trump, pourrait faire baisser le PIB de 1 % et réduire à néant la marge de manœuvre budgétaire du chancelier de l’Echiquier, comme le rapporte The Telegraph.
Pour l’avocat de l’ADF International qui finance et soutient l’action en justice de l’ancien médecin, « de bonnes relations avec les Etats-Unis sont essentielles à notre sécurité économique et militaire ». « Les poursuites pénales pour prière silencieuse et propositions de conversation consensuelle sont non seulement anti-libérales, mais aussi irresponsables. Le gouvernement doit agir pour garantir que ce qui constitue sans aucun doute notre relation diplomatique la plus importante ne soit pas mis en péril par un engagement idéologique en faveur de la censure », a-t-il souligné.
Il est certain qu’à gauche, le souci éthique de la liberté d’expression n’a jamais été qu’un outil au service de la domination des idées progressistes et sert opportunément à « écraser l’infâme », comme le disait Voltaire. Le rappel à l’ordre des Etats-Unis, par le biais du département d’Etat, responsable de la politique étrangère, qui ne commente généralement pas la politique intérieure d’un autre pays, est peut-être « tragique » pour la perfide Albion selon les mots de Mme Tossici-Bolt. Mais il pourrait se révéler éminemment salutaire.