Festival des francophobies : 17 octobre vs 26 mars

Festival Francophobies Octobre Mars
 

Le mensonge près de triompher perd toute retenue, on le reconnaît à ce signe. L’Assemblée nationale a approuvé le 28 mars une résolution qui « condamne la répression sanglante et meurtrière des Algériens commise sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon le 17 octobre 1961 » et souhaite en outre « l’inscription d’une journée de commémoration (de ce) massacre » à « l’agenda des journées nationales et cérémonies officielles ». La première source d’information française, payée par le contribuable, l’AFP a donné de cette journée un récit proprement hallucinant. 67 élus de Renaissance et de la Gauche ont voté pour le texte, un LR s’est abstenu et onze RN ont voté contre – déchaînant un festival de francophobies chez les écolos, LFI et les communistes. Emmanuel Macron s’est attaché à réécrire l’histoire de la colonisation en Algérie alors qu’il était encore candidat à son premier mandat : est-ce un hasard si le débat sur le 17 octobre a eu lieu deux jours après le 26 mars, jour anniversaire du massacre d’une foule de pieds noirs manifestant leur attachement à la France rue d’Isly à Alger par un détachement de tirailleurs algériens ? Ou une signature provocatrice ?

 

Le contexte du 17 octobre 1961

D’abord, que s’est-il passé le 17 octobre 1961 à Paris, ensuite, que cherchent Macron et la gauche en exhumant cette vieille affaire qui a déjà été amplement commémorée ? Commençons par le contexte du 17 octobre. En 1961, la guerre entre l’Armée française et ce qui reste de l’ALN en Algérie se termine : après le putsch d’avril à Alger, il est clair pour tout le monde que De Gaulle a décidé de donner l’indépendance, et les négociations entre Paris et le GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) avancent vite pendant l’été. Ce qui continue (et continuera jusqu’à l’indépendance en juillet 1962, le cessez-le-feu du 19 mars 62 après les Accords d’Evian ne réglant rien à cet égard), c’est d’une part un combat entre le pouvoir parisien incarné par De Gaulle et la majorité des pieds-noirs dont le représentant de fait est l’OAS, d’une autre un combat entre ces pieds-noirs et le FLN, et d’une troisième enfin, un combat entre le FLN triomphant et son rival indépendantiste le MNA (mouvement national algérien) – suivi par le massacre d’un grand nombre de harkis (entre cinquante et cent mille) une fois que la France les aura désarmés.

 

La francophobie meurtrière du FLN s’étendait aux musulmans

Cette guerre contre les « Algériens de souche » (durant toute l’affaire algérienne, le FLN tuera beaucoup plus de civils « musulmans » que de civils « européens »), le FLN la mène aussi, bien sûr, en métropole. Or la communauté algérienne immigrée en France était à l’origine, dominée par le MNA. L’enjeu, pour le FLN, n’était pas seulement politique, il était vital : il s’agissait de racketter les populations de la Goutte d’Or et d’ailleurs pour constituer le trésor de guerre nécessaire à acheter des armes, payer la solde de l’ALN réfugiée en Tunisie et les traitements de la Nomenklatura FLN installée au Caire. Il lui fallait éliminer son rival. Il utilisa pour cela ses méthodes habituelles et de nombreux membre du MNA furent assassinés à Paris et dans les principales villes de France. Comme la police tentait d’assurer un minimum d’ordre, il tua aussi de nombreux policiers. Or, malgré l’atrocité des combats depuis 7 ans, le pouvoir maintenait la fiction d’un état de paix (on parlait des « événements d’Algérie »), et la justice, tant par un juridisme naturel que travaillée par la gauche humaniste, traitait les dossiers avec une lenteur qui exaspérait l’opinion et la police.

 

Face au festival de mensonges, la vérité : le FLN responsable

C’est pourquoi le gouvernement de Michel Debré (le père de Jean-Louis et Bernard) décida-t-il le 5 octobre un couvre-feu pour les seuls Algériens. Cette décision discriminatoire entérinait à l’avance l’indépendance en gestation. Elle visait à calmer tout le monde et à entraver les sanctions, assassinats et rackets nocturnes du FLN. Cela fonctionna. La Fédération de France du FLN, menacée d’étouffement, décida d’exhorter (par la menace, comme pour ses rackets) les Algériens de la région parisienne à une grande manifestation le 17 octobre. « L’histoire » la dit aujourd’hui « pacifique ». C’est un abus de langage : dans une guerre militaire et politique qu’il menait au mépris de toutes les règles et dont il était en train de perdre une bataille, le FLN convoqua des civils pour se dégager. Etant donné le contexte (guerre d’Algérie, exaspération de la police), cette manifestation révolutionnaire ne pouvait que tourner à l’aigre. C’est pourquoi elle fut interdite par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, sur ordre du gouvernement. Le FLN passa outre et se trouve donc seul responsable des violences qui ont pu s’y commettre.

 

Le FLN et son festival d’horreurs

C’est d’autant plus clair que les instigateurs ont avoué savoir que leur journée « serait sévèrement réprimée » et ont tranquillement joué dessus pour faire pression sur les négociations en cours. La présence, dans la « foule pacifique » de 500 meneurs dangereux (sur 20.000 manifestants, un sur quarante) le confirme. Arrêtés, ils furent renvoyés en Algérie. On n’entrera pas dans le détail de la controverse sur les violences. Y eut-il trois morts, comme on l’a d’abord dit, ou cent vingt, comme il est à la mode de le prétendre, et sur combien de jours ? Qui a tué ? Comment ? Il semble que beaucoup auront été écrasés par des mouvements d’une foule en panique. Ces questions sont secondaires : le FLN a posé un acte de guerre militaire et politique avec des civils, si massacre il y a eu, il en est l’auteur. Et les statistiques de la morgue, de la police et du parquet ne montrent qu’une faible surmortalité à compter du 17 octobre. Si l’Assemblée nationale avait voulu commémorer avec justice un massacre de civils durant la guerre d’Algérie, il aurait pu choisir le 28 mai (1957) : 374 hommes, femmes, enfants, vieillards, furent liquidés par le FLN, au fusil, au couteau, à la pioche à Mélouza.

 

De Gaulle muet sur le massacre du 26 mars 1962

Ou, si l’on préfère les seuls crimes du pouvoir gaulliste, le 26 mars (1962), la « fusillade » de la rue d’Isly. A la suite d’un incident malheureux entre des appelés du contingent peu aguerris et un commando OAS la situation était insurrectionnelle, après le bouclage du quartier pied-noir de Bab-el-Oued, ses perquisitions suivies de milliers d’arrestations et son mitraillage par l’armée française, causant de plus de quarante mors du côté de l’armée et de la population. Hélas, l’OAS et la population choisissent, elles aussi, la voie de la manifestation. Quelques milliers de civils sans armes descendent de Bab-el-Oued en criant « Algérie française ». L’armée a pour ordre de les empêcher de passer. Elle a des troupes pour cela, qui ont à plusieurs reprises montré leur efficacité. Hélas encore, la tâche est confiée à un détachement du 4ème régiment de tirailleurs algériens (c’est-à-dire hostiles aux manifestants) dont le chef est à 100 kilomètres d’Alger, fatigués de surcroît, et non formés au maintien de l’ordre. Une fusillade se déclenche, elle durera un quart d’heure (ce qui est abominablement long et montre l’incapacité de la troupe et du commandement). Bilan : 62 cadavres retrouvés sur le terrain, dont pas un militaire. Le soir à la télé De Gaulle appelle à voter au prochain référendum : « En faisant sien ce vaste et généreux dessein, le peuple français va contribuer, une fois de plus dans son Histoire, à éclairer l’univers. » Du massacre, pas un mot.

 

Macron, ou la surenchère dans le mensonge obséquieux

Quant aux intentions d’Emmanuel Macron, les voici. Il a pris au pied de la lettre la feuille de route imposée par l’ancien président de la république algérienne Abdelaziz Bouteflika (l’homme qui a rétabli un couplet anti-français de l’hymne national algérien tombé en désuétude) : « Nous rappelons à nos amis français ( …) qu’ils n’ont pas d’autre choix que de reconnaître qu’ils ont torturé, tué, exterminé de 1830 à 1962, qu’ils ont voulu anéantir l’identité algérienne. » Nicolas Sarkozy avait commencé en 2007 à Constantine, en condamnant les colonies : « Ce système ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation. Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables. » François Hollande déclarait, à peine élu, devant le parlement algérien : « Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. » Macron n’attendra pas d’être à l’Elysée pour lancer en Algérie le 17 février 2017, « La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

 

Le « paradis » de la colonisation française

Si cela a le mérite d’être clair, c’est complètement faux. D’abord, l’identité algérienne n’existe pas quand les troupes françaises prennent Alger en 1830. La régence du Dey, qui exerce en gros sa domination sur la bande côtière de l’actuelle Algérie, dépend de Constantinople. Des tribus se disputent le pouvoir au sud. Du point de vue ethnique, il y a des arabes, des kabyles (berbères), des kabyles arabisés, des nomades berbères. Si les puissances ont laissé la diplomatie de Charles X lancer son expédition contre Alger, c’est qu’elle est depuis plus de trois siècles un nid de pirates « barbaresques » (comme le canard de « Barbarie », altération de Berbérie) qui pillent la Méditerranée, razziant des esclaves en Europe et en faisant le commerce (la lutte contre l’esclavage musulman sera l’une des causes de la colonisation européenne de l’Afrique, recommandée par des religieux, par exemple l’Anglais Charles Livingstone et le Français Lavigerie). Ce prurit esclavagiste se réveillera début juillet 1962 à Oran où, après avoir massacré plusieurs milliers d’Européens, « on » mettra des centaines d’Européennes dans des bordels jusqu’à ce que mort s’ensuive. Quant à la colonisation française, elle s’est ajoutée à d’autres, la romaine, l’arabe, plus brutale et plus contraignante. Sans être parfaite, elle a donné à la terre dont elle a fait l’Algérie paix, prospérité, développement, progrès moral et scientifique. C’est pourquoi l’ancien chef FLN Aït Ahmed, visitant Oran avec la journaliste Christine Clerc en 1990, s’est écrié : « Avant ? Vous voulez dire du temps de la colonisation ? Du temps de la France ? Mais c’était le paradis ! » Et aussi pourquoi le parlement français a voté la loi 23 février 2005 sur les rapatriés, reconnaissant le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».

 

La francophobie des élites républicaines

Cette loi, d’abord votée par les socialistes, fut combattue à leur initiative, et causa l’annulation d’un voyage en Algérie de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Le président de la République d’alors, Jacques Chirac, décida, fait sans précédent, de l’abroger, bien que sa majorité UMP en ait pris l’initiative, arguant que ce n’était « pas au législateur d’écrire l’histoire ». On voit par-là que Macron reprend et pousse à l’extrême une façon de concevoir l’histoire et nos rapports avec l’Algérie qui est imposée par le sommet de l’Etat depuis (au moins) vingt ans. Dès le 16 février 2017, il se référait explicitement à la loi de février 2005 pour la combattre : « Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains, il y a un peu plus de dix ans, ont voulu faire ça en France. » Animé de la même détestation de l’œuvre de la France que Jacques Chirac, il choisit, maintenant en position de force, la stratégie inverse pour l’imposer : avec lui l’Etat réécrit l’Histoire et la tripatouille à loisir.

 

Festival de commémorations pour le 17 octobre

Il l’explique lui-même sur son site. « Le Président de la République a tout au long de son quinquennat poursuivi une même approche des questions mémorielles : regarder l’histoire en face, de façon à construire une mémoire Républicaine, qui puisse être partagée par toutes et tous en France. (…) En septembre 2018, le Président de la République reconnaissait l’assassinat par la France de Maurice Audin (communiste collaborateur des terroristes FLN, disparu dans des conditions controversées, NDLR). (…) Il confie en juillet 2020 à Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, la rédaction d’un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. » Stora rendra son rapport en janvier 2021, et Macron en suivra les conclusions, en particulier sur le 17 octobre 1961. « Le Président de la République a en outre reconnu les faits qui se sont déroulés dans la nuit du 17 octobre 1961 : les crimes commis sous l’autorité de Maurice Papon, entrainant la mort de dizaines d’Algériens, sont inexcusables pour la République. En octobre 2021, soixante ans après la répression sanglante de cette manifestation, le Président s’est rendu au pont de Bezons, près de Nanterre d’où sont partis ce jour-là de nombreux manifestants, et où des corps ont été repêchés dans la Seine. » Il y a observé une minute de silence.

 

Stora, « historien » au service du trotskisme

Un mot en passant de Stora. Ce « spécialiste de l’Algérie » a un passé chargé. Né en 1950 dans la communauté juive de Constantine, en rupture psychique et politique avec elle, il a été de 1968 à 1984 membre du groupe trotskiste Alliance des jeunes pour le socialisme de l’OCI, l’organisation communiste internationaliste de Pierre Lambert, membre du comité directeur de l’OCI de 1977 à 1984 et permanent rétribué de 1976 à 1981. Historien, il préfère les « mémoires » audiovisuelles aux archives, aimant à parader dans beaucoup de machins administratifs. Voilà l’homme que Macron a choisi pour construire avec lui une « mémoire républicaine » à partager « par tous ». C’est lui déjà qui, soutenant François Hollande, accompagna son candidat au pont de Clichy en 2011 pour commémorer le 17 octobre 1961 et lui conseilla, une fois élu, de faire reconnaître dès 2012 ce « massacre ». Deux présidents de la République ont déjà rendu un hommage appuyé aux « victimes du 17 octobre ». Cela rend la loi votée hier superflue – sauf pour le battage politique qu’en tire Macron.

 

Macron excite toutes les francophobies

Menant une politique économique mauvaise et une politique sociale dangereuse pour la cohésion de la Nation, il se réfugie dans le sociétal (avortement, euthanasie) et le symbolique (Manouchian, 17 octobre) pour satisfaire la gauche. De la même manière que les bourgeois égoïstes et malthusiens ont donné dans l’anticléricalisme sous la troisième pour ne pas donner de leur poche au peuple. Et en même temps, il continue, par un patient mensonge, à faire la révolution de l’histoire et par l’histoire, à pervertir les esprits, à falsifier les mots et les faits. Il prétend « dépasser les cloisonnements mémoriels » et réconcilier les Français, il rouvre des plaies douloureuses et mal fermées, détricotant le roman national pour tricoter un roman antinational. Il excite ainsi les revendications fantasmatiques des minorités ensauvagées qui se sont installées en France, menaçant la paix civile, stimulant la cathophobie, la leucophobie, l’européophobie, bref, toutes les francophobies.

 

Pauline Mille