L’internement administratif des fichés « S » devant le Conseil d’État – un État policier accru… pour quelles causes ?

fichés internement administratif état policier
 
La France ne s’en inquiète pas outre mesure – il faut dire qu’elle est prête à tout ou presque pour éviter une redite douloureuse de attentats de novembre. Mercredi, une demande d’avis a été envoyée au Conseil d’État par le gouvernement : il s’y interroge sur la « constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux » d’un internement administratif à titre préventif des personnes fichées « S » par la DGSI. Une salutaire prévention du terrorisme ? Pas seulement… Les islamistes ne représentent environ que la moitié de ces fameuses fiches. L’État policier se resserre – toujours pour une bonne cause…
 

Un internement administratif

 
Mercredi, c’est tout le projet de réforme constitutionnelle, visant à inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité des binationaux dans la Constitution, qui a été soumis à l’avis de la plus haute juridiction administrative – le placement en centre de rétention à titre préventif des fichés « S », c’est à dire « des personnes radicalisées, présentant des indices de dangerosité et connues comme telle par les services de police » en est un, seulement, des composants.
 
Des suspects donc, et non des coupables, qu’il faudrait détenir jusqu’à ce que vérification soit faite de leurs agissements ou de leurs projets. Pas de raison à donner, bien évidemment : ce qui fournirait aussi un moyen de pression ad hoc, à tout moment souhaité… Une pièce supplémentaire de l’État d’urgence à la française – de l’État policier, sans aucun doute aussi.
 
C’est Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy qui sont à l’origine de cette proposition, émise au lendemain des attentats du 13 novembre. Elle a été sitôt reprise par notre Premier ministre et un gouvernement soucieux de « renforcer la sécurité ». Une idée, donc, à la fois LR et PS. Une partie des élus de gauche a néanmoins réagi, réticents à rogner sur l’État de droit. Mais au lendemain de l’horreur, cette solution pourrait être approuvée par le Conseil d’État et votée par le Congrès…
 

Un très large champ…

 
Si elle est peu connue du grand public, la fiche « S » existe depuis les années 60, où elle rentrait dans la stratégie de la guerre froide (agents, espions…). Elle est éditée par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mais aussi par les enquêteurs de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) et son fichier est consultable par les forces de sécurité nationales et européennes – c’est une des 21 sous-catégories du FPR (Fichier des Personnes Recherchées).
 
Quoiqu’on ne brandisse que le spectre du terrorisme, son champ est large : peuvent être concernées par une fiche « S » toutes les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ». Un classement par chiffres, de « S1 » à « S16 », permet d’observer les consignes à adopter face aux dits individus (le niveau S14 correspond aujourd’hui aux combattants djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie).
 

20.000 fichés « S » ?

 
Son rôle d’alerte est, aujourd’hui, de fait, sérieusement remis en cause : de Mohammed Merah à l’auteur de l’attaque du Thalys le 21 août dernier, en passant par les frères Kouachi de la fusillade de Charlie Hebdo ou par le « décapiteur » Yassin Salhi, tous étaient ou avaient été fichées « S » – au moins deux des auteurs des attentats de Paris l’étaient également. Le contrôle suivi est manifestement impossible.
 
D’autant que la liste des fichés « S » est officiellement vidée tous les deux ans, même si un individu peut être à nouveau fiché plusieurs années après. Et elle n’est accompagnée d’aucune mesure coercitive automatique – les députés viennent d’ailleurs de refuser qu’elle soit communiquée aux entreprises de transports.
 
La logique sécuritaire voudrait donc une petite réforme…
 
Le seul hic est que ces fiches « S » ne concernent pas uniquement de potentiels terroristes islamistes. Mais aussi « des militants d’extrême gauche comme de l’ultra droite, des hooligans ou bien des altermondialistes ou encore des activistes identifiés parmi les Black Blocks » confie un spécialiste. Ou encore les opposants notoires aux lois sacrés de la République…
 
Les islamistes ne représenteraient ainsi que la moitié des 10.000 fichés « S » officiels d’aujourd’hui – on parle davantage de 20.000. Le « fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste » des services antiterroristes signale d’ailleurs « seulement » pour sa part, 12.423 personnes…
 

Un État policier renforcé « par la conjoncture »…

 
Des journaux italiens se sont affolés de cette potentielle mesure répressive, unique en Europe : « Ce n’est qu’une des nombreuses propositions de réforme étudiées par l’exécutif dans le cadre de l’état d’urgence déclaré le 13 novembre, mais c’est sans doute la plus choquante pour la patrie des droits de l’homme » affirme La Repubblica.
 
En France, on ne s’affole pas beaucoup. Face à la terreur, il est difficile de ne pas tendre ses poignets : la logique veut qu’on dise oui à plus de sécurité et moins d’attentats… Et pour neutraliser un risque ciblé, on accepte un contrôle global accru.
 
Ferme-t-on pour autant les frontières pour éviter que ne rentrent de nouveaux fauteurs de troubles ? Certes non, il faut continuer à les laisser poreuses pour maintenir le risque. Le Califat, qu’on a laissé naître et se développer au Moyen-Orient, est ainsi prétexte à une maîtrise interne renforcée des nations. Et droite et gauche, dans cette perspective socio-politique, se rejoignent.
 

Clémentine Jallais