Ils ont levé un lièvre. Le long-métrage de Will Gluck, adapté de Beatrix Potter, sorti le 9 février aux États-Unis a déjà contre lui un certain nombre de détracteurs, en dépit de ses 25 millions d’entrées. En cause : un passage du film où Pierre Lapin et ses compatriotes, en guerre contre le neveu de M. McGregor, l’attaque avec des mûres, sachant parfaitement qu’il y est allergique… Indignation ! Parents et associations ont crié au scandale et à l’irresponsabilité.
Beaucoup de bruit néanmoins, pour presque rien, qui révèle en sus les tares appuyées de cette société moderne épidermique et flocon de neige…. Le rire a ses impératifs – et ses interdits.
Pierre Lapin joue avec les mûres – et avec les allergies
Tout le film d’animation illustre un combat acharné entre les deux personnages principaux, Pierre Lapin (et sa sempiternelle veste bleue) et Tom McGregor, le neveu du vieux et terrible M. MacGregor qui a hanté nos rêves d’enfant avec ses lunettes rondes et ses petits yeux cruels… Des deux côtés, c’est à qui éliminera l’autre le premier.
Un « combat à mort » donc, burlesque, sur fond de pop (qu’aurait certainement désapprouvé la sage Beatrix Potter), dans lequel Pierre Lapin n’hésite pas à se servir d’un talon d’Achille de son adversaire : son intolérance aux mûres. Dans une scène déjantée, lui et sa parentèle à poil utilisent ces projectiles pour tenter d’incommoder McGregor. Une mûre lui tombe effectivement dans le gosier et ce dernier, en état de choc allergique, réussit tout juste à s’injecter son EpiPen, traitement d’urgence à base d’adrénaline…
De bonne guerre ? Pas pour tout le monde. Nous sommes à l’heure des réseaux sociaux. Où le moindre mécontentement, la plus petite divergence d’opinion peut faire effet de boule de neige et accoucher d’une montagne d’opposition publique déclarée. De fait, toute la presse outre Atlantique et outre Manche en parle : « C’est un scandale » pur et simple.
Un nouveau modèle : « l’intimidation allergique »
Pire que la moquerie, ils dénoncent la promotion de « l’intimidation allergique ». « Quel genre de message cette scène envoie-t-elle aux enfants ? ! Faire ça relève d’un crime d’agression ! » a tweeté une maman. Et le groupe de charité Kids with Food Allergies de publier illico un avertissement sur sa page Facebook avec le hashtag #boycottpeterrabbit qui a envahi, sitôt, les réseaux sociaux…
La Fondation pour les enfants atteints d’allergies a fustigé une blague « nocive pour la communauté ». Le groupe australien Global Anaphylaxis Awareness and Inclusivity a lancé lui aussi une pétition, affirmant que le film « ironise sur la gravité de la maladie allergique et est irrespectueux envers les familles de ceux qui ont perdu leurs proches ». Il « encourage le public [et un public jeune] à ne pas prendre le risque de réactions allergiques au sérieux ».
Tant et si bien que les cinéastes de « Peter Rabbit » et les studios Sony Pictures ont fini par prendre le parti de s’excuser. Ils ont déclaré dimanche que « les allergies alimentaires sont un problème grave » et le film « n’aurait pas dû faire la lumière » sur un personnage allergique aux mûres « même dans un style cartoon, burlesque ». « Nous regrettons sincèrement de ne pas être plus conscients et sensibles à cette question »…
Un prétexte pour la morale du film
En bref, on ne joue pas avec ça.
Bon, c’est certain que ce n’est pas une attitude à imiter. Le choc provoqué par une allergie peut tuer, dans des cas extrêmes – il se limite dans tous les autres cas à des manifestations d’urticaire et autres. Mais il y a bien d’autres attitudes dans les dessins animés et films destinés aux enfants qui ne seraient pas à imiter précisément…
Surtout que l’évolution du film montre bien que le comportement de Pierre Lapin n’est pas positif, qu’il agit mal face à McGregor. Ce n’est pas un « héros » et son choix de profiter de la faiblesse allergique de son adversaire n’est pas ovationné. C’est même là qu’il réalise qu’il est peut-être, ce faisant, le méchant de l’histoire ! De fil en aiguille, Pierre Lapin se fait meilleur – en somme, la moralité de beaucoup de bons dessins animés.
Socialement incorrect
Mais qu’importe le contexte pour ces gens – la plupart n’ont même pas vu le film. Ce qu’une bonne part d’entre eux refuse, c’est la stigmatisation : on rit de la faiblesse spécifique d’un groupe, d’une minorité, ce n’est pas juste, c’est socialement incorrect. Le rire a désormais ses impératifs – et ses interdits. Il ne doit plus être communautaire, au risque de tomber dans la discrimination (encore heureux que Tom McGregor fût un bon Anglais au teint très pâle)
Quant à la violence potentiellement reproductible du geste, comme certains l’ont dénoncée, il est frappant de voir à quel point leur échelle en termes de jugement est faussée. Que dire de la violence éperdue de certains films ou jeux vidéos à destination des enfants ou des adolescents ? Peu importe les tueries organisées, la sexualisation débridée… hormis la nouvelle morale, toutes les déviances sont permises.
Drôle d’aseptisation.