Les Britanniques nous observent et, pour eux, l’affaire est entendue : « La croissance française vacille, le marché du travail est face à un point de bascule. » Le Financial Times s’appuie sur les derniers chiffres officiels publiés qui, s’ils ne sont pas spectaculairement négatifs, pointent le début d’une fragilisation de l’emploi, en particulier chez les jeunes. A cela, il faut ajouter que, face à des perspectives économiques peu réjouissantes et des contraintes budgétaires renforcées, les entreprises redoutent une période de faible activité et ont déjà pris des décisions en conséquence, via des réductions d’effectifs, voire des fermetures de sites.
Selon Audrey Louail, la présidente du réseau CroissancePlus, premier réseau des CEO (PDG) en France, cette « morosité » est une première depuis la crise du covid-19. Et il va y avoir des répercussions, il faut s’y préparer.
Des signes avant-coureurs éloquents en France
« L’avenir s’assombrit pour le marché du travail dans la deuxième puissance économique d’Europe » affirme, tout de go, le journal londonien. Pour cet article publié le 16 mars, le quotidien de la City a pris le pouls de l’économie française auprès de chefs d’entreprises et d’analystes du marché de l’emploi. Mais les chiffres sont le premier élément de sa réflexion.
De prime abord, ils n’ont rien de catastrophique : l’INSEE a brandi début février le pourcentage honorable de 7,3 % pour le taux de chômage du quatrième trimestre 2024, soit un taux légèrement supérieur à son précédent point le plus bas depuis 1982, à savoir 7,1 %, ce qui représente 63.000 chômeurs de moins par rapport au troisième trimestre. Néanmoins, l’INSEE relève la première contraction du taux d’emploi depuis une décennie.
Les calculs de France Travail, ex Pôle-Emploi, apportent quelques indices supplémentaires : les effectifs en catégorie A ont, en réalité, grimpé de plus de 100.000 (+ 4 %) : une augmentation qui, si l’on excepte les périodes de covid et de récession, a typiquement caractérisé la crise de 2008, comme le faisaient remarquer Les Echos.
Les jeunes en font particulièrement les frais (+ 8,5 %), même si leur taux de chômage reste beaucoup plus bas qu’en 2017 : leur taux d’emploi a continué de se contracter, en particulier parce qu’ils s’inscrivent davantage, tentant de conjuguer leurs études et un travail rémunéré.
Des réductions d’effectifs généralisées, des embauches ralenties dans le marché de l’emploi
Il faut surtout considérer ce chiffre avec, en arrière-plan, tout ce qui a été fait depuis 2020, comme le relèvement de l’âge de la retraite et les subventions accordées à l’apprentissage et à la formation professionnelle, qui ont augmenté la main-d’œuvre française de plus d’un million de personnes. Tandis que la croissance du PIB, elle, est toujours à 1 %… Pour certains, le marché du travail est grippé.
« Nous sommes à un point de basculement, a déclaré Olivier Redoulès, directeur de l’institut de recherche Rexecode. Nous commençons à voir les premiers signes d’une mauvaise orientation du marché du travail – et si cela se produit, cela peut prendre beaucoup de temps à réparer. » La croissance des salaires en France a déjà été la plus faible des grandes économies au cours de l’année écoulée.
L’économiste principale chez ING perçoit aussi un affaiblissement du marché du travail « très clair », en France, en raison d’une plus grande incertitude politique, par rapport à l’Allemagne par exemple, et de la limitation des dépenses liées à l’embauche dans le secteur public. Un sondage du réseau Croissance Plus montre qu’un tiers de ses 11.000 membres prévoient de réduire leurs effectifs cette année, en raison de la faiblesse des perspectives économiques et de l’imminence d’un resserrement budgétaire.
« Les faillites d’entreprises se multiplient et les licenciements s’accumulent », décrit le Financial Times. Et l’on ne peut le contredire. Depuis septembre dernier, nombre de sites industriels se sont vus touchés par des réductions d’effectifs, comme General Electric à Nantes et Saint-Nazaire ou même Auchan qui entend supprimer jusqu’à 2.300 postes en France. Michelin a tout bonnement fermé ses deux sites de Vannes et de Cholet et réduit maintenant celui de Troyes. Les restructurations d’entreprises ont ré-augmenté depuis 2023, après avoir atteint un niveau plancher en 2022. Et ce qu’on appelle les défaillances, à savoir les redressements judiciaires ou les liquidations, ont fait + 17 % par rapport à 2023.
Croissance de la décroissance ?
Un climat morose qui marque donc une rupture dans le boom de l’emploi commencé avant 2020, tant et si bien qu’au 1er mars le programme de congés subventionnés par l’Etat, qui a aidé les entreprises à conserver leurs travailleurs pendant les fermetures d’usines de l’ère covid, a été relancé.
Le Financial Times souligne la particularité française, à savoir que, selon une note récente du Conseil d’analyse économique du gouvernement, les adultes âgés de 16 à 74 ans travaillent en moyenne 100 heures de moins par an qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne (qui affichent respectivement des taux de chômage de 4,40 et 6,40 %). C’est dû majoritairement au fait que beaucoup de jeunes et de personnes âgées ne travaillent pas du tout : les premiers, notamment, mettent beaucoup plus de temps qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne à trouver leur premier emploi, et beaucoup d’entre eux ne suivent ni études, ni travail, ni formation d’aucune sorte.
Et pourtant, la France n’est pas la dernière à dépenser ses sous pour les y enjoindre. D’ailleurs, elle veut que ça s’arrête. On songe, dans les ministères, à réviser en profondeur, encore plus que ce qui a déjà été fait, l’aide aux chômeurs… sans s’appesantir, bien sûr, sur les causes réelles de ce chômage provoqué, entre autres, par le libre-échangisme mondialiste qui grève l’économie française.
« Où faut-il prendre l’argent ? » écrivait, il y a un an, Pauline Mille. C’est la sempiternelle ritournelle. Et les dépenses sociales sont la cible – mais attention, seulement pour les classes moyennes, vaches à lait du système ! Quant à créer plus de richesses en libérant l’activité économique du carcan socialiste français, pays champion du monde des prélèvements obligatoires… Oui, l’argent manquera bientôt, mais surtout aux ménages pour qui le chômage devient un véritable sujet d’inquiétude.