Quelle solution pour la France en révolution : blocage, démission ou dissolution ?

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Le 9 septembre est coincé entre le 8, date du refus historique de la confiance au gouvernement par une majorité de députés de tout bord excédés par Bayrou, et 10, blocage non moins historique de la France par une coalition de Français exaspérés par Macron. Le pays semble au bord d’une révolution, on parle crise de régime, institutions en danger. Mélenchon évoque 1788, Alain Duhamel trouve la situation « pire qu’en 1958 », le RN demande la dissolution de l’Assemblée, d’autres de plus en plus nombreux, la démission du président de la République. Quelle solution, dans ce tohu-bohu, peut-elle permettre à la France de sortir de ce désordre ? Cela dépend au moins de deux choses. D’abord, de l’ampleur du blocage du 10 septembre, qui va déterminer en grande partie ce qu’il va être possible de faire dans les prochaines semaines. Ensuite du rapport des forces en présence et de la capacité générale à le reconnaître : or d’une part le déni du réel continue à dominer la classe politique, et de l’autre, la plupart des partis et des chefs n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts immédiats. Il ne s’agit pas de les juger, ni leur vision, leur projet ou leur programme, l’action qu’ils peuvent mener, mais seulement de voir comment remettre en marche une machine détraquée depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022. L’annonce par celui-ci d’un nouveau Premier ministre d’ici à jeudi va aggraver la crise.

 

Blocage et révolution en France ? Un « profond bonheur » !

A tout seigneur tout honneur, l’ex-Premier ministre François Bayrou. C’est le dernier fusible qui vient de sauter, le quatrième incapable, après Elisabeth Borne, Attal et Barnier, à avoir occupé Matignon dans ce second quinquennat Macron. La haine autour de lui doucement s’est apaisée avant même qu’il n’ait remis sa démission au président. Il a voulu s’en aller tête haute sinon mains propres, avec sa série estivale de vidéos pédagogiques sur la dette, suivie hier par son interminable péroraison de bègue : « Vous avez le pouvoir de renverser le gouvernement, vous n’avez pas le pouvoir d’effacer le réel. » Par cette évidence grandiloquente, il entendait poser à l’homme qui dit tout haut ce que les menteurs passent leur temps à masquer – les menteurs ou les lâches qui vivent dans le déni, les politiciens déconnectés du réel. Hélas pour lui, quelques minutes après, il s’est montré au naturel, champion du déni. Le débat était terminé, il attendait l’annonce officielle de sa défaite avec la tranquillité du cycliste arrivé un quart d’heure après les hommes de tête dans une étape de montagne, il eut ce mot étonnant pour décrire ses neuf mois à la tête du gouvernement : cela aura été pour lui « un profond bonheur ».

 

Un déni qu’aucune démission ni dissolution n’atteint

La dette publique de la France, il le répète, a dépassé 3.400 milliards, les taux d’intérêts grimpent dangereusement et son service sera sous peu le premier poste du budget de l’Etat, l’invasion déborde dans toutes les villes de France, l’insécurité atteint son comble, la guerre rode, le pays perd son influence dans le monde, l’économie marche sur trois bougies, les impôts sont au plus haut, les Français peinent à joindre les deux bouts, l’agriculture est à bout – et celui qui était aux manettes a ressenti neuf mois de « profond bonheur » ! Parce que, nous assure-t-il, il n’y a pas eu de crise dans son gouvernement. Il semblait soulagé, s’exprimait franchement, sans retenue, un peu ivre, comme un homme qui enterre sa vie de garçon, en fait, il enterrait sa vie de Premier ministre. On en reste estomaqué. Comme tous ses congénères, François Bayrou est complètement déconnecté de la réalité. Pas besoin pour lui d’effacer le réel : il ne l’éprouve pas, il ne le sent pas. Le drame est que ses camarades et concurrents ne le perçoivent pas beaucoup mieux dans l’ensemble. Ils sont obsédés, possédés pourrait-on dire, par une seule chose : non l’intérêt de la France, mais leur propre survie politique.

 

La dissolution balaierait ceux qui vivent du blocage de la France

Commençons par les Macronistes. Le cœur du bloc central, comme on dit. De récents sondages pour Le Figaro Magazine et Les Echos situent la popularité du président entre 15 et 17 %. Des scores dignes de François Hollande. Et comme son prédécesseur, ce boulet entraîne au fond ses congénères, Philippe, Darmanin, Attal plongent avec lui. La macronie était déjà dans le trente-sixième dessous en 2024, elle n’avait limité la casse après la dissolution que grâce à son pacte avec l’extrême gauche pour faire barrage au RN. Or, comme l’a noté Nicolas Sarkozy, qui connaît bien la carte électorale, le « barrage républicain » ne fonctionne plus. La chute libre que connaissent les macronistes dans les sondages se traduirait donc en cas d’élections législatives par leur quasi-disparition. C’est évidemment pourquoi Gabriel Attal, ancien Premier ministre à la fois presque insignifiant et nocif se présente en rénovateur des institutions lorsqu’il recommande à Emmanuel Macron de nommer un « négociateur » entre les partis pour définir un socle commun que pourrait soutenir une grosse coalition sur le modèle de certains voisins européens : cette façon de faire, qui ne fonctionne pas, garantit l’inertie du système et nous rappelle, à nous Français, le régime désastreux des partis, qui a plombé les troisième et quatrième Républiques.

 

En France, le système tout entier menacé par la dissolution

Sur le même modèle et pour les mêmes raisons, Olivier Faure, premier secrétaire du PS, et Boris Vallaud, chef du groupe PS à l’Assemblée, se disent « prêts à gouverner ». Cela n’a aucun sens si l’on se place du point de vue de l’action. En effet, ils ont été élus en 2024 dans la coalition formée par toutes les gauches dans le Nouveau Front Populaire, dont l’âme était LFI. Or, aujourd’hui, le PS est fâché avec LFI : il n’y aura donc, le PS à Matignon, ni force cohérente ni programme pour soutenir son action. D’autre part, si un Premier ministre socialiste entendait appliquer le programme NFP, tant Retailleau que Wauquiez, pour les Républicains, ont dit « sans nous » ! Le PS n’aura donc nulle majorité, ni relative, ni même de circonstance, pour gouverner. De sorte que les propositions socialistes n’ont qu’un but : faire apparaître Macron, s’il refuse de nommer un PS à Matignon, en autocrate qui refuse la règle du jeu républicaine, et conserver des élus. De très nombreux socialistes n’ont été élus au second tour des législatives de 2024 que grâce au front républicain. Ils seraient aujourd’hui balayés comme les macronistes.

 

Le centre droit ralliera-t-il par tactique à la solution nationale ?

Le phénomène s’étendrait d’ailleurs à toute la gauche, parti communiste, écologistes et France insoumise compris en cas de dissolution. Il faut se souvenir qu’au premier tour de 2024, les projections prévoyaient un raz-de-marée du RN au second, la seule question étant de savoir s’il obtiendrait la majorité absolue à lui tout seul, ou s’il lui faudrait chercher des appoints. C’est la stratégie du barrage républicain, lancée par Gabriel Attal et acceptée par à peu près tout le monde sauf Eric Ciotti, qui a permis de sauver les meubles de la gauche et produit la chambre sans majorité, la France ingouvernable et l’instabilité d’aujourd’hui. On a raison de dire que Macron en est le premier responsable, par la dissolution qu’il a décidée, mais il n’en est pas le seul : personne n’a forcé tous les partis autoproclamés républicains à entrer dans le Front qu’a lancé Gabriel Attal alors et qu’il rêve aujourd’hui de reconduire. L’instabilité, c’est la grande coalition des partis qui négocient sur le dos de la France, c’est le barrage républicain. Pour sortir de l’instabilité et du blocage actuels, il suffirait d’une dissolution, suivie de législatives qui permettraient aux droites libérées du barrage républicain de passer un accord de non-agression avec le RN : il y aurait un gouvernement soutenu par une majorité, que l’on pourrait juger non plus sur parole mais sur pièces. Cette solution sauverait les institutions et « la droite modérée », mais il faudrait pour cela qu’elle se rallie, même par tactique et momentanément, à une solution nationale.

 

Parce que c’est la solution, la dissolution fait peur

C’est justement parce que la dissolution serait cette fois porteuse d’une solution que la macronie et la gauche n’en veulent pas, craignant de voir disparaître les pouvoirs qu’ils ne doivent qu’à l’arrangement du barrage républicain. Et bizarrement, Sarah Knafo de Reconquête s’associe au slogan de Jean-Luc Mélenchon et aux revendications des partisans du blocage du 10 septembre en exigeant la démission du président. C’est étonnant pour un cadre de Reconquête, parti qui se réclame de la nation : car pousser un président à démissionner a toujours été le fait de la gauche, que ce soit pour Mac Mahon en 1877-79, ou pour Millerand en 1924. Mais elle fait primer son intérêt : dans des législatives, Reconquête n’aurait que des rogatons, dans une présidentielle, elle peut espérer un score plus honorable. Et surtout, le candidat du RN ne serait pas Marine Le Pen. De deux choses l’une, ou bien Bardella serait battu et cela donnerait de l’air à Reconquête pour la suite, ou bien il l’emporterait et aurait besoin d’une union des droites pour gouverner.

 

La révolution a deux visages : le blocage et les institutions internationales

Telles sont les positions des partis. Maintenant, on va voir ce que va donner la journée de blocage, et la marge de manœuvre dont jouira donc Emmanuel Macron. Avec tout de même en prime, il faut le signaler parce que cela pèse de manière déterminante, le contexte international. La partie se joue sous l’œil de l’Europe et des marchés qui évaluent tout cela. La révolution arc-en-ciel, mondialiste, a placé l’actuel président de la République et compte sur ses relais dans tous les partis. La situation de la France n’est peut-être pas aussi mauvaise que l’a dit Bayrou, mais ses obligations internationales sont de plus en plus lourdes et le FMI demeure en embuscade. Depuis longtemps, la politique menée à Paris n’est plus à proprement parler souveraine, mais le pas suivant serait une mise sous tutelle officielle. Il n’est pas impossible que le centre droit « responsable » accepte de soutenir, eu égard à ce « danger », un gouvernement de salut public inspiré par les socialistes, au nom de la « stabilité ».

 

Pauline Mille