Gouvernement : après les jeux, le cirque républicain

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Six semaines après le second tour des législatives provoquées par la dissolution surprenante décidée à l’Elysée au soir des élections européennes, la France, un peu ivre de tant d’événements, n’a toujours pas de gouvernement. Près de 10 jours après la fin des jeux olympiques, que le petit monde parisien et ses médias ont décrit comme une « parenthèse » enchantée, celle-ci reste ouverte et Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire, expédie toujours les affaires courantes avec ses collègues. Le Nouveau Front populaire estime cela contraire à l’usage républicain, sa candidate Lucie Castets exige que commence tout de suite la cohabitation, pendant que Jean-Luc Mélenchon veut destituer Emmanuel Macron. Celui-ci, tranquille comme Baptiste, profite des derniers jours d’août et a convoqué les chefs de partis le 23 pour mettre fin à un cirque qui semble l’amuser.

 

Sans gouvernement, la parenthèse enchantée des jeux continue

Depuis le onze août, les yeux éblouis par l’été, le président de la République laisse couler de ses lèvres des paroles chargées de lait et de miel par lesquelles il prétend exprimer le bonheur des Français et le sien, comme s’il cherchait à prolonger un rêve. « On n’a pas envie que la vie reprenne ses droits », a-t-il dit, et cela résume sa pensée politique. L’homme qui nous incarna le Mozart de la Finance, la Nation Start-up, le Rempart contre les gilets jaunes, les banlieues, l’extrême-droite, nous la joue grandes vacances éternelles, coquillages et crustacés. Quel acteur ! Mieux que Delon, mieux que Néron même, il n’a pas besoin de brûler Rome pour nous en mettre plein la vue, et les promeneurs de Paris se rappellent grâce à lui que la rue du Cirque est à côté de l’Elysée.

 

Le cirque impudent de Castets et Mélenchon

Pendant ce temps-là, Madame Castets s’impatiente, elle veut cohabiter le plus vite possible, estimant « urgent » que soit appliquée « la politique que les Français attendent ». Pour lui faire plaisir, Macron l’a invitée à la consultation des chefs de parti, bien qu’elle n’ait, Marine Le Pen l’a relevé, aucun titre à y participer. Mais c’est pour lui indiquer la porte car chacun sait qu’elle ne trouverait nulle majorité de gouvernement. Elle aura fait son petit tour de cirque, comme Mélenchon d’ailleurs avec sa proposition de destitution du président : elle n’a aucun fondement juridique et ne trouverait nulle majorité politique pour la voter. Les alliés de Jean-Luc s’éloignent une nouvelle fois de lui, car sa proposition réduit à zéro les chances déjà très maigres de Madame Castets. Le cirque de la gauche révèle une double illusion : elle aurait la majorité et Macron se mettrait hors la loi en « jouant la montre ». Or c’est doublement faux. Toutes les gauches, apparentés compris, détiennent un tiers des sièges à l’Assemblée. Quant au président, c’est à lui seul qu’il revient de nommer un Premier ministre et la Constitution ne lui fixe pas de délai pour le faire. Surtout quand nulle majorité ne se dégage et qu’il est donc nécessaire d’entrer en tractations pour former une coalition.

 

François Mitterrand et le coup d’Etat républicain

Mais tout le jeu de la gauche en l’affaire est de montrer qu’elle incarne partout et toujours l’idéal républicain face à une droite par nature factieuse et un centre toujours complice. La tribune de Jean-Luc Mélenchon et ses amis insoumis résonne de phrases emphatiques et de grands souvenirs. Ils veulent « démettre le président plutôt que de nous soumettre ». On se croirait revenu, par-delà le cas de Millerand dans les années vingt à Patrice de Mac-Mahon. Ce genre de posture comminatoire était déjà pris au nom de la morale par un François Mitterrand voilà soixante ans avec son livre Le coup d’Etat permanent. Or, ni Mélenchon, ni Mitterrand, ni la gauche en général ne sont bien convaincants dans ce rôle. Quant à l’irascible Jean-Luc, chacun a en mémoire son masque révulsé hurlant « La République c’est moi ! » à un policier faisant son devoir, ce qui lui valut d’être poursuivi pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation ». De François Mitterrand, l’histoire a retenu qu’il a simulé un attentat contre lui dans les jardins de l’Observatoire en 1959 et que neuf ans plus tard, De Gaulle étant au pouvoir, en pleine émeute de 68, il a tenu une réunion au stade Charléty, en se proposant de prendre la présidence de la République et en offrant généreusement Matignon à Pierre Mendes-France, qui était à côté de lui dans cette tentative de putsch tranquille.

 

La tradition républicaine de l’illégalité violente

Quant à la gauche progressiste, qui prétend incarner l’idéal républicain, les valeurs républicaines, le fonctionnement des institutions républicaines, elle n’a jamais reculé devant le désordre, la violence et la transgression de la loi pour parvenir au pouvoir : c’est même cela la vraie tradition républicaine. La République doit l’existence à la violence des insurrections. La première République a commencé à l’été 1792 à la suite de la journée du 10 août et du massacre des Suisses, elle a continué par les massacres de septembre et la Terreur. Les républicains au dix-neuvième siècle ont participé aux Trois Glorieuses en 1830 puis à la révolution de 1848 pour établir la deuxième République. Puis, après avoir commis un coup d’Etat en 1870 en pleine défaite militaire de la France, ils ont fait passer la République en douce par l’utilisation d’un cavalier parlementaire, l’amendement Wallon. Tous les actes anticatholiques connus ensuite sous le nom de « conquêtes laïques » ont été posés en dépit des lois, et l’entrée en guerre de la France au Tonkin en 1881, contre l’Allemagne en 1939, n’a pas respecté la Constitution. Telle est la légalité républicaine dont la gauche se targue.

 

Un gouvernement pour priver le peuple de souveraineté

Face à un Macron qui se fiche du peuple et prétend former un gouvernement à sa guise, le Nouveau Front populaire se fiche tout autant du peuple tant par ses exigences politiques que par ses références morales. Le jeu auquel se livrent nos politiciens a pour fonction de masquer deux choses. D’abord le problème politique. Mélenchon prétend donner aux Français « un Premier ministre reflétant leur choix », mais c’est un mensonge éhonté. Le centre macronien, la fausse droite façon Wauquiez et toutes les gauches réunies se sont précisément ligués pour contrecarrer le choix des Français. Le 9 juin, ceux-ci mettent le RN en tête ; Macron dissout l’Assemblée pour ne pas rester sous cette pression ; le 30 juin, les Français remettent le RN en tête ; Macron, Mélenchon et Wauquiez s’allient pour y faire barrage, produisant ainsi ensemble une assemblée émiettée, propice à tous les marchandages. Avec malgré cela, un RN qui a recueilli la moitié en plus de voix que toutes les gauches réunies. Tout est fait donc par le système, de Philippe Poutou à Laurent Wauquiez, pour que ne soit pas faite la politique que les Français attendent.

 

Les jeux du cirque républicain masquent les vrais problèmes

Et telle est la plus grave, la plus nocive des fonctions du cirque républicain en cours : il masque les vrais problèmes et empêche d’y apporter la moindre solution sérieuse. Problèmes économiques, dette, prélèvements obligatoires, compétitivité. Problèmes de population : natalité, immigration-invasion, avec l’insécurité et le chômage et les coûts sociaux qui en découlent. Problèmes moraux et spirituels : avortement, folies LGBTQ+, GPA, mariage pour tous, euthanasie. Problèmes de mutation de la société et du pouvoir liés à la science : transhumanisme, intelligence artificielle. La « parenthèse enchantée » des jeux olympiques, avec ses cérémonies d’ouverture et de clôture et le scandale affiché des boxeurs en catégorie féminine, avait affirmé avec ostentation la volonté de conquête politique et spirituelle de l’arc-en-ciel : la parade de Macron et Mélenchon et leur cirque républicain continue le travail, et montre ainsi que la présidence d’un pays encore nominalement souverain n’est qu’un échelon subalterne du grand chambardement.

 

Pauline Mille