La France est un pays où, malgré un passé chrétien plus que millénaire remontant au moins aux IVème et Vème siècles, les références chrétiennes ne dominent pas, pour le moins, la société. La France est un pays qui se veut « laïc », ce que signifie concrètement sans Dieu, que ce soit au niveau de la société, de la superstructure politique ou des individus. Une minorité religieuse puissante et bruyante se manifeste certes ; toutefois elle est nullement catholique mais musulmane et se réclame donc d’Allah, qui n’est en aucune manière le Dieu trinitaire des chrétiens. Quant à la grosse moitié des Français se déclarant spontanément « catholiques » dans les sondages anonymes et extrêmement peu contraignants, elle vit complètement en dehors des cadres mentaux effectifs de cette croyance déclarée un court instant et de ses exigences, à commencer par la pratique religieuse effective, qui reste extrêmement faible.
De quand date cet effondrement du christianisme en France ? Et précisément du catholicisme ? Le catholicisme est la croyance affichée et pratiquée par quasiment la totalité des Français en 1789. Il est encore très présent, avec certes une érosion sur le long terme, en 1950, avec encore plus de 90 % de catholiques ! Aujourd’hui, on en est très loin. L’effondrement a suivi non une pente longue et constante mais résulte d’une rupture brutale et récente qui date des années 1960-70.
LA DECHRISTIANISATION DANS LE TEMPS LONG, DEPUIS LA REVOLUTION FRANCAISE
Notre monde a d’abord cessé d’être chrétien suivant un lent processus de déchristianisation causé par la Révolution française (1789-1799) : elle a annulé sur le long terme, même après la fin des persécutions, l’obligation sociale de la pratique religieuse. Le redressement catholique du XIXème siècle, partiel mais perceptible, a lui aussi été brisé en deux étapes : une première sous l’anticléricale Monarchie de Juillet (1830-1848), et une autre, beaucoup plus grave et profonde, sous la Troisième République (1870-1940). Dans les années 1880 à 1900, une vraie lutte a été menée contre la présence sociale de l’Eglise. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 a conclu ce processus et a mené à une spoliation des biens de l’Eglise.
Le catholicisme en France a considérablement souffert depuis 1789. Mais il a subi un effondrement récent et mesurable dans le temps long, hors de toute catastrophe politique ou de franche persécution comparable aux époques antérieures. Cet effondrement peut être daté précisément de la décennie 1963-1973. Les 20 % de catholiques allant à la messe ont brusquement cessé, dans leur grande masse, d’y participer. Depuis 1973, la pratique est de l’ordre de 2 %. Ce n’est pas totalement rien, ceci fait encore plus d’un million de personnes, mais le constat de l’effondrement par rapport aux années 1950 encore, sans évoquer évidemment les temps de Louis XIV ou saint Louis, est des plus nets.
Or ces années correspondent exactement à la mise en œuvre du Concile de Vatican II (1962-1965) et de ses réformes dans les paroisses en France. Il faut bien constater que ce concile, défini comme pastoral, avec pour ambition affichée de remplir à nouveau les églises par une liturgie réformée dans le sens de « l’adaptation au temps présent », a résolument eu l’effet inverse de l’ambition affichée.
Comment notre monde a cessé d’être Chrétien : DES CONSTATS DU SOCIOLOGUE GUILLAUME CUCHET
Guillaume Cuchet, sociologue, insiste sur le fait qu’il ne peut, comme scientifique et presque à son corps défendant, que faire ce constat. Il correspond aux déclarations des « intégristes et traditionnalistes » qui l’avaient bien annoncé, avant comme pendant les faits, à rebours d’un discours ecclésiastique dominant d’un optimisme béat. D’ailleurs les clercs enthousiastes ont « cassé le thermomètre » dans les années 1960-70 précisément, cessant un temps les études sociologiques sérieuses ; elles ont été reprises par la suite. Le sociologue a donc réalisé un vrai travail d’enquête avant de dater la rupture majeure, comprise entre 1960 et 1980, des années 1963-1973, soit exactement le temps du Concile de Vatican II et de son application immédiate.
M. Cuchet, ce dont on ne le félicitera pas, tient absolument à ne pas être pris pour un « intégriste ou traditionnaliste »… Ces termes lui font tellement horreur que, et c’est un tort du point de vue scientifique, il ne les définit jamais. Sa langue, lorsqu’il parle de liturgie et de dogmatique, est moderne. Il faut parfois le relire pour bien comprendre certaines formulations. La langue liturgique rénovée n’est nullement plus simple ou plus immédiatement compréhensible que l’ancienne !
Au moins ne peut-on accuser l’auteur d’être un traditionnaliste militant qui déformerait ses observations pour soutenir une thèse. Mais il lui faut bien constater que, par son travail de sociologue sérieux, il retrouve involontairement l’argumentaire des traditionnalistes, comme par exemple celui exposé par Monseigneur Lefebvre dans ses sermons. Ne plus enseigner du tout les fins dernières, et tout d’abord l’Enfer qui menace tous les fidèles, doucement négligents, et non les seuls criminels endurcis, ni le Purgatoire, complètement disparu dans les discours ecclésiastiques, conduit à tous les abandons, à commencer par celui de la pratique. Transformer les obligations, comme l’assistance à la messe, la confession et la communion régulières, en simple recommandations adressées à des « chrétiens adultes » démobilise complètement aussi.
UNE EGLISE DE PRATIQUE RELIGIEUSE CATHOLIQUE DANS LES ANNEES 1950
Dans les années 1950, encore proches, il y avait donc en France une forte minorité pratiquante, formant environ de 20 % de la population. Ce taux de pratique a été mesuré par des enquêtes régulières et sérieuses de prêtres, en particulier autour du chanoine Boulard. Le résultat de ces enquêtes sociologiques, à visées explicitement pastorales – faire porter les efforts de mission là où la déchristianisation est la plus nette -, a alors été une bonne surprise, comme le précise Guillaume Cuchet. Le clergé s’attendait à une pratique moyenne de 10 %, et le résultat a donc été du double. Rappelons que ces 20 % sont tombés à 2 %, avec 4 % de fidèles déclarés, ce qui permet de mesurer l’ampleur de la chute.
Ces données nationales sont la moyenne de grandes variations régionales : à un Centre de la France, à commencer par Paris, largement peu pratiquant voire franchement déchristianisé, s’opposent alors un Grand-Ouest resté de forte pratique catholique, majoritaire, et des petites chrétientés dans le Massif Central et l’Alsace-Lorraine. Les paroisses rurales sont dans tous les pays beaucoup plus pratiquantes que les villes. Dans bien des lieux, tout le village ou presque se rend encore à la messe dominicale.
Les sacrements sont alors tous fréquentés par les fidèles, y compris la confession régulière. L’auteur donne des indications précises, tirées des manuels de confession des années 1950 ou des témoignages de prêtres aujourd’hui très âgés et retraités. Les confessionnaux étaient remplis, avec de longues files d’attente pour Pâques. Les catéchismes sont encore fidèles aux modèles issus du Concile de Trente avec, même pour les enfants, une grande densité du propos et précision des notions, jusqu’à la difficile Très Sainte Trinité par exemple.
L’EFFONDREMENT RELIGIEUX RAPIDE DES ANNEES 1963-1973
Ce catholicisme des années 1950 est aussi très différent dans ses pratiques, voire ses croyances effectives, de l’actuel. L’auteur insiste sur le fait que Vatican II n’a nié aucun dogme ni même, à proprement parler, supprimé aucune obligation pour les fidèles, à commencer par la pratique régulière.
M. Cuchet développe l’exemple de la réforme de la confession, aux résultats absolument catastrophiques. Plus que le Concile ou son application, il y a eu le rôle terrible des rumeurs, procédé très maçonnique ajoutons-nous : de 1963 à 1973 était attendue la suppression de la confession, ou du moins son remplacement par des absolutions collectives peu exigeantes. Les fidèles ont donc anticipé en ne se confessant plus, et quand la confession fut malgré tout fermement rétablie dans le rituel de 1973, ils ne retournèrent pas aux confessionnaux. Ceux-ci ont du reste été abandonnés et remplacés par un entretien individuel, face à face, entre le pénitent et le prêtre. Cet entretien, sensé être aimable et rassurant et mettre en confiance, fait au contraire fuir le pénitent, surtout celui qui a commis des péchés graves, qui ne ressent plus le relatif anonymat du confessionnal.
Ainsi, le nouveau mode de distribution des sacrements a pu dérouter les fidèles et provoquer un éloignement. De même, l’analyse des discours des prêtres, conservés dans les bulletins paroissiaux, montre un changement net des thèmes des prédications. Le religieux à proprement parler cède de plus en plus la place à une religiosité vague et optimiste, avec une omniprésence de thèmes sociaux, dans une complicité plus ou moins avouée avec la gauche culturellement dominante. Or cette dernière est pourtant toujours marxiste et athée, et a vu dans le gauchissement du clergé une victoire morale ; elle n’a rien renié de son athéisme et de son anticléricalisme. Par contre les « chrétiens de gauche » ont beaucoup apostasié et n’ont rien transmis : leurs enfants sont le plus souvent athées. L’illustration bien connue est celle de Jacques Delors, chrétien socialiste, assistant à la messe tous les jours, et sa fille Martine Aubry, socialiste athée convaincue.
Cet abandon massif de la pratique a été accompagné, sinon dans une certaine mesure provoqué, par une large démobilisation des prêtres. Les fidèles ont eu fortement le sentiment que « les curés n’y croyaient plus », ce qui a eu les effets les plus dévastateurs sur eux. Particulièrement troublants ont été les abandons massifs du sacerdoce, avec plusieurs centaines de cas par an dans les années 1960-70 : c’est un phénomène exceptionnel, mesurable par le sociologue. Il n’y avait eu dans les années 1800 à 1950 que quelques rares scandales individuels… Et contrairement aux « déprêtrisations » opérées sous la Terreur révolutionnaire en 1793-94, il ne s’agit nullement de lâcheté à la perspective du martyre, mais d’abandons parfaitement volontaires, sans contraintes, et pour certains très médiatisés. Bien des prêtres réformateurs en pointe dans les années 1950-70 ont souvent très vite mal fini. Ces nombreux scandales, trop réels, ont été en outre exagérés par des médias maçonniques, anticléricaux, presse, radio, télévision, absolument ravis, ce qui a d’autant plus dérouté les fidèles.
La culture de haine et de mépris du catholicisme n’a elle jamais fait preuve d’ouverture ou de compréhension. Par contre la vraie culture catholique, dans les faits contre-culture face à l’anticléricalisme républicain, s’est au contraire décomposée à vive allure. Au nom d’une charité mal comprise, instrumentalisée, absolument tout est désormais excusé. Tous les péchés seraient systématiquement pardonnés et l’Enfer, dont on ne parle plus, serait vide ou inexistant… Vatican II, comme le rappelle l’auteur, n’a jamais rien avancé de tel, mais telles sont les perceptions d’une large part des fidèles. La culture systématique du doute, l’attitude facile du scepticisme philosophique, a désormais pénétré massivement au sein même de l’Eglise, dans ses réalités humaines. Tout ceci contribue à l’effondrement de la foi et de la pratique.
VERS LA FIN DU CATHOLICISME EN FRANCE ?
L’approche du sociologue se limite aux réalités de ce monde. A cette approche matérielle du sociologue, il manque la dimension spirituelle. Ne plus parler de points de doctrine, les nier en pratique, n’est pas qu’une erreur de stratégie de gestion du troupeau des fidèles. C’est beaucoup plus grave, c’est corrompre le dépôt de la foi. Ce rappel n’enlève rien à la qualité des observations et analyses du sociologue, mais il faut le garder à l’esprit.
Ce déclin massif du fait religieux catholique en France conduit à une perte fondamentale d’une part essentielle la culture de la France. Pire, dans une perspective spirituelle, celle du salut des âmes, il y a de quoi s’inquiéter terriblement de l’apostasie de masse, pratique, partielle ou totale, qui a lieu et continue plus que jamais dans notre pays.
A vue humaine, l’Eglise en 2018 ne peut en France que poursuivre son déclin. Le baptême des enfants est devenu nettement minoritaire. De façon prévisible, l’Eglise catholique n’est amenée à subsister au XXIème siècle que comme petite minorité. Les réformes de Vatican II ont fait fuir les fidèles habituels et n’en ont attiré aucun nouveau. Le phénomène n’a pas touché que la France. Mais l’Eglise n’est ni une entreprise commerciale ni un mouvement politique qui peuvent croître, décliner, mourir. Elle est une institution divine fondée par Jésus-Christ Lui-même. Elle repose donc sur des promesses divines et ne pourra jamais disparaître. L’Eglise catholique ne disparaîtra pas en tant qu’Eglise universelle, mais elle peut certes disparaître ou quasiment de France, comme elle l’a fait dans d’antiques terres de chrétienté comme l’Irak ou la Tunisie, aujourd’hui exclusivement ou quasi-exclusivement musulmanes. Il y a donc tout lieu de s’inquiéter et de prier Notre-Dame Reine de France de nous aider du Ciel.