L’archevêque émérite de La Plata, Mgr Hector Aguer, connu pour ses idées traditionnelles, a publié une lettre ouverte intitulée « Plus de bébés » dans laquelle il dénonce la grave crise démographique en cours dans son pays, l’Argentine, ainsi que le manque de réaction des évêques catholiques face à un problème qui est aussi moral et religieux.
Nous vous présentons ci-dessous la traduction de larges extraits de cette lettre remarquable, notamment, par le fait qu’elle aurait pu être publiée quasiment à l’identique dans de nombreux pays du monde, puisque la dénatalité est un fléau qui frappe tous les pays occidentaux et la totalité du monde « développé », mais aussi des pays comme la Chine où même les injonctions du Parti communiste – directement responsable de la chute de la fécondité par sa mise en œuvre, jusqu’à une date récente, de la politique de l’enfant unique – ne parviennent pas à inverser la chute des naissances.
Mgr Hector Aguer dénonce la perte du sens moral comme cause de l’hiver démographique
Mais en Argentine la baisse est particulièrement spectaculaire, il faut bien le reconnaître : Mgr Aguer pointe la diminution du nombre des mariages et le recul de l’âge du mariage et des premières naissances – facteur que l’on retrouve en France par exemple où l’âge moyen de la première maternité a pour la première fois dépassé les 29 ans selon l’INSEE, aux termes de ses plus récents résultats portant sur 2023. C’est-à-dire à un âge où la fécondité moyenne des femmes commence à décliner.
Si des facteurs économiques et sociaux sont sans doute en cause – la difficulté de se loger, même avec deux salaires, la nécessité pour les femmes de mener à bien des études et de travailler au cours de leurs années les plus fertiles, alors qu’il faut le plus souvent travailler à deux pour qu’une famille puisse assurer ses besoins élémentaires – ce ne sont pas ceux-là que Mgr Aguer désigne.
Il note en priorité le déclin moral qui précède et accompagne l’« hiver démographique » : la perte du sens du mariage et de la famille, le concubinage, le recours à la contraception. L’environnement défavorable joue sans doute un rôle, les mêmes causes provoquant un peu partout les mêmes effets, mais il n’y a pas eu de large résistance à cet état de choses, et les autorités morales – à commencer par les évêques – n’ont pas rappelé à temps et à contre-temps les responsabilités, les devoirs et les joies liées à une vie familiale conforme au commandement divin. – J.S.
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Lettre de Mgr Hector Aguer sur l’hiver démographique
Une analyse sociologique souligne un grave danger qui menace l’Argentine : l’hiver démographique. Les naissances dans notre pays sont passées de 777.012 en 2014 à 460.902 en 2023 ; le taux de natalité a baissé, au cours de ces années, de 18,2 pour mille à 9,9 pour mille. Cette crise démographique est due à un ensemble de facteurs : la baisse du taux de nuptialité, le mariage et les premières naissances à un âge tardif, la baisse des taux de natalité et de fécondité, et le vieillissement de la population qui en résulte. Ces données révèlent un problème politique : « gouverner, c’est peupler ». Cette expression est attribuée à Juan Bautista Alberdi, mais il faisait référence à l’immigration. Si nous voulions continuer à l’accepter et à lui attribuer une certaine valeur, il faudrait la traduire ainsi : « gouverner, c’est faire en sorte que plus de bébés naissent ».
Ce qui n’est pas simple, car le sens de la famille a changé, les fréquentations amoureuses se sont transformées en cohabitation précoce et l’utilisation des méthodes contraceptives s’est généralisée ; l’encyclique Humanae vitae a été complètement oubliée. Face à ce grave panorama, les évêques argentins ne disent pas un mot. Ils semblent vivre, comme d’habitude, dans la stratosphère.
« Plus de bébés ! »
Leur silence est assourdissant. Habitués à leur « extrémisme du centre », ils fuient toute fermeté sur les questions de vie et de famille, qu’ils considèrent comme étant « de droite ». Leur domaine, c’est « le social ». Et voilà où nous en sommes. Même la fermeture des jardins d’enfants, des crèches et des maternités, qui est en train d’exploser devant leurs yeux, ne les fait pas réagir.
Le danger d’un hiver démographique menace de nombreux pays. En Europe, trois foyers sur quatre, selon des données récentes, n’ont pas d’enfants. Il y a quarante ans, saint Jean-Paul II avait dit de manière prophétique que « l’Europe du XXIe siècle sera chrétienne ou ne sera pas ». La vérité, c’est qu’elle ne sera pas ; ou plutôt, elle sera musulmane. Aux Etats-Unis, le taux de fécondité a atteint un niveau historiquement bas. C’est un grand pays, admirable à bien des égards, à commencer par son étendue sur une bande de l’Amérique qui s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Mais aussi parce que le bon grain et l’ivraie y poussent à égalité. La diffusion de la contraception et de l’avortement, qui n’est plus aussi sanglant qu’autrefois, est indéniable.
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Le mandement du Créateur
Il ne faut pas négliger l’aspect religieux de la question. Le mandement du Créateur est exprimé au début du livre de la Genèse : « Dieu créa l’homme à son image, à son image il le créa, homme et femme il les créa. Il les bénit et leur dit : “Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la” » (Gn 1, 27-28).
L’encyclique de Paul VI déjà citée rassemble des arguments de raison naturelle et la doctrine permanente de l’Eglise. La grâce et le péché éclairent ou obscurcissent la conduite des hommes et des femmes.
+ Héctor Aguer
Archevêque émérite de La Plata
Buenos Aires, mercredi 9 juillet 2025
Notre-Dame d’Itatí