L’IA au premier plan de l’enseignement scolaire en Chine

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« La demande de compétences cognitives traditionnelles est en baisse alors que les tâches à forte intensité technologique sont en hausse » : pour Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les écoliers d’aujourd’hui devraient bénéficier d’un enseignement qui intègre l’intelligence artificielle et se voir évalués d’une manière différente de ce fait. La Chine, qui se voudrait leader mondial en la manière, est déjà en train d’appliquer le message – et tout cela laisse perplexe. Si la lecture, l’écriture, l’arithmétique, la grammaire, le raisonnement bien assimilés et formés constituent le substrat de la pensée, on se demande ce qui restera dans un monde où celle-ci sera dès le plus jeune âge externalisée à l’IA. C’est bien un changement anthropologique qui est en cours, piloté et recherché… au nom de quoi ?

La Chine, en tout cas, est fière ce qu’elle fait dans ce domaine. Un long article publié ces jours-ci par China Daily, média sous contrôle du Parti communiste chinois comme tous les médias autorisés dans le pays, annonce que l’IA « change le paysage de l’apprentissage ». Des écoles de tous les niveaux, y compris primaire, y sont présentées comme particulièrement méritantes dans ce domaine, puisqu’elles ont répondu à l’appel du ministère de l’Education de « redoubler d’efforts pour renforcer l’enseignement de l’IA dans les écoles primaires et secondaires » : l’objectif est de voir la technologie « répandue » d’ici à 2030.

 

L’IA encouragée dans l’enseignement scolaire par le Parti communiste chinois

Au programme : l’enseignement « systématique et régulier » de l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas seulement de faciliter l’enseignement lui-même en proposant des activités interactives aux enfants sans intervention humaine, ni même de soulager le travail de correction et de notation et des professeurs, mais bel et bien d’utiliser l’outil afin que chacun en comprenne le fonctionnement et sache y avoir recours.

« Les élèves de cinquième année d’une école primaire du district de Shapingba, dans le sud-ouest de la Chine, à Chongqing, ont conçu leurs propres créations intelligentes, telles que des lampes, des humidificateurs et des ventilateurs intelligents à commande vocale, en faisant appel à des compétences en programmation et à la technologie de la reconnaissance vocale », rapporte, admiratif, China Daily. Parmi d’autres exemples, l’article décrit le cours d’IA de l’école expérimentale de Changchun (province de Jilin) : l’enseignement porte sur la robotique, l’utilisation de drones et l’impression 3D.

Mais l’apprentissage des matières classiques est lui aussi touché par ces orientations « pro-IA ». Dans cette même école, les élèves utilisent fréquemment des applications de traduction de photos ou des stylos dictionnaires vocaux dans leurs cours d’anglais. Autrement dit, ils font faire le travail par l’IA. « Ces outils fournissent des réponses rapides et pratiques. Par exemple, lorsque nous sommes confrontés à des devoirs difficiles, il nous suffit de prendre une photo pour obtenir la réponse instantanément. Si nous avons du mal à trouver des idées pour rédiger un essai, ces outils d’IA peuvent nous aider à générer des idées créatives », affirme Luo Jing, un étudiant de l’école cité par le journaliste.

 

La Chine rêve de traducteurs plus « humanistes » grâce à l’IA

Pour Wang Huashu, professeur à l’Ecole supérieure de traduction et d’interprétation de l’Université des études étrangères de Pékin, l’intérêt de l’IA est de permettre aux enseignants d’améliorer leur enseignement en créant par exemple des scénarios de dialogue réalistes pour une pratique immersive de l’expression orale, mais on aura compris que les logiciels de traduction aux performances inédites annihilent l’analyse et le raisonnement requis pour bien comprendre et traduire un texte en langue étrangère. Wang est persuadé que la Chine sera, grâce à l’IA, capable de « cultiver une nouvelle génération de professionnels des langues étrangères qui sont à la fois techniquement compétents et profondément humanistes ». Voire…

Tout cela suppose l’IA infaillible, et favorise évidemment une soumission sans discussion aux « solutions » proposées par les différents logiciels et algorithmes dont l’usage est notamment promu par les autorités dans l’enseignement supérieur, qui ont estampillé des plateformes d’éducation assistée par l’IA et des grands modèles linguistiques développés en Chine.

Certes, on apprend que Wang Xuenan, directeur adjoint de l’Institut de recherche sur l’éducation numérique de l’Académie nationale chinoise des sciences de l’éducation, a déclaré que l’éducation axée sur l’IA mettait de plus en plus l’accent sur des compétences avancées telles que la pensée critique, la résolution de problèmes et la reconnaissance des informations erronées générées par l’IA. Mais qui peut vraiment y croire ? Quel serait l’intérêt de l’utilisation de l’IA s’il fallait vérifier sans cesse, remettre en cause chacune de ses affirmations ? La paresse naturelle aidant, on peut douter que beaucoup s’y risquent.

 

L’enseignement scolaire en Chine piloté par les IA génératives

DeepSeek fait partie de ces IA génératives présentées comme bénéfiques pour les élèves – il est vrai qu’elles « peuvent rédiger des dissertations et résoudre des problèmes scientifiques, aidant ainsi les étudiants à faire leurs devoirs et à passer leurs examens », assure China Daily, sans émettre la moindre réserve. Il est vrai que le recours à ces IA surveillées par le pouvoir garantit au moins une parfaite conformité à la pensée communiste ; la censure y est manifeste et la moindre question sur Xi Jinping, qu’elle soit bien ou malveillante, s’attire une réponse immédiate : « Parlons d’autre chose. »

L’IA présentée aux écoliers comme source de connaissances inépuisables et outil pour les mettre en œuvre et pour les diffuser favorise bel et bien une forme de « déification » de l’outil, sollicité à la fois pour trouver l’information, présentée de façon personnalisée y compris sous forme de rapports, pour accompagner la créativité (quand elle ne s’y substitue pas), et évaluer les élèves. Elle devient la référence omniprésente et pratiquement indiscutable. Et bouleverse le rapport maître-élève…

Keric Lee, directeur adjoint de l’école primaire S.K.H. Yuen Chen Maun Chen Jubilee à Hong Kong – qui se dit désormais incapable d’évaluer le travail des élèves généré par l’IA (autrement dit, le travail de l’IA) – le résume ainsi : « Les enseignants ne sont plus des transmetteurs de connaissances faisant autorité, mais plutôt des partageurs de connaissances et des guides, qui apprennent et réfléchissent aux côtés de leurs élèves. »

Car tous s’inclinent devant l’IA.

 

Jeanne Smits