Génération décervelée : OCDE : la détérioration de la lecture et de l’écriture coûtera des milliards aux économies développées

OCDE détérioration lecture écriture
 

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les fermetures d’écoles lors des confinements covid, couplées avec la détérioration des compétences de base en lecture et en écriture des jeunes de 15 ans telles qu’on les constate depuis 2018 risquent d’amputer l’économie mondiale de quelque 820 milliards d’euros et de freiner la croissance pendant des décennies en raison de l’impact durable qu’elles ont sur les jeunes.

L’OCDE estime que cette génération de jeunes verra son potentiel de gains affecté à leur sortie de l’école, et que cette situation devrait perdurer pendant le plus gros de leur vie professionnelle. Ses dernières perspectives économiques avertissent qu’elle pourrait avoir un « impact négatif persistant sur le niveau de productivité au cours des 30 à 40 prochaines années » dans les pays développés.

Clare Lombardelli, économiste en chef de l’OCDE, a estimé que la récente baisse des résultats scolaires « réduira la taille des économies avancées du G20 d’au moins 1 point de pourcentage au moment où ces étudiants auront un impact maximal en tant que travailleurs ».

Autrement dit, une génération décervelée, devenue majoritaire, va faire perdre aux pays occidentaux une partie de leur compétitivité et de leur capacité d’enrichissement.

 

La détérioration des compétences de lecture et d’écriture coûtera 820 milliards d’euros, selon l’OCDE

Mme Lombardelli a fait le calcul, rapporté ainsi en substance par le Telegraph de Londres : « La taille totale de l’économie mondiale étant estimée à 105.000 milliards de dollars en 2022 (près de 98.000 milliards d’euros) en termes monétaires par le Fonds monétaire international (FMI), et les économies du G20, y compris la Chine et les Etats-Unis, représentant actuellement 85 % de cette somme, cela laisse penser que plus de 820 milliards d’euros pourraient être effacés de l’économie mondiale à long terme. »

Les effets négatifs pourraient se révéler encore plus importants, selon Clare Lombardelli : « Cette analyse ne tient pas compte de nombreux effets positifs plus larges de l’éducation, tel l’impact positif de l’éducation sur la santé. Elle ne tient pas compte de l’évolution de la technologie qui, nous le savons, rend l’éducation et les compétences encore plus importantes, et donc les effets seront probablement encore plus importants. »

L’OCDE a indiqué il y a quelques mois que les résultats des élèves britanniques aux tests de mathématiques et de sciences post-pandémiques étaient tombés à leur niveau le plus bas depuis le début des relevés en 2006, tandis que la maîtrise de la lecture est tombée à son pire niveau depuis 2009. La récente publication des résultats de la dernière enquête PISA en date avait déjà fait dire à l’organisation économique que ceux-ci étaient « particulièrement préoccupants » pour les perspectives de croissance mondiale. L’OCDE pointait notamment « les fermetures d’écoles pendant la pandémie » comme ayant pu contribuer à la baisse, « en particulier pour les élèves défavorisés qui n’ont pas pu bénéficier pleinement de l’enseignement en ligne ».

 

Les jeunes victimes du mauvais enseignement de la lecture et de l’écriture

La Banque mondiale a déjà fait l’an dernier des mises en gardes semblables, avertissant que les étudiants d’aujourd’hui pourraient perdre jusqu’à 10 % de leurs revenus futurs en raison des chocs éducatifs induits par les confinements. Dans son rapport, elle indiquait même que « le déficit cognitif des enfants en bas âge d’aujourd’hui pourrait se traduire par une baisse de 25 % de leurs revenus à l’âge adulte ».

L’OCDE exhorte donc les pays à investir davantage dans la qualité de l’enseignement et les qualifications des enseignants, car elle a mis en évidence un déclin à plus long terme du niveau d’instruction.

Et passe à côté d’une partie importante du problème. Dans de nombreux pays développés, et de plus en plus dans les autres, les pédagogies globales utilisées depuis des décennies pour les apprentissages fondamentaux – lecture, écriture, arithmétique, mais aussi grammaire, enseignement de l’histoire et bien d’autres disciplines – ont déjà gravement nui aux intelligences des enfants et des jeunes.

La dégringolade récente montre que les effets de cette attaque en règle contre le savoir sont désormais trop importants et trop répandus pour être ignorés, et qu’ils ont été encore aggravés par le traumatisme des confinements covid. Mais il n’y a là, hélas, rien de fondamentalement nouveau.

 

L’appauvrissement de l’Occident annoncé par l’OCDE, élément d’une détérioration tous azimuts

Pour prendre l’exemple français : voilà des années que les professeurs de collège, de lycée et même d’université se plaignent de voir passer dans leurs établissements de nombreux jeunes qui affichent des lacunes spectaculaires en matière de culture générale, mais aussi de lecture, de grammaire, de mathématiques, de compréhension de l’écrit – même parmi ceux qui ont obtenu leur baccalauréat sans difficulté.

La logopédagogue Elisabeth Nuyts, dans son indispensable livre L’école des illusionnistes, a montré les raisons de cette catastrophe : avec sa pédagogie visuelle et globale, l’école est capable de créer l’illusion d’une forme de réussite scolaire, tout en produisant des résultats dramatiques qui privent les élèves de la capacité d’analyser, de raisonner et de mémoriser à long terme. Là est la racine d’une situation qui s’aggrave d’autant que les instituteurs et professeurs en poste aujourd’hui sont souvent passés par les mêmes pédagogies : comment peuvent-ils donner ce qu’ils n’ont pas reçu ?

Que les confinements aient empiré les choses, on veut bien le croire. Mais là où l’OCDE ne dit pas tout, c’est que l’absence d’accès à l’enseignement en ligne n’est pas seul en cause : pour les plus jeunes, les écrans sont un mal en soi pour l’apprentissage en ce qu’ils ont besoin de concret, et non de virtuel, de paroles, et non d’apprentissages silencieux, d’écriture, et non de réactions par clavier interposé.

Par ailleurs, ce type d’enseignement à distance a eu un effet intéressant, que l’OCDE se garde bien de mettre en évidence : des parents ont pu se rendre compte directement de la médiocrité des programmes et des méthodes. Que les enfants reprennent le chemin de l’école ne suffit pas, lorsque celle-ci s’attelle avant tout à les rendre capables de gober le prêt-à-penser.

 

Jeanne Smits