La tendance est en train de s’accentuer aux Etats-Unis. Au pays de l’assurance maladie privée, l’intelligence artificielle a déjà fait son entrée dans le monde de la surveillance des prescriptions avec un rôle bien défini : limiter le nombre de soins accordés aux assurés. La modération des soins par l’IA pourrait s’étendre à l’assurance santé subsidiaire, Medicaid pour les plus pauvres et Medicare pour les jeunes handicapés et les plus de 65 ans. Jusqu’ici moins regardants sur les traitements remboursables, elles sont en train, elles aussi, de mettre en place une surveillance systémique. L’argument mis en avant est celui de la bonne gestion des fonds et de la nécessité d’éviter des dépenses injustifiées. Mais ce qu’on peut prévoir, c’est la gestion de la santé des hommes au moyen de robots qui décideront de l’acceptabilité ou non d’un traitement au nom de critères inflexibles. Là aussi, c’est le Meilleur des mondes qui se profile, car le système doit s’accompagner d’une récompense au profit de la société d’intelligence artificielle pour toute prescription refusée.
Comme l’assurance privée, l’assurance publique mettrait en place un système d’accords préalables, en confiant également ceux-ci à des modèles d’IA.
Le système annoncé par les Centers for Medicare and Medicaid Services annonce des milliards de dollars d’économie au cours des six années à venir, pendant le déploiement expérimental et limité du dispositif. Une part de ces économies irait donc dans les poches des fabricants des modèles d’IA utilisés.
L’IA prescrit ou non selon des algorithmes taillés pour le refus
Il est clair que le système fait du refus de soins la réponse par défaut du fait de cette logique de récompense – une association de défense des bénéficiaires de l’assurance maladie publique a ainsi déclaré que les IA vont agir comme des « chasseurs de primes », au détriment de la santé de tous.
Le programme expérimental sera déployé dans six Etats : le New Jersey, l’Ohio, l’Oklahoma, le Texas, l’Arizona et Washington. L’évaluation préalable des demandes de soins par l’intelligence artificielle sera elle-même circonscrite à des procédures médicales jugées propices au gaspillage et apportant peu de bénéfices, telle la prescription d’injections de stéroïdes pour combattre la douleur ou les programmes de réadaptation.
La mise en place du programme d’évaluation s’accompagne aussi de garde-fous. Ceux qui le mettent en place assurent que les décisions définitives de refus seraient de la responsabilité d’un intervenant humain et non d’une machine. On annonce également que les refus injustifiés pourront donner lieu à des pénalités. Enfin, le programme pilote n’interviendra pas dans les décisions de médecine d’urgence ou à l’hôpital et aura pour objectif de surveiller les traitements particulièrement onéreux ou potentiellement nocifs.
Le fonctionnement de ce type d’algorithme d’IA est déjà connu dans la mesure où des sociétés d’assurance privées y ont déjà recours. Ainsi l’assureur Cigna fait-il intervenir l’intelligence artificielle pour évaluer et rejeter automatiquement des demandes de prise en charge de traitements. Ces refus sont par la suite approuvés par des médecins humains qui, à aucun moment, ne voient le dossier médical du patient concerné. L’assureur United HealthCare est pour sa part, accusé d’utiliser un algorithme connu sous le nom de « nh predict » pour refuser les demandes, malgré son taux d’erreur de plus de 90 %.
Un modérateur de soins qui ne sait rien des malades
S’il est vrai que les exemples ne manquent pas de traitements onéreux prescrits de manière abusive, le problème est évidemment que les systèmes d’IA, qui s’appuient sur des données statistiques, ne peuvent pas tenir compte des besoins et de la réalité des patients individuels. Ainsi, une personne souffrant du dos serait selon les critères automatiquement retenus par l’IA orientée vers une physiothérapie obligatoire avant de pouvoir bénéficier d’une opération, alors même que celle-ci serait nécessaire et urgente.
Sans doute, peut-on prévoir que les algorithmes seront améliorés, mais cela ne prémunit pas contre l’appât du gain des assureurs, défaut assurément trop humain. Dans un monde qui justifie l’euthanasie et qui chuchote que celle-ci est capable d’engendrer des économies pour les systèmes de soins, confier de plus en plus la décision de prescrire à l’IA est une recette pour faire exploser la culture de mort.
L’avenir qui se dessine est clairement celui d’une mécanisation de la médecine et, à terme, d’une élimination des soignants humains – reste à savoir si cela ira vite, ou très vite. Ce qui semblait encore lointain il y a une dizaine d’années est aujourd’hui à nos portes.