Génération décervelée : L’importance de l’apprentissage de l’écriture cursive

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Dans bien des pays – comme les Pays-Bas, le Canada – l’apprentissage de l’écriture cursive ne se fait plus, les petits écoliers sont formés à la « production » de lettres capitales et minuscules d’imprimerie, séparées par des espaces, au tracé laborieux. La France conserve la tradition de l’enseignement de l’écriture ligaturée, et si l’on constate une dégradation esthétique dans les cahiers de nos chères têtes blondes – nous verrons pourquoi plus loin – du moins le principe est-il maintenu. Car même si les jolis pleins et les déliés ont disparu des écoles élémentaires avec la fin de la plume Sergent Major, et si certaines maîtresses de CP sont plus exigeantes que d’autres, les ronds et les boucles ont encore leur place dès le début des leçons d’écriture. L’importance de l’apprentissage de l’écriture cursive est plus grande qu’on ne l’imaginerait au premier abord, et les Etats-Unis, qui l’avaient largement abandonnée dans les écoles primaires, sont en train de le remettre en place.

C’est ce qu’annonce un récent article du Wall Street Journal : « La moitié environ des Etats disposent désormais d’une loi ou d’une norme d’Etat exigeant l’enseignement de la cursive, la plupart des textes en ce sens ayant été adoptés au cours de ces dernières années. »

 

Des lois imposent l’apprentissage de l’écriture cursive aux Etats-Unis

L’écriture cursive, avec ses ronds ventrus et ses lignes douces et (si possible) élégantes, coule plus naturellement du stylo que la lettre du style « bloc d’imprimerie ». Aux Etats-Unis, on attendait traditionnellement l’équivalent du CE1 ou CE2 pour l’enseigner, arguant du manque de motricité fine des enfants auxquels on faisait d’abord produire les lettres raides et droites calquées sur l’imprimé. Il n’en allait pas ainsi en France où les exercices de motricité fine étaient nombreux au jardin d’enfants et où l’apprentissage de l’écriture se fait toujours généralement sous forme de lettres cursives qu’on apprend tôt à attacher entre elles.

Evidemment, apprendre ce style d’écriture demande attention, concentration et répétition : les lignes de lettres identiques répétées dans le cahier Seyès (autre particularité française : ses lignes préimprimées étant calculées pour faciliter une écriture nette et régulière) symbolisent les premiers apprentissages scolaires.

Le procédé manque de créativité et d’originalité, il faut bien le reconnaître, et les éducateurs « modernes » formatés par John Dewey et sa pédagogie « démocratique » l’ont rejeté pour cette raison, assure Edwin Benson dans un article sur la nécessité d’apprendre l’écriture cursive. Avec son côté mécanique, son acquisition « par cœur », celle-ci était considérée comme contraire à la spontanéité, et de nombreux instituteurs américains ont fini par l’abandonner. Pourtant les études abondent, comme celle-ci.

 

L’écriture cursive remplacée par les lettres d’imprimerie

Elle a été remplacée dans un premier temps par les lettres d’imprimerie, plus simples et rapides à maîtriser. Puis est arrivé l’ordinateur, et la catastrophe des écrans en classe… accompagnés de leurs claviers. Et l’écriture elle-même tend à être considérée comme superflue, replacée par des gestes bien différents où les doigts courent sur les touches, sans intégrer la forme et le son de chaque lettre ni prendre conscience, par la répétition, des petites différences qui rendent chacune d’entre elles unique, sous leur forme minuscule ou majuscule. Dans toutes les classes modernes du monde, « connectées » et focalisées sur des écrans qui communiquent entre eux, l’écriture devient peu à peu obsolète, tandis que la pensée s’appauvrit encore davantage avec les QCM quand l’examen ou le test ne consiste plus qu’à cocher les bonnes réponses.

Ah oui, la pensée ! Comment ne pas comprendre qu’une écriture fluide plutôt que heurtée, dont les automatismes acquis permettent de « l’oublier » en quelque sorte pendant qu’on couche ses idées, ou ses chiffes, ou ses notes sur le papier, favorise le travail de l’esprit ?

Le retour à des pratiques plus traditionnelles aux USA s’inscrit dans cette logique. Le fiasco des fermetures de classe et de l’enseignement à distance pendant les confinements de la crise du covid ont convaincu de nombreux parents, et même des enseignants, que l’instruction par ordinateur interposé ne fonctionne pas.

 

Un rapport sur l’importance de l’écriture cursive

Edwin Benson souligne : « Au cœur de l’expérience Covid, une organisation peu connue, l’American Handwriting Analysis Foundation, a publié un livre blanc intitulé Why Handwriting Remains Essential in 2021 and the Future (« Pourquoi l’écriture manuscrite est toujours essentielle en 2021 et le restera à l’avenir »). Ce document mérite d’être examiné de près, car il expose les nombreuses raisons pour lesquelles l’enseignement de l’écriture manuscrite est important, et le restera. »

L’auteur donne un résumé du rapport, qui vaut pour toutes les écritures cursives :

 

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« La première série de raisons établit un lien entre l’écriture manuscrite et d’autres objectifs scolaires. Par exemple, “la recherche montre que ceux qui prennent des notes à la main sont plus performants que ceux qui les tapent sur un ordinateur portable ou un iPad d’Apple ou les enregistrent sur un smartphone”. Former des lettres sur du papier engage l’esprit bien davantage que de les taper sur un appareil, et facilite ainsi le processus d’apprentissage.

« Ce constat est particulièrement sensible chez les jeunes enfants. Un rapport publié en 2019 par la George Lucas Educational Foundation affirme qu’il existe “un lien étroit entre la main et les circuits naturels du cerveau : lorsque les élèves apprennent à mieux écrire les caractéristiques essentielles des lettres, ils apprennent également à les reconnaître avec plus de fluidité”.

« Les avantages du stylo par rapport au clavier se retrouvent au lycée et à l’université. Un avantage facilement compréhensible tient au fait qu’un cahier vierge présente beaucoup moins de distractions qu’un ordinateur. Par conséquent, l’esprit reste plus concentré sur la matière à étudier. La tentation d’ouvrir secrètement une autre “fenêtre” pour surfer sur Internet ou envoyer des SMS à ses amis est bien moindre.

« Paradoxalement, ceux qui maîtrisent l’écriture cursive sont aussi les mieux armés pour utiliser les appareils électroniques. Dans un article paru en 2014 dans le Early Childhood Education Journal, les chercheuses Nancy C. Stevenson et Carol Just de l’université Thomas Jefferson ont établi que “les étapes de l’apprentissage moteur de l’écriture manuscrite et du clavier sont similaires, mais se produisent à des moments différents”.

« Les recherches de Stevenson et Just indiquent que l’apprentissage de l’écriture commence à l’âge de cinq ans et se poursuit jusque au-delà de sept ans. En revanche, c’est entre dix et douze ans que l’on apprend le mieux à taper sur un clavier. Les élèves qui ont acquis les compétences et la mémoire musculaire nécessaires pour produire une écriture lisible sont mieux armés pour apprendre à utiliser efficacement les claviers. Ces compétences les aideront tout au long de leur parcours scolaire et professionnel.

« Il existe un autre avantage pour les étudiants, plus difficile à quantifier, mais néanmoins essentiel. En plus d’être un moyen de communication efficace, l’écriture cursive est aussi une forme d’art. En s’exerçant à tracer les lettres et en affinant la motricité fine mentionnée plus haut, les jeunes enfants acquièrent un sentiment de réussite. Ils n’ont pas besoin d’attendre que l’enseignant leur dise qu’ils progressent ; ils en ont la preuve sous les yeux. Ils peuvent voir l’amélioration. Ils peuvent sentir la flexibilité accrue de leurs bras et de leurs mains à mesure qu’ils développent les muscles qui contrôlent leurs stylos. Très vite, ils peuvent ajouter leur propre touche artistique à leur écriture. Ils participent à la création de la beauté. »

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Hélas, comme le constate Edwin Benson, de nombreux instituteurs et professeurs aux Etats-Unis n’ont jamais appris eux-mêmes à écrire en cursive, sans compter qu’il en est parmi eux qui trimballent encore les préjugés de l’époque Dewey à l’égard de ce bel apprentissage. Il ne suffira pas de lois et de normes pour mettre en œuvre ce « retour en arrière » qui n’en est pas un.

Mais encore faut-il que cela soit bien fait. En France, la comparaison entre les cahiers d’antan et ceux des CP (voire des classes de 6e et mieux) montre que bien souvent la qualité de l’écriture cursive s’est fortement détériorée. La tenue du stylo n’est souvent pas apprise (combien de jeunes adultes aujourd’hui peinent à écrire parce qu’ils adoptent les poses les plus improbables et maladroites) : c’est la première étape qui mène vers le déplaisir de l’écriture et le manque d’harmonie de l’écrit.

 

L’importance du bon apprentissage de l’écriture cursive

A cela s’ajoute la pratique d’« écrire » dès la moyenne maternelle en recopiant des mots entiers, comme si c’étaient des dessins, sur des pages blanches sans lignes pour guider l’écriture et sans analyser la forme de de chaque lettre.

Pour que l’apprentissage soit réellement efficace, comme l’ont montré bien des pédagogues en guerre avec le pédagogisme contemporain, il importe d’apprendre simultanément la lecture et l’écriture, en allant du plus simple au plus compliqué, de la lettre à la syllabe, puis au mot.

Plus important encore, il faut intégrer le verbe dans le processus : parler pour intégrer et retenir, comme le montre Elisabeth Nuyts. Cette logopédagogue spécialiste des apprentissages et de la prise en charge de la dyslexie a constaté que les méthodes aujourd’hui utilisée sont visuelles, silencieuses et globales, se passant de l’analyse et de la progressivité, éliminant la parole, indispensable pourtant pour la mémorisation à long terme comme elle a pu le noter chez ses élèves, même si dans un premier temps les élèves visuels sont favorisés. Pour les élèves dont le mode d’accès à l’apprentissage est auditif, les pédagogies modernes sont carrément catastrophiques, puisqu’ils ne voient pas ce qu’ils ne nomment pas.

C’est pourquoi Elisabeth Nuyts recommande d’apprendre à écrire en apprenant d’abord – en coordonnant le geste à la parole et en nomment chaque détail du mouvement – les éléments qui composent les lettres, puis les lettres elles-mêmes, en les nommant systématiquement, puis en se parlant en écrivant, en disant le mot au moment où on l’écrit. L’amélioration de l’écriture peut être spectaculaire en adoptant cette méthode… Et elle a aussi tout son intérêt lors de l’utilisation du clavier d’ordinateur, bien plus précise quand on nomme les mots qu’on tape – je parle d’expérience !

 

Jeanne Smits