Climatosceptique connu et grand défenseur des droits individuels, Christopher Booker vient de publier dans le Telegraph de Londres une charge contre la campagne en faveur du Brexit. Non pas qu’il y soit hostile : c’est plutôt l’impréparation et le manque de réalisme des hommes politiques qui l’ont soutenue qui provoquent cette analyse sévère. La tribune s’ouvre sur deux photos publiées en une par la revue à scandales Private Eye montrant un bus de campagne qui affiche la promesse d’une « reprise de contrôle » : « Nous envoyons chaque jour 50 millions de livres à l’UE ; finançons plutôt notre NHS. »
La photo suivante montre un bus similaire abandonné en plein champ, démantelé, sans roues, rempli de vieux cartons, toutes inscriptions effacées. Tout un symbole.
Ce Brexit dont personne n’a voulu évaluer la complexité
Promesse impossible. 350 millions de livres par semaine pour les services de santé exsangues (et socialistes) du Royaume-Uni ? Pour Christopher Booker, cela ne vaut même pas la peine d’y rêver. « Nos progrès en direction de la mise en œuvre de l’article 50 sont de plus en plus désordonnés. Le vrai problème, et c’est le même depuis le début, c’est que si peu de gens comprennent vraiment l’incroyable complexité de ce que signifierait un Brexit correctement négocié. Aucun des camps de la campagne du référendum n’y était préparé de près ou de loin : les « Resteurs » parce qu’ils faisaient confiance à leur absurde campagne d’intimidation pour assurer que le problème ne se poserait jamais, les « Quitteurs » en refusant délibérément de travailler sur un plan pratique de sortie, pensant qu’ils pourraient improviser à partir de petits slogans imaginaires comme celui qui s’étalait sur les flancs de ce stupide bus. »
Cinq mois plus tard, souligne Booker, on se rend compte que les choses sont bien plus compliquées que personne n’a jamais voulu le comprendre, tandis que Theresa May ne lâche rien de ses intentions, sinon sa volonté de continuer de commercer au sein du marché unique sans vraiment savoir comment combiner cela avec sa volonté de « contrôler l’immigration ». Elle a averti la semaine qu’elle ne voulait pas d’une « solution toute prête ».
Christopher Booker analyse l’impréparation des partisans du Brexit
Selon Booker, la seule manière d’atteindre son premier objectif est de rester dans l’espace économique européen qui compte les 28 membres de l’UE plus trois autres, parties à l’accord européen de libre échange. « Cela nous permettrait aussi, en dehors de l’UE, d’échapper aux trois quarts de ses 20.000 lois qui couvrent d’autres domaines que celui du commerce. Cela nous permettrait même, conformément aux clauses de sauvegarde de l’EEE, de disposer d’un contrôle limité sur l’immigration interne de l’UE », souligne-t-il. Solution toute prête s’il en est…
Mais pour Booker, vu le peu de temps dont dispose le Royaume-Uni pour négocier sa sortie, c’est à peu près la seule solution pour qu’il parvienne à se désengager des 35 domaines politiques couverts par le traité d’accession à l’Union européenne, à « détricoter » un par un dans le traité de sécession qu’il faudra signer en bout de parcours.
« Seuls six de ces 35 domaines concernent le commerce. Mais nos pourparlers vont devoir résoudre la question des 29 restants, comme ce qu’il va falloir faire au sujet de notre implication dans les politiques communes de l’UE en matière d’affaires étrangères et de défense, les politiques domestiques et de justice, les relations avec 27 agences différentes de l’UE, et bien d’autres encore – y compris (le ciel nous vienne en aide), la question incroyablement difficiles de savoir comment nous allons nous extirper les politiques agricoles et de pêche communes », affirme-t-il.
Le Royaume-Uni saura-t-il rendre possible le nécessaire Brexit ?
Peu évoquées dans le cadre du débat public, ces questions aident à comprendre pourquoi certains estiment qu’il faudra au Royaume-Uni engager quelque 30.000 fonctionnaires supplémentaires pour ne serait-ce que tenter de régler ces problèmes, y compris par rapport aux « engagements toujours en vigueur à l’égard de l’Union européenne qui, pour la décennie à venir, pourrait représenter la somme colossale de 60 milliards de livres ».
On pourrait répondre que la sortie de l’UE est une affaire simple et relevant de la seule volonté politique des dirigeants du Royaume-Uni. Une sortie « hostile », peut-être. Comme un pays libéré d’un occupant qui aurait tout pris en main – et c’est un peu cela, même si le Royaume-Uni s’est tenu à l’écart de nombre de dispositifs communs – il s’agirait de reconstruire depuis zéro les infrastructures de la souveraineté. Mais l’UE est là, avec ses exigences et la force de ses traités en vigueur, bien décidée à récupérer de l’argent et à garder du pouvoir. Il s’agit d’en prendre l’exacte mesure.
Anne Dolhein