Au nom de la décolonisation, la Chine monte l’Inde contre l’Occident

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Le nouveau Parlement indien à New Delhi


La guerre en Ukraine n’en finit pas d’avoir des conséquences fâcheuses pour l’Occident. Outre le développement des BRICS, le rapprochement du Brésil avec la Russie, celui de celle-ci avec l’islam, voici la réconciliation entre l’Inde et la Chine, dont la concurrence inamicale assurait un certain équilibre en Asie. Cette réconciliation se fait sur un thème cher aux tiers-mondistes et aux marxistes de toujours, la décolonisation, qui réunit le « nationaliste » Modi et le communiste Xi. On se croirait revenu soixante ans en arrière, mais cela débouche sur une stratégie bien actuelle : combattre l’Occident pour rééquilibrer la révolution mondialiste au profit de l’Inde et de la Chine, dans un cadre « multipolaire ». C’est ce qu’explique le Global Times, qui résume les vues de Pékin.

 

Décolonisation architecturale

Le Premier ministre Narendra Modi vient d’inaugurer, dimanche, le nouveau Parlement indien à New Delhi. Avec une certaine emphase : ce « n’est pas seulement un bâtiment, mais le lever de soleil d’une Inde vraiment indépendante ». L’ancien, qui va être transformé en musée, datait de l’ère anglaise, et Modi a entrepris de délivrer l’Inde de toute trace de son passé colonial, dans les bâtiments où siège le pouvoir national. Représentatif de cette décolonisation architecturale, le nouveau Parlement est orné de paons, de lotus et de banyans, images traditionnelles de l’Inde. Croire que cela relève de l’esthétisme ou du folklore serait une erreur, comme témoigne l’intérêt que porte à la chose, dans un éditorial non signé, qui engage donc la direction, le Global Times, organe officiel du Parti communiste chinois.

 

L’empathie de la Chine pour l’Inde

« La Chine a clairement de l’empathie pour le désir de l’Inde de magnifier sa dignité nationale et de rechercher un statut plus indépendant » écrit le Global Times, après avoir énuméré quelques exemples de ce désir de décolonisation croissant : bâtiments « iconiques » rebaptisés et réaménagés, pratiques budgétaires liées à l’histoire coloniales changées, décrue de l’anglais dans les textes officiels et crue de l’hindi, etc. Il a fallu attendre la mort d’Elisabeth II pour que le nom du Rajpath, le boulevard menant à la Porte de l’Inde, à New Delhi, qui rappelait l’époque britannique, soit changé en Kartavyapath. Le Global Times admire ce lent et « colossal » travail de décolonisation.

 

La Chine appelle à une Révolution culturelle contre l’Occident

Mais le plus ardu reste à faire : « ôter ce qui subsiste de colonialisme de la culture et du cœur du peuple, ce qui est sans aucun doute plus difficile que changer le nom et ôter des étiquettes ». Le Global Times se demande jusqu’à quel point cette décolonisation-là peut-être menée à bien. Et d’ajouter : « Nous souhaitons que l’Inde atteigne son objectif au moindre coût possible. » Là, on dresse l’oreille, en se souvenant que le Parti communiste chinois, en d’autres temps et d’autres circonstances certes, a lancé pour atteindre un but semblable la Révolution culturelle qui a fait dans les années 1960 des millions de morts, ruiné la Chine, et imposé un régime d’oppression sans précédent.

 

La décolonisation, modèle d’une géopolitique contre l’Occident

D’autant que la suite trouve une application géopolitique immédiate – et fort inquiétante. « En outre, nous serions heureux de rappeler amicalement à l’Inde de rester vigilant aux manipulations géopolitiques de l’Occident, qui porte de nouvelles formes de néo-colonialisme au moment où l’on éradique les reliquats du colonialisme. » L’éditorial rappelle à cet égard la guerre entre l’Inde et la Chine (qu’il nomme élégamment « question des frontières »), dans laquelle l’Occident se dit « avec l’Inde », n’hésitant pas à la « flatter » dans le dessein d’élever une « barrière entre la Chine et l’Inde ». Pour le Global Times, c’est un « piège », et si l’Inde veut parfaire sa décolonisation pour devenir « un pays puissant et indépendant », il lui faut gagner en « clarté stratégique » et se dégager d’un Occident qui manie la carotte et le bâton. C’est pour le PC chinois le seul choix politique logique, conforme à la philosophie d’un pays civilisé.

 

L’Inde et la Chine pour une humanité multipolaire

« Comme la Chine, l’Inde est un pays avec une civilisation différente de l’occidentale. (…) La Chine entend promouvoir la construction d’une communauté pour un avenir partagé par toute l’humanité, et l’Inde elle aussi promeut “Une terre, une famille”. Nous avons en commun une façon de voir les questions continentales et internationales selon la sagesse orientale, et il est à espérer que nous ne nous laisserons pas rembarquer sur la vieille impasse occidentale des jeux à somme nulle. L’Asie et le monde sont assez grands pour organiser la croissance simultanée de l’Inde et de la Chine. Le vœu de la Chine pour le développement de l’Inde est sincère. » Le Global Times demande à l’Inde la « clarté » dans sa politique vis à vis de l’Occident et la « confiance » dans ses relations avec la Chine. Les deux seront le signe d’une vraie décolonisation et permettront de « promouvoir la multiparité et la démocratisation des relations internationales ». Voilà un vocabulaire qui dit bien ce qu’il veut dire : il ne s’agit nullement de s’opposer à la révolution mondialiste mais de la rééquilibrer au profit des pays émergents d’Asie, contre l’Occident.

 

Pauline Mille