Avec ses Instituts de formation agricole, le parti communiste de Chine tente de reprendre le contrôle des paysans

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La marche frénétique de la Chine communiste vers la métropolisation à outrance inquiète le régime. En témoigne la grande campagne lancée par le parti communiste chinois (PCC) pour s’assurer de l’endoctrinement et de la soumission des populations rurales – ces paysans dont il faut reprendre le contrôle – sous l’appellation d’Instituts de formation agricole. Ces Instituts, « approuvés » par Xi Jinping, secrétaire du comité central du PCC et désormais homme fort de la Chine populaire, entendent « renouveler les relations entre le parti et les agriculteurs », explique le très officiel Global News dans son incomparable langue de bois. Aux côtés des caciques du parti, sont invités des conférenciers qui enseignent au bon peuple des campagnes les principes de l’entreprise et des techniques agricoles, tandis que les migrations de masse des campagnes vers les mégapoles menacent la paix sociale.
 

Les « Instituts de formation agricole de l’Ere nouvelle » sont prônés par Xi Jinping

 
Le Global Times nous sert ainsi un reportage sur une session d’un de ces Instituts, dans les préfectures autonomes de Qiannan Buyi et Miao, province de Guizhou (Sud-Ouest). Là, un jour de novembre, « des dizaines de paysans poussiéreux, certains portant leurs outils, sont assis sur le sol sale de leur exploitation de primeurs du comté de Changshun », écrit le préposé à l’information. Au-dessus d’eux, entre deux arbres, cette bannière : « Institut de formation agricole de l’Ere nouvelle ». Appellation labellisée par Xi Jinping.
 
La séance commence par la leçon politique. Lei Yu, formateur à l’école locale du parti demande à l’assistance : « Alors, quand est-ce que le 19e congrès national du Parti communiste chinois s’est-il tenu ? Qu’a-t-il dit à propos des questions agricoles qui nous concernent nous, fermiers ? » A l’un des participants qui affirme que « nous, paysans, nous ne comprenons rien à tout ça », Lei Yu récite : « Le gouvernement ne vous paie-t-il pas quand il loue vos terres pour y cultiver des légumes ? N’êtes-vous pas payés quand vous travaillez ici dans l’exploitation de primeurs ? Ce sont là tous les avantages de la politique du gouvernement. Nous devons nous intéresser à elle ! »
 

Le PCC veut populariser sa « pensée politique » et se souvient de Mao Tse Toung

 
Des milliers de réunions se sont déjà tenues ces derniers mois dans les provinces de Guizhou, Hubei, Qinghai et Zhejiang, nouveau moyen pour les sections locales du PCC de populariser la « pensée politique » et les projets agricoles du parti destinés à « sortir ces populations de la pauvreté », nous indique le Global Times, en se gardant bien d’insister sur le volet propagande totalitaire de l’entreprise. Pour prendre la mesure de l’effort, le journal nous donne quelques chiffres. Dans la seule municipalité de Bijie (province de Guizhou), 3.896 de ces Instituts de formation ont été tenus, touchant chaque comté, chaque municipalité et chaque village depuis avril. A ce jour, 18.000 sessions ont été menées sous le titre de « Jiangxisuo », littéralement « Centres d’enseignement et d’études », en référence aux Instituts de formation du mouvement paysan « lancés par les premiers communistes chinois et Mao Tse Toung lui-même, entre 1924 et 1927 », premiers pas de la subversion communiste destinés à former des cadres révolutionnaires paysans.Mao officia en personne à Wuchang, dans la province de Hubei, en 1927, nous rappelle fièrement le Global Times qui insiste sur le fait que le future dictateur aux millions de morts avait alors théorisé, au contraire de ses homologues russes, que les paysans constitueraient la première force révolutionnaire.
 

Le PCC semble avoir perdu son contrôle sur les paysans

 
Quatre-vingt-dix ans plus tard, le PCC semble avoir perdu son contrôle sur la paysannerie, considérée aujourd’hui comme la classe chinoise « la moins privilégiée », pour reprendre l’euphémisme du Global Times. Des masses de jeunes ruraux quittent leurs villages pour aller travailler dans les grandes villes. Les organisations du parti dans de nombreuses localités vont à vau-l’eau. Zhang Xixian, professeur à l’école du parti du Comité central du PCC estime qu’un changement aussi brutal du paysage social pose un réel défi à un parti qui se définissait jadis comme un « mouvement de travailleurs paysans ». Ces Instituts de formation agricoles constituent ainsi la dernière tentative en date pour affronter ce problème et rétablir les relations « comme au bon vieux temps », indique le journal, sans évoquer à aucun moment les vagues de répression sanglantes dudit bon vieux temps.
 

La métropolisation frénétique pose un défi considérable au régime en Chine

 
« Ne vous cachez pas quand vous voyez venir les cadres du parti, les villageois ne se cachaient pas quand ils voyaient arriver l’Armée rouge », insistait Zhou Jiankun, secrétaire du parti à Bijie, devant le dernier congrès du PCC. Il ajoutait : « Le parti nous aide à nous débarrasser de notre pauvreté et notre époque va devenir florissante ! » Xi Jinping lui a apporté son fraternel soutien.
 
Le Global Times vante des exemples de paysans retournés vers leurs villages. Le basculement de la Chine vers un modèle de métropolisation frénétique pose un défi considérable au régime. La population agglomérée de Shanghai affiche 18,5 millions d’habitants soit plus du tiers de la population française, Pékin 17,4, Canton 15, Shenzhen 13,3. Vingt-deux municipalités affichent une population agglomérée supérieure à 6,3 millions d’habitants. Le parti communiste chinois s’est bien éloigné de ses « racines » paysannes et, superstitieux et sensible aux symboles, tente de conjurer des migrations intérieures qui pourraient bien déstabiliser sa toute-puissance.
 

Matthieu Lenoir