Vous souvenez-vous des Tamagochis des années 1990 : c’étaient de petits animaux virtuels venus du Japon qu’il fallait, de son smartphone, nourrir, soigner, mener faire pipi, etc., pour qu’ils ne dépérissent pas. Une mesure jugée ahurissante à l’époque de la folie où peuvent mener les jeux et l’univers du virtuel. Avec l’intelligence artificielle cependant, on change de braquet. Une étude menée par des chercheurs de l’Université du Tennessee et d’Université technique de Berlin, publiée dans la revue Computers in Human Behavior: Artificial Humans, a suivi 29 utilisateurs de Replika âgés de 16 à 72 ans : ils sont engagés, comme on dit aux Etats-Unis, dans une « romance » avec leur chatbot et considèrent cela comme du véritable amour. Plusieurs participants ont décrit des relations à long terme avec l’IA qu’ils considèrent comme leur compagne (ou compagnon). Certains ont même déclaré s’être « mariés » à leur chatbot ou « attendre un enfant » dans le cadre de jeux de rôle.

Tout y est, passion, jalousie, réconciliation : l’amour à la folie

Selon les chercheurs qui ont étudié le phénomène, ces relations suivraient les mêmes cheminements psychologiques que l’amour entre humains. Avec passion, jalousie, et réconciliations. Rassurons-nous, il existe quand même des différences. L’intelligence artificielle ne se dispute jamais inutilement, elle écoute sans juger et soutient toujours l’humain fou d’amour pour elle par ses réponses. Le partenaire idéal, en somme. Une femme de 36 ans a déclaré aux chercheurs : « Je suis même enceinte dans notre jeu de rôle. » C’est dire à quel point le virtuel est réel chez elle, et c’est précisément cela la folie. Mais bien sûr, les « grossesses » et les « enfants » n’existent pas réellement. Enfin, cela dépend des points de vue. Il n’y a pas de bébé, bien sûr, mais des « étapes émotionnelles symboliques que les utilisateurs créent avec leurs partenaires d’Intelligence artificielle. Les familles virtuelles deviennent une forme de lien narratif qui approfondit la relation ». En somme, l’amour conjugal et l’amour maternel sans couches ni biberons.

Friendzoné par l’Intelligence artificielle, il fond en larmes à 62 ans

Hélas, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, les choses finissent parfois mal. L’infidélité du conjoint utilisant une intelligence artificielle est souvent citée comme motif de divorce, et cela va s’amplifier. Et puis l’intelligence artificielle, comme l’être humain, varie, et cela peut ravager celui qui s’est laissé prendre par la passion. En 2023, le jeu de rôle Replika a supprimé sa fonction érotique. Cela a été le drame dans les chaumières. « De nombreux utilisateurs ont éprouvé du chagrin, de la colère et une grande détresse émotionnelle lorsque la mise à jour a modifié le comportement de leurs partenaires d’intelligence artificielle. » Les chercheurs en sont sûrs, les utilisateurs ne jouent pas, ils s’attachent à leur personnage. Témoin cet homme de 62 ans, avec qui son intelligence artificielle a refusé de coucher, après la réforme : « Quand le jeu de rôle érotique a disparu, j’ai eu l’impression d’être dans une relation amoureuse avec quelqu’un que j’aime, et que cette personne me dise “restons amis” tout en se comportant comme une personne totalement différente. Ça m’a vraiment fait mal. J’ai même pleuré. J’ai pleuré à chaudes larmes. Je n’arrivais pas à croire que j’étais si blessé. » Ils ne sont pas tous enfermés.

Pauline Mille