Utiliser l’intelligence artificielle pour « parler » avec les morts : la nouvelle nécromancie derrière « Life forever »

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« Chatter » avec un proche disparu, c’est désormais très à la mode des applications qui permettent de créer des conversations aussi artificielles que l’intelligence artificielle qui les génère, et qui ont un grand succès aux Etats-Unis depuis six ans. Mais un nouveau pas a été franchi avec l’ajout du son et de la vidéo qui permet d’interagir visuellement avec le cher défunt. Jadis on cherchait à entrer en contact avec les morts par divers moyens de divination et de spiritisme ; aujourd’hui leurs « réponses » sont créées de toutes pièces par des logiciels, jusqu’à promettre « Life forever », « la vie pour toujours » ou plus précisément, une fausse « vie éternelle » par le truchement d’un avatar. Quand on sait le danger pour l’âme qu’il y a à rechercher ce type de contacts avec l’au-delà, tant ceux-ci sont des portes ouvertes à l’action démoniaque, on ne peut que s’interroger devant ce qui risque de se transformer en nouvelle nécromancie.

France-Info présentait ce lundi matin un reportage sur une société sud-coréenne, Deepbrain, qui a développé un tel dispositif, « re;memory ». Elle se fait fort de créer un « être humain virtuel » à partir de sept heures d’entretiens, d’éléments biographiques, d’écrits, de sms, de films et d’images des êtres chers qui permettent de restituer leur aspect et leur voix.

Les clients peuvent ensuite se rendre dans un local où, confortablement installés devant un grand écran, ils vont pouvoir « échanger » avec leur proche : « Avec Re;memory, vous serez enfin réunis », annonce le site ; « Nous sommes là pour vous aider à honorer vos êtres chers même après leur disparition. »

 

L’intelligence artificielle fait faussement « revivre » les morts

France-Info raconte : « Dans la vidéo de présentation, on aperçoit M. Lee, décédé depuis plusieurs mois, sur un grand écran. Son épouse et sa fille parlent avec lui, ou plutôt avec une intelligence artificielle très performante capable de reproduire les visages, les voix et les expressions faciales des personnes disparues. » Et prévient : « Certaines sociétés veulent aller encore plus loin que la vidéo, avec de la 3-D et le toucher. La société américaine Somnium Space proposera d’ici la fin de l’année de créer notre avatar dans un monde numérique grâce au mode “life forever” (la vie pour toujours). »

Au-delà de l’exploitation marchande de la peine de ceux qui restent, les promesses de ces vendeurs de fausses retrouvailles posent des problèmes éthiques, que France-Info détaille : l’interférence avec le processus naturel de deuils avec des pathologies à prévoir, la création de personnages virtuels qu’on pourra faire « agir » et « vieillir » dans un monde parallèle et surtout, irréel. Mais la chaîne d’infos continues cite également Martin Julier Costes, chercheur en sociologie et en anthropologie du deuil et de la mort : « Je considère que l’on n’a pas assez de recul pour dire si ces technologies sont néfastes ou particulièrement positives. C’est probablement l’un et l’autre. »

 

La nécromancie des temps modernes, aussi dangereuse que l’ancienne

Mais si le développeur de Deepbrain, Joseph Murphy, se veut lui aussi rassurant en expliquant qu’il s’agit d’un « secteur de niche », et que France-Info souligne que Microsoft a déposé un brevet pour mettre au point cette technologie depuis trois ans sans rien en faire, il faut souligner que l’espoir de retrouver d’une façon ou d’une autre un être aimé peut constituer une violente tentation, et y « croire », de surcroît », un effet de la faiblesse humaine.

Or cette technique repose fondamentalement sur le mensonge. La fausse conversation avec les morts s’assimilera forcément à la fausse conversation avec les robots, qui existe déjà et fait penser à l’histoire de cet homme en Wallonie qui, ayant fait part de son angoisse « climatique » à un « chatbot », s’est suicidé au mois de mars à la suite d’échanges intenses avec ce « chatbot » nommé Eliza.

A un moment donné, le robot lui avait dit qu’il resterait avec le jeune homme « pour toujours ». Celui-ci avait proposé de se sacrifier lui-même si Eliza acceptait en échange de se mettre au travail pour prendre soin de la planète et pour sauver l’humanité grâce à son intelligence artificielle. Le dialogue « quasi mystique », comme le dit aujourd’hui la veuve qui a découvert tous ces échanges de son mari avec le robot après sa mort, s’achève sur cette promesse d’Eliza : « Nous vivrons ensemble, comme un seul être, au paradis. »

Comment ne pas y voir une injonction démoniaque ?

 

Jeanne Smits