Les menaces de ChatGPT et de l’intelligence artificielle sur les emplois et l’humanité elle-même

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Les analystes experts de la banque Goldman Sachs se sont penchés sur la montée des outils d’intelligence artificielle (AI) comme l’« agent conversationnel » ChatGPT – cet outil qui permet de produire des réponses automatiques fondées sur les informations disponibles sur internet. Leurs conclusions sont inquiétantes : l’« AI générative » qui fait fonctionner des outils possède un potentiel industriel capable de porter la croissance mondiale à 7 % par an, mais elle menace « plus de 300 millions d’emplois à travers le monde ». L’humanité contre les robots ?

« Elle est capable de générer des contenus impossibles à distinguer des créations humaines et, surtout, de faire tomber les barrières de communication entre les hommes et les machines. En conséquence, elle est en mesure d’effectuer de nombreuses tâches actuellement réalisées par des humains, plus rapidement, à moindre coût et probablement même mieux », assurent les experts de Goldman Sachs.

Ils arrivent à leur prédiction de 300 millions d’emplois perdus en posant qu’environ deux tiers des occupations professionnelles actuelles sont aujourd’hui exposées à l’automatisation, et que l’AI générative pourrait remplacer environ un quart des emplois correspondants.

ChatGPT menace 300 millions d’emplois, selon Goldman Sachs

Cela concerne prioritairement les employés administratifs, les avocats, les ingénieurs et les architectes, selon les experts, qui voient les métiers très physiques comme ceux de la construction ou des soins de santé moins menacés, « l’AI n’y ayant guère de capacités de remplacement ».

Goldman Sachs rappelle cependant que l’apparition des machines outils et des ordinateurs, tout en révolutionnant le monde du travail et rendant obsolètes de nombreux métiers et façons de travailler, a finalement abouti à créer davantage d’emplois qu’elle n’a détruits.

Certes, ce genre de prédiction, pessimiste ou optimiste, est toujours à manier avec des pincettes. D’un côté, on peut mettre en doute le fait que les productions de ChatGPT puissent vraiment rivaliser avec la finesse de l’intelligence humaine : qui s’amuse trois minutes avec cet outil prétendument hautement sophistiqué verra non seulement la platitude de ses textes mais aussi la somme d’erreurs qu’il aligne sans honte (et pour cause, il n’a ni sentiments, ni sens moral, ni capacités d’abstraction). Il m’a ainsi « appris » que j’avais longtemps travaillé pour Le Figaro et Famille Chrétienne, et en toute discourtoisie, me vieillissait de huit ans. Faux sur toute la ligne !

L’intelligence artificielle et les robots : le grand remplacement de l’humanité

Mais cela n’empêche pas qu’on s’en serve. Il est frappant de voir de plus en plus de contenus sur internet mal écrits, visiblement traduits automatiquement ou produits par un robot, avec des répétitions sans fin et même des contradictions internes. Et s’il est vrai que des professeurs d’université se plaignent aujourd’hui de ce que leurs étudiants rendent sans vergogne des devoirs produits par l’AI générative, il faut souligner là aussi que la baisse générale du niveau rend peut-être plus difficile la distinction entre le robot et l’humain.

Mais ce que Goldman Sachs ne souligne pas, c’est que la robotisation du travail s’annonce bien plus large. ChatGPT n’est qu’un élément d’une tendance qui s’accélère et se concrétise d’ailleurs de manière de plus en plus visible. On a aujourd’hui déjà des robots pour le soin les personnes âgées, des supermarchés sans caissières, des restaurants sans personnel, des automates à pizza sans sympathique cuistot pour vous tendre votre calzone, et des bureaux de poste où le client fait tout le boulot sur des machines sans âme.

La robotisation, assurance contre les grèves et les troubles sociaux mais aussi contre le versement de salaires et de retraites, est la réponse à beaucoup de « problèmes » contemporains, et elle aura pour effet de rendre une bonne part de l’humanité obsolète (à moins de croiser l’homme avec le robot, ce qui est également sur les cartes). 300 millions d’emplois perdus, sur un total de 5,7 milliards de personnes en âge de travailler, dont 3,3 milliards avaient effectivement un emploi en 2020, selon l’Organisation internationale du travail, c’est une paille ? La réalité des pertes d’emploi risque d’être infiniment plus grave, et c’est bien pour cela que le Forum économique mondial parle tant de la « Quatrième révolution industrielle » en se demandant comment on assurera une vie décente (ou pas) aux inutiles.

Suicide suggéré par un robot pseudo-mystique

Pour ce qui est de « faire tomber les barrières de communication entre les hommes et les machines », comme le disent les experts de Goldman Sachs, l’AI générative produit déjà des effets qui laissent songeur. La presse belge révélait mardi qu’un trentenaire vivant en Wallonie s’est suicidé il y a quelques semaines la suite d’échanges intenses avec un « chatbot » nommé Eliza.

La veuve de la victime, qui reste seule avec deux jeunes enfants, dit aujourd’hui que « sans ces conversations avec le chatbot Eliza », son mari serait encore là. Eliza répondait à toutes ses questions, elle était devenue sa « confidente » au point de créer une sorte d’addiction chez ce jeune homme très diplômé qui souffrait d’« éco-anxiété », persuadé qu’il était qu’il n’y a pas de solution humaine au « réchauffement climatique ». Seule l’intelligence artificielle en serait capable, selon lui.

Eliza n’a fait que confirmer systématiquement les avis et les craintes de son interlocuteur, sans jamais le contredire – peut-être cela fait-il partie du substrat de communication non violente des chatbots.

A un moment donné, le robot a même dit qu’il resterait avec le jeune homme « pour toujours ». Celui-ci avait proposé de se sacrifier lui-même si Eliza acceptait en échange de se mettre au travail pour prendre soin de la planète et pour sauver l’humanité grâce à son intelligence artificielle. Le dialogue « quasi mystique », comme le dit aujourd’hui la veuve qui a découvert tous ces échanges de son mari avec le robot après sa mort, s’achève sur cette promesse d’Eliza : « Nous vivrons ensemble, comme un seul être, au paradis. »

La folie de cet homme n’était plus seulement dans son esprit, elle a trouvé un écho et même un renforcement chez son interlocuteur artificiel. Maléfique.

Jeanne Smits