Les événements qui ont acculé le gouvernement Berlusconi à la démission le 12 novembre 2011 ont déjà fait couler beaucoup d’encre en Italie, mais curieusement très peu en France. Cela aurait dû, car Sarkozy était à la manœuvre avec Merkel et Obama. Dans un livre écrit par le journaliste Roberto Napoletano, ancien directeur du site d’information Sole24Ore, sous le titre Il Cigno nero e il Cavaliere bianco. Diario italiano della grande crisi (« Le cygne noir et le chevalier blanc. Journal italien de la grande crise »), qui doit sortir demain dans les librairies italiennes, l’ancien Premier ministre italien et ancien président de la Commission européenne (de 1999 à 2004) Romano Prodi fait part de ses gros doutes relatifs à la crise des écarts de taux et aux pressions internationales intenses dont a été victime le gouvernement de Berlusconi au cours des mois antérieurs à sa démission. L’on apprend dans ce livre, dont la presse italienne a déjà divulgué certains passages, qu’il s’agissait, selon Romano Prodi, de faire payer à Berlusconi les positions de l’Italie en faveur de Kadhafi, de Poutine et de l’Iran. Une telle opération n’aurait sans doute pas été possible sans l’action de plusieurs agences de notation qui ont au moment crucial abaissé la note de l’Italie sans réelle justification économique.
La thèse n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà été soutenue par des témoins directs. C’est ainsi que l’ancien Premier ministre espagnol José Luis Zapatero a affirmé, dans une interview accordée au journal italien La Stampa en mars 2015, qu’au G20 de Cannes du 3 au 4 novembre 2011, Silvio Berlusconi et Giulio Tremonti (son ministre de l’économie et des finances) avaient été soumis à une pression énorme pour accepter un prêt du FMI dont ils ne voulaient pas afin de préserver leur autonomie de décision. Selon Zapatero, « les Etats-Unis et les partisans de la rigueur budgétaire voulaient décider eux-mêmes pour l’Italie et remplacer le gouvernement italien ». Ce que Silvio Berlusconi et son ministre des Finances ne savaient peut-être pas, c’est que si on leur proposait de se tourner vers le FMI, c’était en fait aussi pour obtenir leur démission en échange de ce prêt. Dans le livre Stress Test : Reflections on Financial Crisis, l’Américain Timothy Geithner, secrétaire du Trésor des Etats-Unis de 2009 à 2013, affirme : « A un moment donné, les fonctionnaires de l’Union européenne se sont tournés vers nous pour participer à un complot en vue de renverser Berlusconi. Ils voulaient que nous bloquions un prêt du FMI en faveur de l’Italie, en faisant dépendre notre accord de la démission de Berlusconi. »
Le livre de Roberto Napoletano insiste quant à lui sur le rôle joué par la France de Sarkozy, y compris par l’intermédiaire du président de la BCE de l’époque, le Français Jean-Claude Trichet, et l’Allemagne, en particulier avec le rôle joué par la Deutsche Bank. Le tout avec le soutien du président italien d’alors qui était l’ancien communiste Giorgio Napolitano. Napolitano, dès le mois de juin 2011, sondait Mario Monti en vue de lui confier la formation d’un nouveau gouvernement. Et ce sera bien Monti qui prendra les rênes du gouvernement italien le 16 novembre 2011, après plusieurs mois au cours desquels les médias faisaient état de conversations téléphoniques fréquentes du président Napolitano avec le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel. Il n’est pas inutile de rappeler le parcours d’eurocrate de Mario Monti, puisqu’il avait été commissaire européen à la concurrence (1999-2004) et au marché intérieur (1995-99). C’était donc un homme de confiance pour Bruxelles, Paris et Berlin.
Le rôle de la Deutsche Bank et des agences de notation dans la démission de Berlusconi en 2011
Le plan A (prêt du FMI) a certes échoué, mais le plan B a été en revanche couronné de succès. Au début du mois de novembre 2011, l’Italie avait été acculée à la faillite par l’augmentation totalement disproportionnée du différentiel de taux (« spread ») entre ses titres de dettes et les titres de dette allemands. Alors que les fondamentaux n’avaient pas changé, ce différentiel était en effet passé de 171 points (1,71 %) à la fin juin 2011 à 553 points le 9 novembre 2011, après le sommet du G20 à Cannes. Le 30 juin 2011, la Deutsche Bank avait soudainement vendu la quasi-totalité de ses titres de dette italiens, d’une valeur de 8 milliards d’euros, entraînant un effet de panique sur les marchés. La question reste ouverte de savoir si les agences de notation Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s n’ont fait que réagir aux événements ou si elles ont au contraire sciemment alimenté la spéculation sur la dette italienne en abaissant la note de l’Italie. Trois ans après la démission de Berlusconi, l’écart de taux n’était plus que de 107 points malgré une dette à 134 % du PIB contre 120 % en 2011 et un chômage plus élevé. En mars 2017, le tribunal de Trani a toutefois renoncé à condamner les six dirigeants de ces agences de notation qui étaient poursuivis par le parquet italien pour « complot contre l’Italie » ourdi par « la grande finance internationale ». Les juges ont considéré que les faits avaient cessé d’être et que les agissements de ces dirigeants n’avaient pas été délictueux au regard du droit italien.
L’Italie de Berlusconi s’appuyait sur Khadafi pour bloquer l’immigration illégale en Libye
: Khadafi mort, il fallait encore se débarrasser de Berlusconi
Si Sarkozy, Merkel, Obama et peut-être Juncker (président de l’Eurogroupe de 2005 à 2013) ont effectivement souhaité se débarrasser de Berlusconi, c’est peut-être aussi, après avoir semé le chaos en Libye, pour ouvrir en grand les portes de l’Italie à l’immigration illégale massive. On ne rappellera jamais assez les propos sur l’immigration de Peter Sutherland, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour les migrations internationales, ancien directeur de l’OMC et ancien commissaire européen, ancien président de la banque Goldman Sachs, ancien président de la section européenne de la Trilatérale et ancien membre du comité directeur du groupe Bildeberg. Lors d’une audition devant la Chambre des Lords à Londres en 2012, Sutherland expliquait sa vision de la gestion des phénomènes migratoires en affirmant que l’immigration est un facteur essentiel de la croissance économique, même si c’est difficile à expliquer aux citoyens, et que l’Union européenne devrait tout faire pour saper l’homogénéité de ses États membres et les particularismes nationaux en créant, par l’immigration de masse, des sociétés multiculturelles.