Emploi, croissance… les arguments chocs de Jacques Sapir pour la sortie de l’euro et le retour au franc

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La sortie de l’euro, un des thèmes du programme présidentiel de la candidate Marine Le Pen, serait-elle la catastrophe prédite par les candidats euromondialistes, c’est-à-dire peu ou prou tous les autres ? Dans un entretien musclé avec un journaliste sur Boursorama.com, l’économiste Jacques Sapir, professeur à l’EHESS, démonte un à un les arguments catastrophistes, ne pointant guère qu’un risque, celui d’une… réappréciation du futur franc. A l’opposé, le retour à la souveraineté monétaire permettrait un important surcroît de croissance et, partant, un retour massif à l’emploi, moyennant un contrôle des capitaux et une renationalisation partielle de la dette.
 

L’euro dysfonctionne, accélère les divergences, fait régresser plusieurs économies

 
L’euro dysfonctionne, martèle l’économiste, car il aura induit une divergence croissante entre les niveaux de vie des pays l’ayant adopté qui, de plus, ont depuis 2002 subi la rigueur. « L’euro a fait baisser la croissance d’environ 1 % par rapport aux pays hors zone euro, contrairement à ce qui était indiqué », situation que Jacques Sapir qualifie de « dramatique ». Il cite l’Espagne et plus encore l’Italie qui « est revenue à son niveau économique de 2000, voire avant si l’on tient compte de l’accroissement de sa population ». Même l’Allemagne a pu en subir des effets contraires, « les investissements y étant inférieurs à leur niveau de 2003-2004 ».
 
Certes, l’idée en vogue est que la croissance ralentit dans le monde entier. Objection, rectifie Jacques Sapir : ce n’est pas le cas pour les émergents ni surtout pour la Russie qui, après son défaut de 1998 voit sa croissance dépasser la moyenne mondiale, l’effet du défaut s’étant estompé depuis au plus 2005. Au demeurant, relève Sapir, ledit défaut n’a pas empêché les investisseurs de revenir vers la dette russe : « Un an après, ils se précipitaient pour en racheter. » Une économie active finit toujours par inspirer confiance. Le cas de la Grèce, brandi tout au long de l’entretien par le journaliste à l’évidence europhile pour mettre en garde contre une impossibilité d’emprunter en franc à des taux abordables, ne peut évidemment être opposé, ce pays étant sous perfusion constante de la BCE, contrairement à la France.
 

Jacques Sapir : la sortie de l’euro aidera la croissance et l’emploi

 
Les difficultés macroéconomiques causées par l’euro pourraient-elles être surmontées par encore plus d’Europe – mutualisation accrue, «  fédéralisation », « solidarité » – invoquée par l’intervieweur qui cite l’union bancaire déjà instaurée ou le « plan Juncker » ? Jacques Sapir lui oppose une objection simple : une telle fusion de fait entraînerait un prélèvement de richesse de 8 % à 12 % sur le PIB allemand !
 
Quels gains objectifs amènerait le retour au franc, à la souveraineté monétaire ? Sapir cite d’abord l’amélioration de la compétitivité française, compte non tenu de nécessaires réformes de structure (enseignement professionnel par exemple) indispensables par ailleurs. La dépréciation du franc serait de 25 % à 30 % vis-à-vis du deutschemark, rétabli de facto par une sortie de la France de l’eurozone, et de 6 % à 8 % vis-à-vis de la « zone dollar ». Cette baisse de valeur relative entraînerait « un surcroît de croissance entre 2,1 % et 2,8 % », chiffre Jacques Sapir. L’objection consistant à dire que les importations seraient renchéries se heurte à deux réalités, selon lui : d’une part la consommation finale importée n’est que de 43 % en France, chiffre relativement modeste ; d’autre part, plusieurs pays de l’ex-eurozone verraient leur nouvelle monnaie baisser encore plus vite que le franc, tels l’Espagne ou l’Italie.
 

Imposer aux banques de détenir plus de dette française

 
Concernant le libellé des dettes Marine Le Pen, relève-t-on, indique que la Lex monetae garantirait le basculement des titres publics de l’euro au franc. Jacques Sapir, on l’a vu, indique qu’une économie encore puissante comme celle de la France, revigorée qui plus est par le surcroît de croissance apporté par la dépréciation partielle de sa monnaie, ne serait pas longtemps boudée par les investisseurs. Reste la dette des entreprises, dite « corporate » dans le sabir financier globaliste, qui demeurerait en valeur « euro ». « Il faudra alors obliger les banques à détenir un certain pourcentage de titres français publics ou privés » plus élevé qu’aujourd’hui répond Sapir, décision revenant à opérer « une renationalisation de la dette française ». Cette obligation ne concernerait pas les particuliers. Au demeurant, le surcroît de croissance entraînant une hausse des recettes fiscales et une baisse des déficits publics réduirait le risque sur la dette souveraine. Sapir cite une étude de la très keynésienne OFCE qui estime in fine que le résultat d’une sortie de l’euro et du retour à la croissance serait au final positif pour les entreprises françaises. Quant à une probable envolée des taux d’intérêts, Jacques Sapir résout le problème en prônant « la réintroduction du contrôle des capitaux », limitant leurs sorties aux nécessités de l’investissement. Un contrôle auquel l’Allemagne s’oppose pour sa part.
 

Le retour au franc provoquera de l’inflation, compensée bientôt par la baisse du chômage

 
Reste la question très sensible de l’inflation, dont le surcroît est chiffré à 2,5 % par Marine Le Pen. Jacques Sapir l’estime pour sa part « à 3% en addition aux 1 % actuels » soit une perte nette de pouvoir d’achat. Mais cela dans un premier temps, car il oppose à ce phénomène « l’impact du retour à l’emploi (lié au retour de la croissance NDLR) de 1,5 à 2 millions de personnes, soit une forte hausse de la masse salariale ». Les importations en provenance d’Allemagne seront renchéries mais celles en provenance d’Espagne ou d’Italie ne le seront pas, voire seront moins coûteuses. « Le choc inflationniste devrait être équilibré par le retour de la croissance », conclut-il.
 
Le principal risque d’une sortie de l’euro reste, selon Jacques Sapir, celui d’une réappréciation du franc au bout de 18 mois. Cela renforce donc son vœu d’un contrôle des échanges de capitaux mais aussi celui d’une recomposition du système monétaire international. Cette dernière est d’autant plus nécessaire que la confiance dans le dollar s’effrite en raison de la montagne de dettes accumulées par les Etats-Unis, et que la confiance dans l’euro ne s’est jamais confirmée : l’actuelle devise européenne ne représente, quinze ans après sa création, que 24 % des réserves mondiales, alors que les réserves libellées en francs ou en deutschemarks s’élevaient à 21 % en 2001. Un échec de plus.
 

Matthieu Lenoir