Ils ont osé. Le bureau exécutif du Front national – forcément sous l’impulsion de Marine Le Pen et de Florian Philippot, qui n’étaient pas présents mais dont la volonté est connue et le poids incontestable – a décidé jeudi d’exclure Jean-Marie Le Pen de son propre parti. Le Front national tourne le dos à son histoire, à son fondateur, au terme d’une mise en scène soigneusement orchestrée où tout était prêt, jusqu’aux pages pré-rédigées répondant à sa demande de publicité des débats.
Jean-Marie Le Pen a annoncé qu’il se tournerait une nouvelle fois vers la justice : on ne « discipline » pas le « Menhir » de la sorte.
Mais l’affaire dépasse très largement les simples affrontements judiciaires, qui peuvent aboutir à ce qu’il soit restauré dans son droit historique. Marine Le Pen a consommé la rupture avec le père, le dernier obstacle qui la tenait écartée de l’établissement politico-médiatique, même si celui-ci fait mine aujourd’hui de dénoncer l’attitude de l’héritière indigne. Il se garde bien de souligner l’essentiel : Marine Le Pen partage désormais officiellement le point de vue qui voit en Jean-Marie Le Pen un « raciste », un « extrémiste », un « négationniste », un homme qui n’est pas au clair par rapport à la laïcité et au républicanisme obligatoires. C’est pour cela qu’elle l’a fait virer. Elle refuse de partager l’opprobre, pour elle et pour le parti dont elle a pourtant hérité par sa volonté.
Jean-Marie Le Pen exclu, le Front national en rupture avec son histoire
D’aucuns diront que c’est tant mieux, qu’il n’y avait pas le choix si elle veut arriver à l’Elysée : c’est donner corps à l’idée que pour réussir, il faut renoncer à ce que l’on est. Ou que l’on n’est pas : la stratégie du « marketing » adoptée par le Front national de Marine Le Pen rejette sans doute réellement des prises de positions historiques de Jean-Marie Le Pen, qui, lui, n’a jamais vraiment varié et qui a eu le courage de penser à l’opposé des faux dogmes obligatoires.
La vraie question – au-delà de ce rejet agressif du père, de cette manière déshonorante d’oublier le devoir de piété filiale – est celle du changement qui s’est opéré. Si le FN – à travers Marine Le Pen et quelques-uns des siens – ne se reconnaît plus en son fondateur, et puisque ledit fondateur reste simplement, évidemment lui-même, c’est que le Front national a réellement changé ses « fondamentaux ». C’était visible depuis plusieurs années, spectaculaire lors de la dernière présidentielle avec une orientation de plus en plus à gauche, socialiste et adulatrice de la nation. Marine Le Pen a voulu parachever la mue.
Tourner le dos au passé : le propre de la Révolution
Elle avait l’option, elle l’a toujours eue, de conserver le respect à l’égard du père et du fondateur en prenant Jean-Marie Le Pen tel qu’il est, quitte à marquer ses différences mais en assumant l’héritage. Le changement du FN n’aurait pas été moins réel, et les choses sont plus claires maintenant. Mais au moins le parti qui a plus ou moins bien porté les couleurs du mouvement national, celui qui jadis n’était pas incompatible avec ceux qui voient l’urgence de « chercher d’abord le royaume de Dieu », n’aurait-il pas sombré dans cette faillite humaine et idéologique.
C’est l’histoire d’une révolution. Une révolution à la manière de celles qui rejettent le passé, qui tuent les rois, qui récusent le principe de paternité et celui de l’autorité.
Mais attention, en gardant le logo, la marque ! Marine Le Pen avait toute latitude pour prendre acte de ce qui la sépare désormais de son père, pour créer un nouveau parti, changer de nom. Cela lui fait-il peur ? L’apport en capital de voix et de sympathie est-il donc trop fort pour qu’elle risque d’y renoncer ? A-t-elle si besoin encore des « actifs » apportés par le père pour ne pas risquer de voler de ses propres ailes ?