Journée mondiale du bonheur de l’ONU : l’indice d’une spiritualité globale

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On a fêté le vingt mars comme chaque année depuis 2012 la journée mondiale du bonheur instaurée par l’ONU. Elle témoigne d’une spiritualité de Schtroumpf comme l’a spirituellement noté Jeanne Smits. Mais c’est aussi l’indice d’une gouvernance globale en pleine expansion.
 
Le mouvement a pris forme après soixante-huit. En 1972 le roi du Bhoutan lançait sa devise, « Le bonheur national brut vaut mieux que le produit national brut ». Puis un certain nombre de spécialistes de l’économie comportementale, ou de l’économie du bien-être et du bonheur, Richard Easterlin, Richard Layard, Daniel Kahneman, en France Pierre Leroy, se sont donnés pour tâche de « redéfinir la conception de la croissance pour placer le bien-être au centre des efforts des gouvernements ».
 

Un nouveau paradigme pour l’ONU : le bonheur

 
Cela a débouché en 2012 sur une délibération de l’assemblée générale de l’ONU, à laquelle ni la Russie ni la Chine n’ont mis leur veto malgré une incidence sur les droits de l’homme qui leur est défavorables, et qui a fixé la journée mondiale du bonheur le vingt mars. A cette occasion, le secrétaire général de l’ONU d’alors, Ban Ki Moon, a manifesté le caractère holiste de cette entreprise politique et du classement qu’elle opère parmi les nations : « Le monde a besoin d’un nouveau paradigme économique qui reconnaît la parité entre les trois piliers du développement durable. Les bien-être, social, économique et environnemental, sont indissociables. Ensemble, ils définissent le bonheur brut mondial ».
 

La France mal placée au palmarès de la journée mondiale

 
Chaque année depuis 2012 à l’occasion de cette journée mondiale, le comité du bonheur mondial remet un rapport sur l’évolution globale du bonheur dans le monde assorti d’un classement de cent cinquante cinq pays examinés par ordre décroissant. C’est ce classement qui retient l’attention des médias. On note que les pays du nord de l’Europe y sont toujours bien représentés, que la France dégringole doucement ; elle est aujourd’hui au 31ème rang.
 
Ce classement fait l’objet de manipulations : ainsi le site Euractiv.com a-t-il titré en 2017 que « quatre pays européens » paraissent dans les dix premiers du classement alors qu’on en compte sept en fait : mais en ne retenant que ceux qui appartiennent à l’Europe de Bruxelles, il tendait à rendre plus positive l’image de celle-ci. Cette petite malhonnêteté rappelle opportunément l’utilité du classement, de la journée mondiale du bonheur, et de son comité : faire passer des messages politiques.
 

L’indice du bonheur additionne choux et carottes

 
Quelques observateurs ironiques, parmi les politiques, s’amusent que l’Algérie soit déclarée le « pays le plus heureux d’Afrique ». D’autres, plus portés sur les sciences exactes, haussent les épaules devant des agrégats statistiques qui mettent ensemble choux, carottes, dioxyde d’azote et maisons de la culture, bref, qui prétendent additionner des éléments incommensurables. Ils traitent la journée mondiale du bonheur et l’indice qui va avec par un mépris souriant.
 
Ils ont tort. Depuis 1789, l’objectif constant de cette inversion morale et politique qu’on nomme révolution est la production d’un homme nouveau sur une terre nouvelle. Dans l’alchimie régressive qui change l’or de la réalité en plomb de l’utopie, chaque nouvelle opération passe par sa phase ridicule : de même que l’insecte est larve et nymphe avant d’arriver à l’imago, de même, avant de se solidifier en insupportable contrainte, les nouvelles normes apparaissent-elles sous la forme de paradoxes risibles. Antoine de Rivarol se moquait avec esprit du calendrier révolutionnaire, mais cela n’empêchait pas cette pitrerie d’être fort sérieuse : elle visait à détacher le peuple de ses saints et à imposer un découpage du temps naturaliste d’inspiration néo-païenne. Ainsi l’agitation ridicule d’aujourd’hui autour du bonheur entend-elle introduire aussi une spiritualité globale panthéiste, le plus sérieusement du monde.
 

L’ONU et les papes de l’économie du bonheur

 
Il est important pour l’analyse qui va suivre de dire un mot des signataires du rapport annuel sur le bonheur, John Helliwell, Richard Layard et Jeffrey Sachs. Jeffrey Sachs est à la fois un économiste de choc et l’un des pontifes de la nouvelle spiritualité globale : conseiller spécial auprès du secrétaire général de l’ONU, il est le père des objectifs du millénaire pour le développement durable, l’un des experts consultés par le pape François pour la rédaction de l’encyclique Laudato Si’. Sir Richard Layard, professeur britannique renommé, l’un des papes de l’économie du bonheur, a écrit avec Daniel Kahneman un livre, Le prix du bonheur, où il affirme à la fois que celui-ci peut faire l’objet d’une mesure précise (où il entre notamment une évaluation de la sécurité sociale et de la fiscalité « juste ») et qu’il doit être la fin de toute activité politique.
 

Du PIB au bonheur brut via l’indice de développement humain

 
Tout cela se situe dans la foulée du rapport signé par le prix Nobel d’économie Josef Stiglitz, qui se propose d’aller « au delà du produit national brut ». Puisque le bonheur est le but assigné aux politiques, il est nécessaire de changer la boussole économique sur laquelle ils se sont réglés depuis quatre-vingt ans. Ce n’est plus la croissance brute de l’économie, mais « le bien-être » qui sera « utilisé comme guide des politiques ». Dans cet esprit, comme l’ont affirmé les dirigeants de l’OCDE réunis en 2016, « le bonheur est la bonne mesure du progrès social et le but des politiques publiques ».
 
Il fallait donc créer un instrument d’évaluation du bonheur, un indice statistique idoine. Depuis 1934 l’économie globale se mesurait à l’aune du PNB puis du PIB, inventé par Simon Kutznets à la demande de Franklin D. Roosevelt. Cet indice n’était plus suffisant. En 1990 le PNUD de l’ONU lançait l’IDH, l’indicateur de développement humain, mis au point par l’Indien Amartya Sen à partir de trois critères, le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation. De fil en aiguille l’ONU est arrivée au BNP à quatre piliers vanté par Ban Ki Moon.
 

L’extension par l’économétrie du domaine de l’emprise totalitaire

 
Première remarque, ce nouvel indice va remplacer l’ancien, le PIB. Quelques-uns s’en réjouiront, c’est un coup de pied dans la fourmilière de l’économisme qui infecte la pensée politique depuis le dix-neuvième siècle. Ils auraient raison si la nature holiste du bonheur national brut n’amenait au contraire une extension abusive de l’économétrie qui « matérialise » en quelque sorte indûment le bonheur, le confondant avec un bien-être qu’elle ramène aux éléments qu’elle choisit. Cela entraîne une extension proportionnelle de la mise en critères de l’intimité de l’homme, une extension de l’emprise totalitaire sur la spiritualité, c’est-à-dire l’achèvement du totalitarisme, accompagnée d’une appropriation ahurissante de la vérité, un vol manifeste et impudent de vérité.
 

L’ONU impose une spiritualité globale conquérante et bornée

 
Car l’ONU et ses séides ne se proposent pas moins que de nous dire ce qu’est le bonheur, de nous en imposer la définition par le moyen d’un indice statistique funambulesque, et de nous en imposer la réalisation par les politiques auxquelles ce même indice doit servir de « guide ». Par cette opération qui tiendrait de la gaudriole si elle n’était si massivement promue par de véritables escadres d’institutions synergiques et synarchiques, nous entrons dans ce que l’on pourrait nommer le totalitarisme tautologique. Ce que la gouvernance globale nous dit de faire est bien, puisqu’elle mesure une amélioration quand nous le faisons ; or cette amélioration dépend du choix de ce qu’elle mesure ; ainsi le serpent se mord-il la queue et le monde va-t-il mieux. La place me manque pour examiner en détail en quoi et comment les critères choisis par les statisticiens du bonheur brut reflètent l’écologisme hédoniste et socialiste qui est la spiritualité de la gouvernance globale. Je laisse au lecteur le soin de faire ses propres découvertes en lisant le rapport. Il notera mille marques d’une volonté politique sans faille et d’une spiritualité panthéiste conquérante et bornée.
 

Pauline Mille