Le conseil des prud’hommes de Paris a condamné mardi la Société générale à payer quelque 455.000 euros à son ancien courtier Jérôme Kerviel – qui n’était pas présent à la lecture du jugement. Selon le jugement, la banque est coupable de l’avoir licencié début 2008 sans « cause réelle ni sérieuse », et dans des conditions « vexatoires ».
L’avocat de la banque, Me Arnaud Chaulet, a immédiatement dénoncé une décision « scandaleuse » et fait appel, rappelant que Jérôme Kerviel avait été reconnu coupable, sur le plan pénal, de manœuvres boursières frauduleuses. Une réaction d’autant plus compréhensible que, par ailleurs, plusieurs autres fronts judiciaires restent ouverts.
L’ancien courtier Jérôme Kerviel fait condamner son ancien employeur aux prud’hommes
En attendant, il s’agit là de la première victoire judiciaire de l’ancien courtier (ou « trader ») dans le bras de fer qui l’oppose depuis huit ans à son ancien employeur, lequel l’estime seul responsable d’une perte de – excusez du peu ! – 4,9 milliards d’euros. Mais, pour le conseil des prud’hommes, le licenciement intervenu début 2008 était venu sanctionner des « faits prescrits », selon les termes du jugement lu par le président Hughes Cambournac, représentant de la partie « employeur ».
Dans un argumentaire très sévère pour la Société générale, celui-ci a estimé que cette dernière avait connaissance des dépassements des limites imposées aux opérations de marché opérés par son employé « bien avant » de lui signifier son licenciement en date du 18 janvier 2008.
De fait, Jérôme Kerviel avait été rappelé à l’ordre oralement par la banque « dès 2005 ». Or, aux termes de la loi, l’employeur a deux mois, selon les dispositions de l’article L1332-4 du Code du Travail, pour engager des procédures disciplinaires après avoir pris connaissances d’un « fait fautif ».
On en revient au débat sur le fait que la banque était « parfaitement au courant des opérations fictives » de son courtier, et au fait que des patrons ont fermé les yeux tant qu’elles ont généré des profits pour le groupe – sans que le courtier n’en tire, pour sa part, un « enrichissement personnel ».
Mise en cause sévère de la Société générale
« En sanctionnant en 2008 Monsieur Kerviel pour les pertes générées par ses prises de positions, la Société générale n’a pas sanctionné les agissements de Monsieur Kerviel mais les conséquences de ceux-ci », résument les prud’hommes.
Leur jugement va donc à rebours de quasiment toutes les décisions de justice prises jusqu’ici dans l’affaire Kerviel, qui n’est cependant pas terminée. Ainsi Jérôme Kerviel doit-il se retrouver de nouveau face à la Société Générale dès le 15 juin prochain, devant la cour d’appel de Versailles cette fois, et sur le volet civil de son affaire, à savoir ce qui concerne les dommages-intérêts.
Pour Jérôme Kerviel, qui avait tout d’abord, avant que la décision soit annulée, été condamné à rembourser intégralement les 4,9 milliards d’euros perdus par la Société Générale, ce jugement apparaît comme un soulagement.
Il n’en reste pas moins que, sur le plan pénal, il a définitivement été condamné à cinq ans de prison dont trois ferme, pour abus de confiance, manipulations informatiques, et « faux et usage de faux » parce qu’il avait dissimulé des transactions extrêmement risquées.
Procédures à venir
Remis en liberté conditionnelle en septembre 2014, sa défense avait lancé une demande en révision du procès, pour l’heure toujours en attente.
Pour sa part, la Société Générale ne devrait pas trop se ressentir de ce nouveau jugement, l’affaire ayant été, depuis 2008, largement absorbé par les marchés. Son image est d’ailleurs beaucoup plus atteinte, en ce moment, par son implication dans le scandale des « Panama papers ».
En revanche, la décision des prud’hommes pourrait influer sur les prochaines juridictions qui auront à se prononcer, comme à Versailles donc, sur cette affaire.