AGS : le scandale des mandataires judiciaires

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L’association Anticor s’est constituée partie civile dans l’enquête ouverte voilà trois ans sur l’affaire de l’AGS (fonds des garanties de salaires). Pour « corruption » et « abus de confiance ». Les mandataires judiciaires, qui gèrent l’argent cotisé par les employeurs pour garantir les salaires en cas de redressement ou liquidation judiciaire d’une entreprise, sont désormais soupçonnés de « détournement de biens publics », pour un montant présumé de 15 milliards d’euros en treize ans. Ce scandale a bizarrement conduit au licenciement de la directrice de l’AGS qui mettait son nez dans des comptes bizarres, ce qui donne à penser que de puissantes influences s’exercent pour empêcher la vérité d’éclater.

 

L’AGS avance aux mandataires judiciaires le montant des salaires

Pour comprendre le scandale présumé, il faut se rappeler que lorsqu’une procédure collective touche une entreprise en difficulté financière, la justice désigne un mandataire judiciaire. Il y en a trois cents en France. Dans certaines villes comme Nancy, une enquête ouverte voilà quinze ans a montré qu’ils peuvent être fortement liés à la franc-maçonnerie. Quoi qu’il en soit l’AGS (cogérée par l’Unédic, le Medef et la CPME) avance l’argent nécessaire à payer les salariés aux mandataires judiciaires, qui effectuent les versements, puis la remboursent en récupérant les actifs de l’entreprise grâce au plan de redressement ou à la liquidation. Dans ce fonctionnement, très clair sur le papier, où a eu lieu le scandale, et où sont passés les quinze milliards supposés détournés ?

 

Les mandataires judiciaires déclarent irrécouvrables les actifs des entreprises

D’abord, il y a eu des fuites sur les versements faits par les mandataires judiciaires : « Nous avons la certitude, aujourd’hui, que tout n’est pas versé aux salariés et qu’il y a des salariés qui ne perçoivent pas les fonds », assure Jérôme Karsenti, avocat d’Anticor. Mais la grosse fraude porte sur les « certificats d’irrécouvrabilité ». Voici de quoi il s’agit : un mandataire déclare que les actifs de l’entreprise ne permettent pas de recouvrer les sommes nécessaires et qu’il ne peut donc pas rembourser l’AGS. Celle-ci lui donne un « certificat d’irrécouvrabilité » et passe le montant aux pertes. Tout paraît donc régulier… sauf que de nombreux certificats ont été délivrés à la légère, les administrateurs ayant déclaré les actifs des entreprises irrécouvrables alors qu’ils en ont récupéré tout ou partie et gardé la somme.

 

L’AGS secouée par le scandale

Cela n’a rien de nouveau. Anticor affirme que « des certificats d’irrécouvrabilité mensongers malgré des fonds disponibles datent de plus de dix ans », ce qui suggère « le caractère systémique et ancien » de la fraude. Celle-ci est massive : « Sur 15 milliards d’euros, il y a de nombreux points d’interrogation sur la destination des sommes », ajoute Me Karsenti. C’est une nouvelle directrice nommée en 2018, Houria Aouimeur, qui a lancé l’alerte avant d’être licenciée en 2022 pour « faute lourde » (le dossier fait état de notes de taxi !) et de porter plainte, de son côté, pour « harcèlement et menace ». Le scandale fait tanguer l’AGS, puisque la CPME s’en est retirée en février 2023. C’est d’autant plus préoccupant qu’avec la croissance des faillites, l’AGS doit indemniser un nombre croissant de salariés : 132.000 en 2022, pour un montant total de 1,14 milliards d’euros. Le nombre de bénéficiaires était en hausse de 43 % sur 2021, et devrait croître encore en 2023. Au lieu de chercher des poux dans les notes de frais d’une directrice qui a eu le mérite de lancer les audits d’où sort le scandale, il faudrait peut-être faire un peu de lumière sur le petit monde très fraternel des mandataires judiciaires.

 

Pauline Mille