Il paraît que c’est une tendance identitaire. Les Latinos – de plus en plus nombreux aux Etats-Unis et de plus en plus attentifs à la préservation de leur héritage culturel – se tournent vers les pratiques occultes répandues en marge du christianisme dans leurs pays d’origine. Le média Axios a en tout cas constaté une résurgence de cette antique « brujería », la sorcellerie africano-caraïbe considérée comme représentative des « racines » des peuples évangélisés par les Espagnols et souvent métissés avec eux. Cette pratique de la magie traditionnelle, naguère taboue, aurait pour objectif de leur permettre d’exercer le « soin de soi » et de reformer des communautés.
La brujería s’exprime à travers des rituels indigènes, africains ou américains, de « purification spirituelle » appelés limpias ou encore la santería où le culte des morts se teinte d’imagerie, mais non de réalité catholique. Si ces pratiques étaient interdites par la religion catholique à laquelle adhérait l’immense majorité de l’Amérique latine convertie à la suite de la Conquista, elles ont refait surface et sont d’ailleurs largement exploitées sur le plan commercial : de grands éditeurs produisent des livres et des manuels sur le sujet et il est très présent sur les réseaux sociaux.
La brujería des Latinos aux Etats-Unis se drape d’oripeaux modernes
La nouvelle tendance surfe sur la vague du développement personnel. Ainsi, rapporte Axios, le propriétaire d’un magasin de sorcellerie au Texas, auteur de livres sur la brujería, se félicite-t-il de mieux de comprendre et d’avoir levé des « blocages » qui lui « venaient peut-être de ses ancêtres ».
Comme il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil en matière de sorcellerie, il est beaucoup question de magie à l’ancienne, de remèdes traditionnels ou plutôt « décolonisés », de divination, de tarot… Autant de passerelles vers l’occulte, de portes ouvertes aux démons.
Teen Vogue – la version « ados » de la revue de mode, jamais en retard d’une transgression – publiait en octobre 2019 un article très positif sur la sorcellerie « expliquée par de vraies Brujas » (sorcières) et prêchant le syncrétisme autour des dieux des ancêtres, tout comme le rejet du « colonialisme ». Sans réserve et sans recul, la revue destinée aux 13-19 ans prend la brujería au sérieux, en la présentant non comme une pratique « fantastique » mais comme une activité « enveloppée de mystère qui consiste principalement à puiser dans un langage plus profond de l’univers ».
De la sorcellerie à l’idolâtrie
La tendance s’exprime aussi dans d’autres contextes, si possible encore plus inquiétants. The New American rappelle la procédure menée avec succès par des parents contre une école de Californie qui avait introduit dans un module d’études ethniques destiné aux classes de lycée l’apprentissage de chants rituels aztèques. Les élèves devaient notamment taper des mains et chanter en l’honneur du dieu Tezkatlipoka – grand consommateur de sacrifices humains – pour lui demander le « pouvoir d’être des guerriers pour la justice sociale ».
S’y ajoutaient, selon The New American, des rites idolâtriques centrés sur les dieux Quetzalcoatl, Huitzilopochtli et Xipe Totek, à la recherche d’« épistémologies curatives » et d’« un esprit révolutionnaire ». Huitzilopochtli, en particulier, est la divinité aztèque de la guerre et c’est à lui qu’ont été dédiés des centaines de milliers de sacrifices humains au temps des Aztèques. Tout était mis au goût du jour, puisque, les chants prescrits comportaient une demande finale de « libération, de transformation et de décolonisation », après quoi les étudiants crient « Panche beh ! Panche beh ! », ce qui veut dire, semble-t-il : « pense de manière critique ! »
Au nom des ancêtres, on s’autorise ainsi bien des anachronismes, tout étant acceptable pourvu qu’il s’agisse de détrôner le Dieu des colons, le Dieu d’Amour.