Le Chiffre : 10.000

 

On se souvient du cri de joie des Dix mille, les mercenaires grecs conduits par Xénophon, quand ils aperçurent le Pont Euxin du côté de Trébizonde : après des mois de fuite à travers l’Asie mineure, ils arrivaient à la mer, ils n’avaient plus qu’à suivre la côte pendant mille kilomètres pour rentrer chez eux en Egée. Autres temps, autres mœurs, autres dix mille : le Star of the Seas larguera les amarres en août pour les Bahamas en août avec dix mille personnes à bord, 7.600 passagers et un équipage de 2.300 personnes, avec une longueur hors tout de 364 et une charge brute de 249.000 tonnes.

Par comparaison, le France, qui demeura 42 ans le plus grand paquebot du monde mesurait 316 mètres hors-tout, mais pour une jauge de 66.000 tonnes seulement. Cela signifie que le Star of the Seas n’est pas un navire, mais une ville de loisir flottante, massive, avec ses vingt ponts, six piscines, quarante bars et restaurants, son parc aquatique, ses salles de spectacles, son casino, sa patinoire. 34,6 millions de croisiéreux se sont ébaudis sur la mer en 2024 (+ 9 % par rapport à 2023, + 57 % sur 2014).

Le tonnage moyen des « bateaux » a doublé en dix ans (205.000 tonnes en 2024) et l’on prévoit qu’ils iront jusqu’à 350.000 tonnes en 2050. De ce fait les lieux de destination reculent devant l’accueil de tels monstres : Venise les interdit, et Santorin prélève dorénavant 20 euros par tête de pipe pour tout passager descendant à terre.

Mais à la vérité, le touriste n’y tient pas : il aime autant rester à bord, sa curiosité se réduit à ce qu’il y consomme, ce qui fait les affaires des croisiéristes. Une économie en boucle en somme, à laquelle la mer sert de décor et de support technique. Sur des objets too big to sink, en principe, mais qui feraient de merveilleuses cibles en cas de guerre, quelle qu’en soit la nature : la protection de ces monstrueux complexes touristiques ne suppose-t-il pas, à terme, un gouvernement mondial ?