« Soit il y a mobilisation générale, soit il y a mexicanisation de la France » a dit le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau après la fusillade autour d’un restaurant de Poitiers qui a fait un mort dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, à propos de drogue assure-t-on. Il a aussi parlé d’« hyperviolence », de « narco-enclaves » et de « point de bascule », estimant que la puissance publique serait sur le point de succomber devant la force des trafiquants de drogue. Le maire de Poitiers, l’écologiste Léonore Moncond’huy, lui demande de « rectifier » son point de vue : selon elle, l’adolescent tué n’aurait rien à voir avec le trafic de drogue. Pour sa part, elle voit dans la fusillade « un épisode inédit », qui « témoigne d’une évolution assez lourde de la société ». Quant au député local Sacha Houlié, ancien socialiste et macroniste, il juge l’affaire « symptomatique de la gangrène consécutive à l’extension du trafic de stupéfiants ». Quant au préfet, il note la « présence de bandes rivales », des « points de deal », et un quartier « d’ordinaire tranquille » qui « mobilise beaucoup de police ».
En somme, tous ceux qui dirigent, représentent et protègent les habitants de Poitiers participent à une sorte de cérémonie de déni magique : il s’agit de ne pas nommer correctement ce que l’on voit. Soit l’on décrit des faits sans en donner d’explication, soit on impute la chose au seul trafic de drogue.
Ni mexicanisation ni libanisation : invasion et trahison
Or, deux autres faits divers ont marqué ces jours derniers. Le meurtre d’un rugbyman de 20 ans, qui appartenait au même club que Thomas, l’adolescent saigné lors d’un bal à Crépol. Dira-t-on place Beauvau que c’est un « drame du rugby » ? Et deux nuits d’émeutes à Rieux-la-Pape près de Lyon où l’on a notamment incendié des bus et attaqué la police : est-ce « symptomatique du désœuvrement des adolescents » ? Il est urgent de nommer correctement les choses si l’on prétend les combattre. Mexicanisation ne convient pas. Libanisation ? Non plus. Le pays n’est pas divisé officiellement en communautés confessionnelles, et l’Etat et l’armée existent encore. Balkanisation ? Ne convient pas plus. Il faut aller au plus simple. On dira invasion du territoire et impuissance de la puissance publique. Dans la meilleure des hypothèses (faisons confiance, par méthode, à Bruno Retailleau), par faiblesse et incompétence. La plupart du temps, et Macron vient de nous en donner des exemples lors de sa pantalonnade au Maroc, par trahison. Un double fait judiciaire indique la pente profonde de nos élites : un an après la mort de Thomas à Crépol, l’enquête sur ses assaillants n’a pas avancé et son meurtrier court toujours, mais neuf internautes ayant diffusé les noms et adresses de suspects ont été jugés et condamnés, dont certains à de la prison : tel est l’état du droit et de ses agents aujourd’hui en France.