Le Mot : Profond Déclin

Le Mot Profond Déclin
 

C’est le mal qui frappe les jésuites, selon l’un des plus éminents d’entre eux, Julio Fernandez Techera, recteur de l’Université catholique d’Uruguay. A 57 ans, cet intellectuel vient de publier Ad Usum Nostrorum III (à l’usage des nôtres), suite de Ad Usum Nostrorum I et II commencés en 2022, dans lequel il tente de poser un diagnostic sur les maux dont souffre l’ordre fondé par Ignace de Loyola en 1534. L’homme ne se sent nulle envie de le quitter, bien au contraire, mais d’analyser ce qui ne va pas. Le sous-titre de ce troisième volet est « Quelques considérations à propos de De Statu Societatis 2023 », sorte de réponse au rapport où le supérieur général des jésuites, le vénézuélien Arturo Sosa, donnait son opinion sur l’état de l’ordre.

Fernandez Techera revient notamment sur le « Tsunami Rupnik ». On se souvent que le jésuite Marko Rupnik avait été exclu pour avoir commis de graves abus, sexuels, spirituels et psychologiques sur plus de 20 femmes, mais qui continuait à figurer, comme jésuite et comme consultant du Vatican, dans l’annuaire pontifical 2024. Et de rappeler aussi de scandales analogues en Bolivie, au Pérou et en Equateur.

Et ce n’est pas tout : Fernandez rappelle d’autres « questions urgentes. En particulier la chute des entrées dans la Compagnie, qui s’aggrave en Occident d’année en année, concomitante à l’augmentation des départs ». Et de préciser : « Récemment, un ami m’a dit que dans sa provinces 72 novices étaient entrés tandis que le nombre de jésuites quittant la Société était de 71. (…) En 2023, dans toute la Compagnie, il y a eu 314 novices pour 319 décès. » Ce qui ouvre un pronostic terrible : « Dans quelques années les jésuites auront disparu de plusieurs pays d’Europe et ne seront plus qu’une réalité insignifiante dans d’autres, en Europe, Amérique et Océanie. La seule croissance est en Afrique. En 2013, il y avait 17.200 jésuites, il y en a moins de 14.000. »

La raison ? « Nous ne savons pas répondre aux défis d’aujourd’hui avec la vigueur et la créativité d’hier. » Il ajoute sans langue de bois que le rapport de la Compagnie de Jésus « pourrait très bien être le point de vue sur le monde d’une société de pensée laïque ayant des liens avec un parti politique de gauche ou une ONG progressiste. (…) On n’y trouve nulle vue surnaturelle ou transcendante qu’on est en droit d’attendre d’un ordre religieux et apostolique de prêtres ».

Appuyant sur la dérive laïque vers une simple ONG, il ajoute que la Compagnie est « en déclin profond. Elle ne le sait pas, ou ne veut pas le savoir, ce qui est la même chose ». Selon lui, la hiérarchie « craint de parler clairement » et préfère « maintenir la fiction que tout va bien ». En particulier, sur le rapport général de 2023, « sur plus de 24.000 mots, le mot prêtre n’apparaît jamais et le mot prêtrise deux fois seulement ». Il estime que cette « attitude est suicidaire ».

Le pape François, qui ne lésine pas sur la procédure des visites contre certains évêques, serait bien inspiré d’en adresser une aux dirigeants de la Compagnie de Jésus. Feu le cardinal George Pell préconisait une visite apostolique en 2022. La dernière fois qu’il y en eut une chez les jésuites, c’était au début des années 1980 quand Jean-Paul II entreprit de lutter contre la désastreuse « théologie de la libération ». Elle se termina par la déposition du supérieur général d’alors, le marxiste Pedro Arrupe. Sa cause de béatification a été ouverte à Rome en 2019…