Léon XIV s’exprime sur des sujets brûlants : mariage, rôle des femmes, IA, messe tridentine…

Léon mariage femmes IA
 

Dans les deux premiers entretiens officiels accordés par le pape Léon XIV, donnés à Elise Ann Allen, vaticaniste pour le média américain Crux, en vue de la rédaction de la biographie qu’elle lui consacre, le Saint-Père a mis en évidence une certaine volonté de rassurer les fidèles catholiques attachés à la doctrine pérenne de l’Eglise. Il a notamment abordé la question de l’ordination diaconale des femmes ou celle de l’accueil des LGBT dans l’Eglise, insistant sur le maintien de la doctrine traditionnelle de l’Eglise en ces matières.

Paru ce jeudi en espagnol au Pérou sous le titre Léon XIV, citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle, la journaliste y souligne combien Léon XIV est indépendant, impossible à récupérer à droite ou à gauche. Répondant aux questions du quotidien espagnol El Diario, elle explique que le pape s’est exprimé sur de multiples sujets, tels la « synodalité », qu’il considère comme une manière de vivre la foi non seulement de manière personnelle, mais communautaire, chacun ayant sa place et sa responsabilité en fonction de son état de vie, et étant prêt à entendre les autres.

 

Une biographie où Léon XIV parle de lui-même

Il s’agit d’un livre très complet, très fouillé, mais aussi très bienveillant sur la vie et les diverses responsabilités exercées par le pape alors qu’il était encore Robert Prevost : on découvre un homme discret, mû avant tout par sa foi en Jésus-Christ et son désir de paix et de réconciliation, très touché par la souffrance, voire la misère de ceux dont il a eu la charge – y compris les victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise mais aussi des clercs injustement accusés, dont il évalue la proportion à « 10 % ». Très soucieux, aussi, de ne pas heurter, et de ne pas prendre en paroles le contre-pied de son prédécesseur François : voilà en tout cas la trame que l’on devine dans la manière dont en parle la journaliste…

Comme il l’a signalé en expliquant le choix de son nom, Léon XIV se dit préoccupé par la question de l’intelligence artificielle. Répondant à l’une des interviews d’Elizabeth Ann Allen il prévoit la « crise » de l’emploi qu’entraînera l’IA : « Si nous automatisons le monde entier et que seules quelques personnes ont les moyens non seulement de survivre, mais aussi de bien vivre, d’avoir une vie qui a du sens, il y a un gros problème », dit-il [NDLR : pour cette brève citation comme les suivantes, les traductions sont les nôtres]. Un problème dont il explique plus loin qu’il touche à la dignité humaine et à la capacité de relation entre les hommes, et entre les hommes et Dieu, sans compter les faux qui se répandent par le biais de l’IA. A lire !

De manière intéressante, il évoque la France, « longtemps considérée comme l’un des pays les plus sécularisés qui soient ». Il rappelle la vague de baptêmes de jeunes adultes l’an dernier : « Ils veulent venir à l’Eglise parce qu’ils ont réalisé que leur vie est vide, qu’il leur manque quelque chose, qu’elle n’a pas de sens, et ils redécouvrent ce que l’Eglise a à offrir. »

 

Femmes diacres et mariage gay : c’est « non »

Plusieurs thèmes plus polémiques ont été abordés par la journaliste, et Léon XIV répond prudemment. Sur les « femmes diacres » notamment, soulignant qu’il y a déjà peu de diacres permanents hommes, il rappelle les nombreuses études à ce sujet et déclare : « Je pense que cela restera un problème. Pour l’instant, je n’ai pas l’intention de changer l’enseignement de l’Eglise sur ce sujet. Je pense qu’il y a certaines questions préalables qui doivent être posées. »

On s’interroge devant l’idée qu’un pape puisse « changer l’enseignement de l’Eglise » comme il semble en évoquer la possibilité… Mais en tout cas, s’il n’est pas contre des rôles de responsabilité des femmes dans l’Eglise, il n’est nulle part question d’ordination dans le cadre sacerdotal ou de rôle clérical.

De même, sur la question des « LGBT » posée par la journaliste, Léon XIV commence par reprendre l’idée que « le monde occidental est obsédé par la sexualité ». « Pour certaines personnes, l’identité d’une personne se résume à son identité sexuelle, mais pour beaucoup d’autres, dans d’autres parties du monde, ce n’est pas une question primordiale dans la manière dont nous devons nous traiter les uns les autres », commente-t-il, ajoutant : « Tout le monde est invité à entrer, mais je n’invite pas une personne parce qu’elle a ou n’a pas une identité spécifique. J’invite une personne parce qu’elle est un fils ou une fille de Dieu… Il me semble très improbable, du moins dans un avenir proche, que la doctrine de l’Eglise change en ce qui concerne son enseignement sur la sexualité et le mariage. »

 

Léon XIV rappelle la doctrine du mariage et donne une interprétation bienveillante de Fiducia supplicans

Cela dit, il rappelle aussitôt après que « la famille, c’est un homme et une femme engagés dans une union solennelle, bénis dans le sacrement du mariage ». Et de déplorer qu’« en Europe du Nord, on publie déjà des rituels pour bénir “les personnes qui s’aiment”, (…) ce qui va spécifiquement à l’encontre du document approuvé par le pape François, Fiducia Supplicans ». Voilà qui est d’une grande indulgence pour ce document qui est loin d’être aussi clair…

Quant à Léon XIV, il dit les choses plus nettement : « Les individus seront acceptés et accueillis. Tout prêtre aura entendu les confessions de toutes sortes de personnes, avec toutes sortes de problèmes, toutes sortes de situations de vie et de choix qui ont été faits. L’enseignement de l’Eglise restera tel quel, et c’est tout ce que j’ai à dire à ce sujet pour l’instant. »

Au sujet du rite tridentin, le pape parle de ceux qui « utilisent la liturgie comme une excuse pour promouvoir d’autres thèmes », en convertissant la question en « instrument politique », et déplore la « polarisation » qui a eu lieu. Tout au moins annonce-t-il : « Je n’ai pas eu l’occasion de m’asseoir réellement avec un groupe de personnes qui plaident pour le rite tridentin. Bientôt une occasion se présentera, et je suis sûr qu’il y aura des occasions pour traiter de cela. » Et de souligner qu’il va falloir « se parler » et « s’écouter mutuellement ».

D’après les propos de Léon XIV recueillis dans ce livre, il est manifeste qu’il n’entend pas utiliser le format de l’entretien médiatique pour agir et pour gouverner ; l’expression est prudente et le ton vise à éviter les affirmations frontales.

C’est déjà un gros changement.

 

Jeanne Smits