Depuis la présidentielle de 2017 et Macron, la France politicienne joue à se faire peur des années 30 pour écarter le « danger de l’extrême droite » que ramène inlassablement le vote populaire. Pour ces législatives, la gauche a poussé l’identification jusqu’à nommer Nouveau Front Populaire sa coalition électorale, par référence explicite à 1936. Et aujourd’hui, après la lettre qu’Emmanuel Macron vient d’adresser à la France rappelant qu’aucun des blocs d’élus à l’Assemblée nationale n’atteignait la majorité, les ténors du NFP, qui hier se déchiraient sur le choix d’un premier ministrable, crient, ensemble sinon en chœur, au déni de démocratie. Mais la réalité est tout autre : si déni de démocratie il y a, il est général. Et la France d’aujourd’hui, tout comme les résultats des derniers scrutins, n’a rien à voir avec celle de 1936, elle en est aux antipodes, le NFP étant lui-même aux antipodes du Front Populaire.
La France de 1936 aux antipodes de celle d’aujourd’hui
Les élections législatives de 1936 eurent lieu dans une France marquée par un régime parlementaire que la faiblesse de l’exécutif et la trop grande force du législatif rendaient instables. En outre, après la parenthèse de la chambre bleu horizon juste après la Grande Guerre, elle avait été gouvernée par des coalitions où le centre gauche se taillait la part du lion. Confrontée à la dette issue de la guerre, elle n’avait su ni mener une politique fiscale juste et efficace, ni une vraie relance de l’économie, s’en remettant à l’emprunt pour finir, en 1928, par une dévaluation qui n’avait rien résolu, mais ruiné l’épargne des petits rentiers, sans permettre ni aux agriculteurs ni aux ouvriers de s’y retrouver. La période est marquée par la grande crise qui suit le krach de Wall Street en 1929, et la montée des prétentions allemandes que l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933 accélère. Après la déflation menée par Laval en 1935, qui rétablit les comptes mais accentue le chômage et le mécontentement des fonctionnaires, des élections législatives générales sont organisées au printemps 1936.
1936 : forte poussée de la gauche dès le premier tour
Le premier tour est marqué par une poussée à gauche, que le second accentue considérablement, de sorte que Léon Blum, qui préside la Section Française de l’Internationale socialiste, principal parti socialiste en lice s’écrie : « Ce n’est pas assez de dire que le second tour achève la victoire. Il lui donne des proportions et une signification que personne n’osait presque espérer. Le triomphe du Front Populaire est écrasant. (…) C’est un gouvernement de Front Populaire qui doit se présenter devant la chambre. » Et de fait, le président de la République Albert Lebrun l’appelle pour former le cabinet. Blum exagérait à peine. Au deuxième tour la coalition du Front populaire obtenait 57,78 % des voix et 386 sièges contre 41,69 % des voix et 224 sièges pour la droite parlementaire, l’extrême droite étant inexistante. Dans le détail, par rapport aux législatives de 1932, la SFIO était passée de 96 sièges à 149, devenant le groupe le plus nombreux de la chambre, alors que les radicaux, eux, perdaient 47 sièges. Rien à voir avec aujourd’hui : la France insoumise avait 75 députés en 2022, elle en a officiellement aujourd’hui 71. Le PS avait 31 députés, il en revendique 69. Les écolos 23, ils en ont 34. La gauche démocrate et républicaine passe de 22 à 17.
En 1936, le PC attirait le peuple, comme aujourd’hui le RN
Il n’y a donc aucune poussée de la gauche, seulement un regain du PS, qui était en chute libre en 2022. Mais le cas le plus significatif est celui du PC. En 2022, il avait obtenu 12 élus, ce qui lui avait permis de constituer un groupe hybride (gauche démocrate et républicaine) avec une dizaine d’opportunistes. Cette année, il passe à 9, perdant ses chefs (Deffontaine et Roussel) et ses bastions, continuant son déclin, aux antipodes du fait politique majeur de 1936, l’émergence du PC, force de premier plan, passant de 10 députés en 1932 à 75 en 1936 ! Et cela grâce à l’électorat populaire, aujourd’hui passé au RN. Le PC tenait d’ailleurs à l’époque un rôle analogue à celui du RN : il recueillait la colère engendrée par les échecs cumulés des coalitions au pouvoir depuis la guerre. Il était d’ailleurs diabolisé dans les milieux modérés, à la manière du RN d’aujourd’hui, ce qui a contribué à son succès en 1936, mais aussi au fait qu’il soutint le gouvernement de Léon Blum sans participation (l’autre raison de cette distance étant les mots d’ordre venus de Moscou).
La lettre de Macron constate une évidence qui gêne la gauche
On voit que la situation électorale de 1936 était aux antipodes de celle d’aujourd’hui. Quand Emmanuel Macron écrit dans sa lettre aux Français « que personne ne l’a emporté » aux dernières législatives, il ne fait que constater un fait mesurable. Quand Jean-Luc Mélenchon écrit que Macron « refuse de reconnaître le résultat des urnes », qu’il doit « s’incliner » et « appeler » le NFP à Matignon, quand il parle de « veto royal sur le suffrage universel », il est ridicule. Quand Manon Aubry dit qu’il « persiste dans le déni » et commet « un coup de force démocratique », elle rêve. Quand Marine Tondelier ajoute, grandiloquente, « son déni abîme le pays et la démocratie », elle ferait mieux de se taire. Inutile de citer toutes les réactions qui vont dans le même sens. Elles oublient deux choses. La première est la Constitution, qui laisse une grande latitude au président de la République pour nommer son Premier ministre, d’une part. Et de l’autre, la réalité des élections, qui devrait les inciter à plus de modestie, après un retour sur eux-mêmes.
Macron et Mélenchon étouffent à la lettre le vote de la France
Les écologistes, en particulier, étaient à 5,5 % des votants le soir des Européennes, frôlant l’élimination. La gauche, le même soir, représentait 30 % des exprimés. Si tout ce beau monde peut aujourd’hui donner des cours de morale politique, c’est, d’abord, parce que le président de la République a dissous l’Assemblée nationale et provoqué de nouvelles élections. Et c’est ensuite parce que, avec tout son poids et celui de l’audiovisuel d’Etat, il a donné de la force au Nouveau Front Populaire appelant à faire barrage au Rassemblement National. Si Emmanuel Macron n’avait pas fait planer la menace d’une majorité absolue du Rassemblement national, jamais le ventre mou de la France n’aurait voté NFP. En somme, si l’artifice mis en place par le système pour faire barrage au vote populaire n’avait pas fonctionné, la gauche n’aurait pas sauvé ses fesses. Elle est aujourd’hui l’élue d’un déni de démocratie, comme l’est aussi le bloc central qu’elle a contribué fortement à faire élire : l’alliance Mélenchon Macron et alii n’est qu’un vaste déni de démocratie dont les bénéficiaires s’invectivent aujourd’hui.
Le NFP dans le cirque Macron, aux antipodes du Front Populaire
Le mot « cirque » employé par Marine Le Pen pour désigner ces jeux n’est pas mal venu. 88 ans après 1936, la gauche se prévaut toujours du Front Populaire en rappelant ce qu’elle appelle ses « conquêtes sociales ». Il y aurait bien des choses à dire à ce propos, et notamment que le Front Popu eut sa part de responsabilité dans la Seconde Guerre mondiale et dans la façon dont elle a tourné. Mais du moins procéda-t-il d’une véritable poussée populaire, ce qui n’est pas le cas du tout le cas d’un deuxième tour qui a permis au contraire d’étouffer celle-ci. Et puis, nous sommes aux antipodes de 36 à cause de la rue. A l’époque, ce n’était pas le président, mais le parlement, qui faisait l’objet de mépris et d’agacement. Droite, gauche et extrême gauche descendaient dans la rue pour le conspuer, organisées de façon paramilitaire. Aujourd’hui, seule la gauche occupe la rue, avec ses manifestants, ses casseurs et ses émeutiers de banlieue. Et surtout, plus personne à droite ne songe à faire tomber le régime par la force. Sauf peut-être Adrien Quattenens qui vient d’appeler à un « grand rassemblement populaire » contre Matignon. Histoire de forcer Emmanuel Macron à s’incliner ?