C’est bien mal connaître la vie et l’œuvre de saint Jean-Paul II que d’imaginer qu’il ait pu avoir, en tant que cardinal et pape, une « petite amie ». C’est pourtant ce qu’insinuent les médias du monde entier depuis la « découverte » de lettres « secrètes » de Karol Wojtyla à une philosophe américaine d’origine polonaise, Anna Teresa Tymieniecka, rendues publiques par la chaîne de télévision britannique BBC. Les titres français des articles relatifs à cette correspondance sont révélateurs : « Le courrier du cœur du pape Jean-Paul II », écrit Le Monde. « Une femme dans sa vie », titre Gala. La Dépêche parle de « l’amitié intense de Jean-Paul II avec une femme » tandis que 20 Minutes parle sans réserves des « amours du futur Jean-Paul II ». France Info parle d’une « troublante liaison » ; Afrique Education évoque carrément des « relations occultes avec une vieille amie polonaise ».
Les uns et les autres s’accordent à dire que si la « relation » a duré plus de 30 ans, « rien ne prouve que l’ancien pape a brisé son vœu de chasteté ». Double faute. D’une part, les prêtres séculiers de l’Eglise catholique de rite latin ne font pas vœu de chasteté – celui-ci étant le propre des religieux – mais s’engagent au célibat, et ils sont tenus comme tout chrétien de pratiquer la vertu de chasteté. D’autre part, la formulation sous-entend nettement que la liaison ait pu être amoureuse. D’aucuns se demandent si la relation et ses « ambiguïtés », comme l’écrit Le Monde, ont été prises en compte au cours du procès de béatification et de canonisation de Jean-Paul II, mort en 2005 et béatifié en 2011.
Jean-Paul II et Anna Teresa Tymienecka : une liaison inventée par les médias
Les quelque 350 lettres en question ont été confiées à la Bibliothèque nationale de Pologne en 2008 par Anna Teresa Tymieniecka. C’est leur exploitation par l’émission Panorama de la BBC, diffusée lundi soir, qui a créé l’événement.
La Bibliothèque nationale de Pologne s’est empressée de désamorcer l’affaire en assurant qu’il n’y a, en réalité, rien de nouveau. « La relation en question est largement connue et décrite dans de nombreuses publications. Jean-Paul II était entouré d’un cercle d’amis ecclésiastiques, religieux et laïcs, avec lesquels il entretenait un contact étroit. Ce cercle comprenait aussi Anna Teresa Tymienecka, mais la relation avec elle n’était ni confidentielle ni exceptionnelle », a-t-elle fait savoir dans un communiqué.
« Les thèses formulées par des médias ne trouvent aucune confirmation dans le contenu des lettres de Jean Paul II à Anna Teresa Tymieniecka qui font partie des collections de la bibliothèque nationale », précise le texte. On s’en doutait un peu…
Les relations entre la philosophe et le prélat allaient-elles au-delà de la simple amitié intellectuelle ? Alors que Jean-Paul II a entretenu des amitiés et des correspondances semblables avec d’autres personnes – et notamment avec la pyschologue Wanda Poltawska – les médias aimeraient « découvrir » ici une liaison amoureuse, fût-elle platonique, dont la saveur serait rehaussée par le fait que Mme Tymienecka était mariée et mère de famille. C’est d’autant plus facile à insinuer qu’elle est morte en 2014 – et que les lettres de sa main envoyées à Karol Wojtyla, puis à Jean-Paul II n’ont jamais été rendues publiques. Elles sont également conservées par la Bibliothèque nationale de Pologne, assure Edward Stourton de la BBC.
Jean-Paul II écrivait de nombreuses lettres à un large groupe d’amis et d’amies
C’est en 1973, alors qu’elle est depuis longtemps établie aux Etats-Unis avec sa famille, qu’Anna Teresa Tymienecka écrit à celui qui est déjà cardinal de Cracovie, pour le féliciter pour l’un de ses ouvrages, Personne et Acte. Ce sera le début de nombreux échanges, et notamment d’une collaboration qui a pour objectif la publication de cet ouvrage en anglais.
La Pologne est alors encore sous la botte communiste et le cardinal se méfie de tout, tant il est surveillé dans ses moindres faits et gestes. La police secrète voulait tout savoir : le contenu de sa correspondance et jusqu’à la marque de son dentifrice. Nombre des lettres envoyées par Karol Wojtyla seront expédiées depuis Rome, où il prend soin de répondre à certaines missives d’Anna Teresa Tymienecka.
Edward Stourton, qui a lu une traduction de toutes les lettres en vue de préparer l’émission Panorama, voit derrière ce que le cardinal appelle leur « code » philosophique la preuve d’un attachement profond, ce qui n’est pas en soi surprenant, mais surtout d’un sentiment amoureux de la part de la Polonaise. Elle lui en aurait fait part vers 1974, et la réponse serait venue par lettre : « Un jour – je me rappelle exactement où et quand – j’ai entendu ces mots : “Je vous appartiens”, et pour moi, le premier, j’y ai entendu résonner le don d’une personne. J’avais peur de ce don, mais je savais depuis le début, et je le sais de mieux en mieux aujourd’hui, que je dois accepter ce don comme un don du ciel.” »
Les médias inventent un parfum de scandale autour de Jean-Paul II
D’après le journaliste, la nouveauté de Jean-Paul II aura été non pas de rompre son engagement au célibat (« Tout dans les lettres dit le contraire ») mais le fait de ne pas éloigner cette femme qui a peut-être manifesté à son égard un sentiment dépassant l’admiration ou la complicité intellectuelles. « Cela fait partie de la spiritualité de Wojtyla, ce sens immense de la Providence, de la destinée, de l’implication de Dieu dans chaque aspect de sa vie », remarque Eamon Duffy, professeur émérite d’histoire du christianisme à Cambridge.
Pour ceux qui ne comprendraient pas cela, il suffit de voir sous quel signe Karol Wojtyla a placé ses échanges avec Anna Teresa Tymienecka : il lui a fait cadeau d’un scapulaire, et pas n’importe lequel – celui qui lui avait été donné par son propre père, mort lorsqu’il avait à peine vingt ans.
Leur amitié a certainement été d’ordre spirituel, sous le signe d’une foi partagée et de soucis et de souvenirs communs d’une patrie bien-aimée. Elle a été marquée de hauts et de bas – ces derniers consécutifs à la décision du Vatican de ne pas faire paraître le nom de Mme Tymienecka sur l’édition de Personne et Acte parue lors de l’élévation de Jean-Paul II à la chaire de Pierre. La philosophe s’est plainte auprès d’un biographe de ce qu’elle a vécu comme une « trahison » de son ami, Jean-Paul II n’ayant pas insisté pour que son rôle à elle soit reconnu.
L’attentat contre le pape allait effacer cette « injustice » (réelle ou supposée) et Anna Teresa Tymienecka serait l’une des seules personnes autorisées à se rendre auprès du Saint-Père à la clinique Gemelli : « Je suis submergée par la tristesse et l’anxiété, et je voudrais désespérément être près de vous », lui disait-elle par télégramme avant d’arriver à Rome. C’est touchant, mais certainement pas une preuve de l’existence d’une sorte de « couple » que la presse de gauche voudrait y voir.
Et ce d’autant plus que la moralité catholique du mariage et la discipline du célibat sacerdotal sont aujourd’hui la cible à abattre…
Jean-Paul II a écrit des pages magnifiques sur la sublimation de l’attraction physique entre les sexes, purifiée par la chasteté et la maîtrise de soi, jusqu’à faire disparaître la concupiscence et permettre une amitié entière et sans arrière-pensées. Des pages très fortes qui laissent deviner un cheminement personnel…