« Le Livre des Baltimore », Joël Dicker

Livre des Baltimore Joël Dicker
 
Joël Dicker, c’est cet écrivain suisse de trente ans qui remporta, il y a trois ans, le Grand Prix du Roman de l’Académie française et le prix Goncourt des lycéens, grâce à son pavé de 600 pages, La Vérité sur l’Affaire Harry Québert. 3 millions d’exemplaires, selon les derniers chiffres communiqués par son éditeur parisien Bernard de Fallois… le succès fut au rendez-vous. Il a même été en lice jusqu’au dernier tour pour le Prix Goncourt. Pour un deuxième roman, ce n’est pas si mal… Fallait-il dès lors se méfier ?! Les honneurs de l’édition ou les chiffres de vente ne présagent pas toujours du meilleur… Mais l’essai était réussi, hormis quelques longueurs, et la veine policière s’y trouvait bellement célébrée. Avec Le Livre des Baltimore, nous retrouvons le même personnage central, le même style, la même construction dans l’intrigue.
 
Il sort le 30 septembre en librairie et beaucoup l’attendent.
 

Le Livre des Baltimore : un drame psychologique ?

 
Marcus Goldman, jeune et célèbre auteur américain, le fidèle protagoniste de La Vérité sur l’Affaire Harry Québert, se réfugie dans sa maison secondaire, en Floride, pour y noircir des pages – toujours ce thème de la recherche d’un sujet. C’est bientôt le passé qui l’y rattrape, inattendu, et finit par lui donner matière à écrire.
 
Joël Dicker ne voulait déjà pas qu’on traite de « polar » son précédent roman. Pour Le Livre des Baltimore, il refuse même la case « intrigue policière ». Pourtant le roman, dans sa composition, flirte bien avec elle : c’est la raison pour laquelle on a du mal à le lâcher. Dès les premières pages, on apprend, sans rien en deviner, l’existence d’un « Drame », cet événement à la majuscule inquiétante et en même temps parfaitement fascinante. Mené par le bout du nez, on boit la coupe des Baltimore jusqu’à la lie, sans faire une grimace.
 
Trois temps de narration différents, qui finissent par fusionner : Joël Dicker est familier de cette méthode d’imbrication qui génère son propre suspens. Des nœuds, d’abord invisibles, apparaissent peu à peu dans l’histoire qui se complique pour le lecteur qui voudra décidément y voir plus clair.
 

L’histoire du clan Goldman

 
C’est l’histoire d’une famille américaine, les Goldman. Ou plutôt de deux familles, car il y a les « Goldman-de-Baltimore » et les « Goldman-de-Montclair » : ceux qui vivent dans les quartiers huppés et ceux qui se contentent d’une maisonnette, ceux à qui la vie a souri, qui semblent « insubmersibles », et les autres… Du moins c’est ce que croyait Marcus, le narrateur-écrivain.
 
On plonge dans l’enfance des trois cousins Goldman, dont faisait partie le jeune Marcus. Les années se succèdent, rythmées par ces jours de fête que l’on croit, enfant, indétrônables et ces réunions de famille sacrées. Le Gang des garçons Goldman semble une « triade indéfectible ». Marcus navigue de concert, émerveillé, pas encore réveillé. Jusqu’au jour où…
 

Les Baltimore : la famille qui vous faisait « sentir supérieur »

 
Joël Dicker dessine à grands traits cet idéalisme de la jeunesse qui voit toujours l’herbe plus verte ailleurs et se crée, fascinée par l’argent et les honneurs, de mythiques figures, faux anges tutélaires qui déchoient au fur et à mesure des années…
 
Mais surtout, nœud gordien du roman, c’est la jalousie qu’il dessine. Celle des enfants, naturelle – l’homme ne naît pas « bon » – mais surtout celle qui reste chevillée au cœur de certains adultes, quand les années de maturation ne leur ont pas appris à la dominer. Cette jalousie, menée jusqu’à son terme, finit bien souvent dans le drame – et ne paye jamais. L’auteur remarquait dans un entretien : « Tout l’intérêt réside dans les sentiments qui sont une source de violence bien plus grande que les coups. »
 
Par-delà, c’est une critique latente de notre société, de ce culte de la réussite qui partout prévaut. Réussite matérielle, intellectuelle… Que reste-t-il de nos amours, disait la chanson … ? Le lecteur, en symbiose avec le narrateur, décèle une leçon.
 

Joël Dicker : « Grâce aux livres (…) tout est réparé. »

 
Comme dans La Vérité, Joël Dicker réfléchit aussi sur l’écrivain et l’écriture. C’est bien lui qui parle – avec un sourire certain – dans cette première page du roman qui semble flotter au-dessus sans trop lui appartenir :
 
« Écrire un livre, c’est comme ouvrir une colonie de vacances. Votre vie, d’ordinaire solitaire et tranquille, est soudain chahutée par une multitude de personnages qui arrivent un jour sans crier gare et viennent chambouler votre existence. Ils arrivent un matin, à bord d’un grand bus dont ils descendent bruyamment, tout excités qu’ils sont du rôle qu’ils ont obtenu. Et vous devez faire avec, vous devez vous en occuper, vous devez les nourrir, vous devez les loger. Vous êtes responsable de tout. Parce que vous, vous êtes l’écrivain. »
 
Mais écrire – et là, c’est le narrateur Marcus qui parle – c’est aussi une catharsis. Il le dit à deux reprises : « Grâce aux livres, (…) Tout est effacé. / Tout est oublié. / Tout est pardonné. / Tout est réparé. » Pas un pied-de-nez facétieux à la vie réelle, mais une sorte de dû à certains vécus, à certain Drame. Nous restons là, dans le roman…
 
Au final, on lit vite, très vite cet opus au talent certain, passant parfois plus rapidement sur un ou deux passages qui sacrifient à un vulgaire comique qui n’était pas vraiment indispensable. Il en est qui reprocheraient à l’histoire de trop l’emporter sur le style ; ce qui, parfois, est vrai – les dialogues amoureux, d’une simplicité désarmante, ont essuyé quelques critiques. Mais était-ce l’objectif de l’auteur ? C’est bien parce que le récit et sa composition-imbrication priment, que le roman fonctionne à ce point.
 

Clémentine Jallais

 
Le Livre des Baltimore, Joël Dicker ; éditions de Fallois, 450 pages