Loi Claeys-Leonetti : de la sédation profonde à la mort à la demande. Pire que l’euthanasie ?

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Sédation profonde, antichambre de la mort ?

 
Avec la loi Claeys-Leonetti, François Hollande et son équipe ont réussi ce qui ressemble fort à un coup de maître : en faisant jouer la corde sensible de la compassion, en rejetant l’euthanasie par piqûre mortelle tout comme le suicide assisté, ils ont réussi à imposer une autre manière de satisfaire la demande de mort de patients las de vivre. La sédation profonde et continue devient un droit dans des circonstances plus larges qu’on ne se l’imagine au vu des débats. En créant une zone grise entre les soins palliatifs et l’euthanasie, où des personnes qui ne sont pas sur le point de mourir peuvent entrer par effraction, c’est un véritable « droit à mourir » qui a été créé, contre lequel les médecins ne pourront pas grand chose.
 
Il faut d’abord se pencher sur une bizarrerie. Cela fait plusieurs années que les sondages commandés par des associations favorables à l’euthanasie font état d’un soutien large, presque unanime à l’euthanasie. A les en croire, la majorité qui se dessine aujourd’hui autour de ce projet « sociétal » serait écrasante. Ces dernières années, selon les instituts, on a évoqué une opinion favorable à sa légalisation qui friserait l’unanimité : 89, 90, voire 96 % – ce dernier chiffre était celui donné par l’IFOP en octobre 2014.
 

La sédation profonde peut constituer une euthanasie lente

 
La question s’impose d’elle-même : alors que tout le monde semble d’accord – François Hollande par son engagement de campagne « 21 », les électeurs, le lobby du « droit de mourir dans la dignité » – et que des pays proches et progressistes comme la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas ont déjà, chacun à sa manière, admis le principe de la « mort choisie », qu’est-ce qui a donc pu freiner le législateur français ?
 
Plusieurs réponses sont possibles, et elles peuvent être vraies ensemble – et peut-être y a-t-il à cette timidité des raisons que nous ne saurons jamais.
 
Pour commencer, c’est une manière de reconnaître que les sondeurs ne disent pas la vérité. Si tout le monde était réellement d’accord, pourquoi François Hollande et son équipe auraient-ils hésité ? Les sondages ont ceci d’« utile » qu’ils permettent de faire croire qu’une révolution dans les mœurs rencontre l’adhésion de tous… pour faire croître cette adhésion encore incertaine. Dans le cas de l’euthanasie, la manière de poser les questions joue aussi : celui à qui l’on demande s’il veut souffrir abominablement ou non à la fin de sa vie a évidemment tendance à répondre « non ».
 

La loi Claeys-Leonetti n’a pas profité du soi-disant « consensus » sur la fin de vie

 
S’ils n’ont pas poussé leur avantage, c’est sans doute que le consensus est moins grand qu’on ne le dit ; qu’il existe encore une majorité d’élus qui s’élèveraient contre le droit de mettre à mort un patient qui souffre… Peut-être aussi la majorité du corps médical, conservant quelques souvenirs d’une éthique déjà bien malmenée, est-il par trop rétif à l’idée d’avoir à provoquer la mort de manière trop directe
 
Mais il y a un autre élément qu’il faut tenir à l’esprit. La loi Claeys-Leonetti est un modèle de manipulation. Préparée par un homme de « droite » et un homme de gauche, elle est – forcément, n’est-ce pas ? – une loi de consensus qui n’aura été contestée qu’à la marge. Elle est donc éminemment acceptable ; modérée… Elle a évité de lancer de grands débats sur les dérives de l’euthanasie en Belgique ou aux Pays-Bas. Ces dérives sont si visibles qu’elles risquaient de polluer le débat…
 
Moyennant quoi c’est quelque chose de plus radical, de plus extrême qui a été mis en place sous couleur de modération. Premier point : la loi crée un nouveau droit dont chacun peut se prévaloir, fût-ce contre la volonté du médecin (à quelques petites exceptions près). « Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », affirme la loi. Celle-ci ne définit pas ce qui est « digne » ou non ; de la suite on peut déduire qu’il s’agit de s’épargner « toute souffrance » et même de ne pas se sentir mourir.
 

Mort à la demande : la loi Claeys-Leonetti la rend possible

 
En proscrivant l’« obstination déraisonnable », la loi Claeys-Leonetti ouvre une autre porte à l’organisation de la mort par la médecine, puisqu’elle est caractérisée par une description large : ce sont les actes qui « apparaissent inutiles, disproportionnés ou (qui) n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
 
On se souviendra que la vie de Vincent Lambert que l’on veut faire mourir en le privant d’hydratation est réputée « artificielle » : en ce sens la loi Claeys-Leonetti n’est qu’une aggravation et une précision de la loi Leonetti de 2005 qui autorisait déjà cette forme d’euthanasie lente.
 
Mais se profile également la traque de la vie « inutile » à travers la notion d’actes médicaux « inutiles » – ce que les bioéthiciens qualifient de « soins futiles ». Là encore, il y a un problème de définition : il est vrai que des actes médicaux peuvent être « inutiles » eu égard au fait qu’ils n’apporteront ni amélioration, ni soulagement en prolongeant un état d’agonie par exemple. Mais l’« inutile » peut désigner aussi le soin prodigué à un tétraplégique qui sans être malade, n’a pas de perspective d’amélioration. La loi Claeys-Leonetti lui sera applicable et il pourra prétendre à une sédation continue et profonde jusqu’à la mort.
 
La loi précise au demeurant – puisque cela avait fait débat dans l’affaire Vincent Lambert – que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article ».
 

Droit à la mort : la sédation profonde et continue est ambiguë

 
La loi ouvre en fait un large droit à la mort choisie puisque la sédation continue et profonde peut être exigée par le patient dans deux cas de figure. D’abord : « Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » : dans ce cas, la sédation profonde peut avoir pour intention de soulager une souffrance intense à l’heure de la mort, et elle n’est pas euthanasique. Mais reste l’ambiguïté : la sédation profonde, tout retour à la conscience étant d’emblée exclue, combinée avec l’arrêt de l’hydratation, provoque nécessairement la mort. Entre tuer et laisser mourir, on est en train de brouiller les frontières.
 
Deuxième cas de figure : « Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable. » Cela signifie que le patient peut choisir d’arrêter de se faire soigner même s’il n’est pas du tout en phase terminale d’une maladie – d’ailleurs une « affection » n’est pas forcément une maladie – et que c’est précisément l’arrêt d’un traitement qui va le faire souffrir. Ici l’intention euthanasique est beaucoup plus évidente.
 
Mais là aussi il y a « zone grise » : entre le handicapé en bonne santé qui veut qu’on arrête de l’hydrater, le cancéreux qui ne supporte plus une chimiothérapie aux effets secondaires terribles, le dialysé qui en a assez de ses transfusions… il y a une multitude de possibilités. Le patient peut refuser de se soigner, c’est une liberté. Mais cette liberté s’impose désormais aux médecins qui se voient contraints de coopérer au désir de mort : « Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. »
 

Une loi d’euthanasie qui ne veut pas dire son nom

 
Cela est finalement plus extrême que ce qui est demandé aux médecins belges ou néerlandais, qui ont (encore) le droit d’évaluer la demande du patient au regard de la loi et qui peuvent refuser d’y satisfaire.
 
Les mêmes médecins se voient largement contraints par les directives anticipées des patients qui ne sont plus en état d’exprimer leur volonté, et ils ne peuvent s’y soustraire qu’en des cas limités et par le biais d’une « procédure collégiale ». En l’absence des directives anticipées ou de la désignation par le patient d’une personne de confiance, ses proches sont « consultés » pour connaître la volonté que le patient a pu exprimer. Avec quel niveau de preuve ou de sérieux ? La loi ne le dit pas.
 
La sédation « profonde et continue » de la loi Claeys-Leonetti suppose une « altération de la conscience jusqu’au décès ». En donnant à chacun le « droit » de réclamer la mise en place d’une procédure de fin de vie, la loi finit par voler la mort. Par l’anesthésie de la conscience…
 

Anne Dolhein