Quelque 150 élus pour voter sur la grande entrée de l’euthanasie dans le droit français : l’affaire a été expédiée en deux jours et donnera lieu, tout au plus, à un vote plus solennel mardi prochain. La loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie n’a pas mobilisé les foules : mise à part la Marche pour la vie en janvier et quelques manifestations ponctuelles, l’image est parfaitement consensuelle. C’était le but. Comme la loi Leonetti de 2005 qui a subrepticement mais réellement ouvert la porte à l’euthanasie par arrêt des soins ordinaires, cette nouvelle version, en attendant d’endormir les mourants et les malades incurables, aura s’abord endormi les Français.
La loi instaure le principe des « directives anticipées » contraignantes, autorisant n’importe quel futur handicapé ou dément à fixer d’avance les conditions où il ne voudra plus recevoir aucun traitement, hydratation et nutrition « artificielles » comprises. Oui, contrairement à « Leonetti 1 », le texte prend la peine d’expliciter cette disposition contenue de facto dans le texte de 2005 : la loi entend laisser se multiplier les « affaires Vincent Lambert » pour permettre la mise à mort lente des personnes en fin de vie ou très handicapées.
Leonetti-Claeys : l’euthanasie par sédation sans retour
On a beaucoup entendu dire que la sédation profonde et continue que les patients pourront réclamer comme un droit n’était qu’un droit de s’endormir dans le cadre d’une mort « apaisée ». Il n’en est rien : associée nécessairement à l’arrêt définitif de la nutrition et de l’hydratation, cette anesthésie a pour issue inéluctable la mort et pourra la provoquer dans les cas où la personne en fin de vie n’est justement pas à l’article de la mort.
Donc, pour discuter de ces sujets fondamentaux : le respect de la vie, le droit des médecins de ne pas donner la mort, la prétendue « autonomie » du patient et, plus profondément encore, le cinquième commandement, il n’y avait pas foule. Encore une bonne part du temps consacré aux amendements a-t-il porté sur les « leurres » des partisans du suicide assisté et de ce que l’on pourrait appeler l’euthanasie évidente. Tous rejetés. La France, ainsi que Manuel Valls l’a suggéré mercredi, n’est pas prête à accepter la légalisation des piqûres létales et des « aides actives à mourir » lorsqu’on les appelle par leur nom ; il importait que cette loi se contente de marquer une « étape », comme l’a explicitement affirmé le Premier ministre.
Euthanasie : ne pas brusquer la société
Marisol Touraine, ministre de la Santé, a exprimé l’avis défavorable du gouvernement sur ces amendements en soulignant qu’il importait de ne pas « brusquer la société ».
Quelques courageux élus ont livré la bataille pour l’honneur, s’efforçant de mettre en évidence le caractère euthanasique de la loi Leonetti-Claeys. Aucun, hélas, n’a rappelé que la loi Leonetti de 2005 était déjà euthanasique, qu’elle permet déjà – à moins d’un dénouement heureux de l’affaire Vincent Lambert et du désaveu du Conseil d’Etat qui a validé la procédure qui l’expose à la mort par déshydratation – d’envoyer vers la mort des personnes qui ne sont nullement en fin de vie.
Xavier Breton, Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Frédéric Reiss, Gilles Lurton… se sont démenés cependant pour dénoncer le caractère réellement et encore plus euthanasique de la loi « Leonetti II » qui est rédigée de manière à permettre les interprétations les plus mortifères.
Leonetti se dérobe, sa loi sera adoptée
Face à eux, Jean Leonetti a multiplié les dénégations, assurant que la « sédation profonde et continue » était la seule réponse d’« humanité » et de « fraternité » – notions finalement très maçonniques dans ce contexte – à une demande d’arrêt de soins telle que l’admet la loi Kouchner de 2002 sur les droits des patients.
En effet, aucun patient n’est obligé d’accepter les traitements médicaux qui lui sont proposés, au nom de son autonomie et pour faire cesser une conception « paternaliste » de la médecine. Oui, dans ce débat aussi, on sent poindre la lutte des classes, une dialectique, la logique des droits de l’opprimé face à l’oppresseur – à en oublier que ledit oppresseur est là pour le soigner, comme le père est là pour exercer son autorité sur son enfant, c’est-à-dire son devoir de le faire grandir…
Dans ce contexte, « endormir » la personne – celle dont la mort est prévisible à court terme ou celle qui refuse un traitement nécessaire à son maintien en vie, ne serait plus qu’un devoir de « compassion » parce que le retrait du traitement provoque des souffrances.
Evacuer le débat sur la loi pour permettre l’euthanasie en fin de vie… ou non
Manière d’évacuer habilement le débat… On revient en effet toujours au problème principal : la sédation profonde et sans retour est bien une sédation « terminale » même si le texte de la proposition n’emploie pas le mot. Et elle peut, selon les cas être précisément cause de la mort.
Ou comme l’a dit Xavier Breton – sans succès, puisque tous les amendements du groupe de l’entente parlementaire pour la famille ont été rejetés :
« S’agissant ensuite de la sédation profonde continue, on sait que la pratique de la sédation existe, mais qu’elle peut présenter un risque, si elle était généralisée et insuffisamment encadrée, de conduire à une euthanasie déguisée. La proposition de loi prévoit trois cas, dont le deuxième nous inquiète particulièrement : celui de la sédation profonde continue avec arrêt des traitements en cas de maladie incurable mais sans que le pronostic vital ne soit engagé, et ce jusqu’au décès.
« Si cela peut s’entendre dans certains cas, le risque d’un basculement vers l’euthanasie déguisée existe. Il faut le dire clairement. Certains se déclarent favorables à l’euthanasie, mais ceux qui y sont opposés doivent pouvoir s’assurer qu’il n’y a pas d’ambiguïté permettant une dérive conduisant à l’euthanasie. »
Les ambiguïtés sont justement au cœur de la proposition Leonetti-Claeys ; sa raison d’être.