Projet de loi sur le renseignement : Big Brother en puissance

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Nous avions eu droit à la loi de programmation militaire, publiée en douce le 24 décembre. A la nouvelle loi contre le terrorisme qui a donné naissance à la première vague de blocages administratifs de sites djihadistes, il y a quelques jours. Hier, en Conseil de ministres, était présenté le projet de loi sur le renseignement, en préparation depuis plus d’un an – et il n’est pas moins bien troussé. Véritable Big Brother en puissance, il légalise des pratiques, jusque-là illicites mais pourtant déjà employées par les services de renseignement : pour l’Etat, une opération préventive de blanchiment.
 

Contenu du projet de loi sur le renseignement

 
Quelles sont les nouvelles prérogatives des six agences de renseignement françaises ? Utiliser des « techniques spéciales » pour mener à bien tout projet d’investigation. Autrement dit, pirater par de petits appareils espions et intercepter toutes les communications dans un périmètre déterminé. On collectera les données, des e-mails aux SMS, en passant par les conversations sur Skype. On pourra même suivre les frappes des touches sur le clavier en temps réel… Les données suspectes d’intérêt seront archivées pendant un mois, ou plus si elles nécessitent un déchiffrement.
 
En clair, les « agents spécialement habilités » pourront s’« introduire dans un véhicule, un lieu privé ou un système automatisé de traitement de données […] aux seules fins de poser, mettre en œuvre ou retirer les dispositifs de captation », tels que des micros, caméras ou balises GPS.
 
Le projet de loi souhaite également contraindre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à « détecter, par un traitement automatique, une succession suspecte de données de connexion », soit le cheminement type d’un terroriste. Afin de surprendre par exemple ces derniers, et même de détecter ceux qui seraient en passe de le devenir…
 

Big Brother partout pour presque tous

 
On élargit d’autre part les domaines d’application, jusque-là restreints. Il pourra être question d’indépendance et de défense nationale, d’intégrité du territoire, d’intérêts de politique étrangère, économiques ou scientifiques, de prévention de criminalité et des violences collectives, de prévention du terrorisme mais aussi des « atteintes à la forme républicaine » et à la stabilité des institutions, de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous…. Des entrées multiples où mènent bien sûr tous les chemins.
 
De plus, et ce n’est pas le moindre des points, cette infiltration et cette surveillance de suspects potentiels se fera sans autorité judiciaire, mais sur simple autorisation administrative du Premier ministre valable pendant « quatre mois renouvelables ». Il est même précisé que dans l’urgence, les agents pourront mettre ces dispositifs en place « immédiatement », sans en référer à l’autorité de contrôle.
 
Parce qu’il y a une autorité de contrôle indépendante, nommée Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Mais son action est très limitée. Toute procédure est d’office acceptée, sauf opposition signalée dans les trois jours de ladite Commission et encore faut-il que ce soit à l’unanimité des neuf personnes la constituant…
 

Un Patriot Act, goût français

 
Manuel Valls a sorti les grands mots. « Je veux le dire de façon très claire : il ne s’agit en aucun cas de mettre en œuvre une surveillance généralisée des citoyens. Il n’y aura aucune surveillance de masse. » Cette loi «  a pour premier objectif de donner aux services les moyens à la hauteur des défis auxquels notre pays est confronté ». Rien à voir, bien sûr, avec les manières de la NSA…
 
Et pourtant, pour beaucoup plane le spectre du Patriot Act américain, voté dans la foulée des attentats du 11 septembre pour permettre la surveillance massive de la NSA. Au Conseil national du numérique, Benoit Thieulin relève que « les champs définis de façon très large ouvrent la voie à la généralisation de méthodes intrusives ». Et il n’est pas le seul. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu un avis très mitigé sur la possibilité d’accomplir sa mission de contrôle des fichiers collectés et sur l’opacité globale du projet.
 
L’association « La Quadrature du net » appelle carrément les citoyens à se mobiliser, car « la voie prise par le gouvernement de Manuel Valls instaure une ère nouvelle de suspicion généralisée, marquant un recul historique de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux ». Mais ce dernier a décidé de frapper vite : le projet de loi à l’Assemblée nationale doit être présenté le 13 avril, pour une adoption avant l’été. Un processus mondial est en cours.